FFCP 2019 – Entretien avec Jeong Seung-o, Gong Minjeong et Jang Liwoo pour MOVE THE GRAVE

Posté le 7 décembre 2019 par

La section portrait du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) est un rendez-vous. À travers la projection des courts-métrages, du premier long-métrage et la masterclass d’un jeune réalisateur, le public parisien appréhende au mieux la naissance d’un auteur en Corée. Cette année 2019, cette section a mis à l’honneur Jeong Seung-o, réalisateur de Move The Grave en 2019, un formidable portrait de famille où les femmes sont à l’honneur. Nous avons eu la chance de le rencontrer, ainsi que ses actrices !

Jeong Seung-o a auparavant réalisé 5 courts-métrages qui révèlent l’obsession de la cellule familiale mise sous tension dans le patriarcat coréen : My Sweet Home (2013), la matrice de ses thématiques qui suit un jeune étudiant dont le père a poussé la mère à fuir le foyer ; Dreaming Child (2015), où un jeune garçon fait chanter son père, pasteur, qui a couché avec une mineure ; Birds fly back to the Nest (2016), le court à l’origine de Move The Grave qui montre une famille principalement féminine se questionner ; Kidults (2017), une intrigue sur un frère et une sœur, leur interactions au sein d’un foyer où ils sont amenés à se comporter comme des adultes avant l’heure, et Long-Running (2018), un métrage très court qui questionne l’acceptation de l’homosexualité par la société coréenne.

Nous avons rencontré le réalisateur à cette occasion, accompagné de actrices Jang Liwoo et Gong Minjeong, qui interprètent respectivement, la sœur aînée de la famille, célibataire avec un enfant et qui mène le groupe de sœurs, et la 3ème sœur (sur un total de 5 enfants), en couple avec un étudiant et dont l’argent est un souci.

Pouvez-vous présenter à nos lecteurs et nous parler de votre background d’actrices et de réalisateur ?

Jang Liwoo : Je suis Jang Liwoo et j’interprète la fille aînée dans Move The Grave. J’ai débuté par des études de cinéma pour devenir réalisatrice, et à la fin de mes études, je me suis aperçue que j’avais plutôt envie de jouer. J’ai commencé à jouer dans des films indépendants et depuis je mène ma carrière d’actrice.

Jeong Seung-o : Je suis Jeung seung-o, le réalisateur de Move The Grave. Quand j’ai terminé mes études, j’ai travaillé pour une entreprise pendant 3 ans et demi. Puis j’ai soudainement eu envie de faire des films. J’ai donc repassé des études depuis le bac, spécialisées dans le cinéma.

Gong Minjeong : Je suis Gong Minjeong et j’interprète la 3ème fille. Quand j’étais enfant, j’adorais regarder les films en VHS. Au point que ça m’est paru naturel de faire quelque chose en lien avec le milieu du film. Actrice est le métier qui m’intéressait le plus. C’est venu ainsi naturellement.

Dans vos films, courts-métrages et longs-métrages, vous décrivez la cellule familiale coréenne. Pourquoi cet angle dans votre cinéma qui revient à chacun de vos travaux ?

Jeong seung-o : Je ne me pose jamais la question du sujet de mes films quand je les écris, je ne me dis jamais que je vais écrire une histoire de famille. Et pourtant, je me rends compte au fur et à mesure de la construction du scénario que j’écris sur une famille. Effectivement, au début, j’avais tout de même la volonté d’écrire quelque chose sur ma propre histoire. Quand on regarde le court-métrage My Sweet Home, on y voit des éléments de ma propre famille, de sa décomposition… J’avais peut-être besoin de fermer la boucle, faire une sorte de thérapie sur ce qu’il m’est arrivé. Une fois que j’avais fait le point sur mon histoire familiale, je me suis dit que je pouvais alors m’intéresser aux autres familles.

La part belle de vos scripts est donnée aux femmes, où chaque rôle montre une facette de la femme coréenne. À l’inverse, l’homme est montré comme systématiquement défaillant, autoritaire et source de mal-être – à l’exception des personnages de Long-Running qui sont homosexuels. Est-ce que c’est important pour vous d’articuler vos récits de cette manière, est-ce un moyen de dénoncer le conservatisme qu’on attribue à la société coréenne?

Jeong Seung-o : Je dois vous dire que dans la façon de construire les personnages masculins, beaucoup vient de ma propre personnalité (rires). C’est la première fois que je dis ça, mais moi aussi, de manière consciente ou inconsciente, j’ai déjà eu des occasions dans ma vie de faire pression sur les femmes qui m’entourent, de participer à cette discrimination de sexe. En quelque sorte, j’avais besoin de me repentir. C’est peut-être pour cela que ce genre de sentiment a été retranscrit à l’écran par les personnages masculins, et qu’on a l’impression qu’ils sont mis à l’écart, qu’ils ont ce mal-être.

Comment avez-vous rencontré le réalisateur, comment avez-vous été choisies pour ce rôle ?

Jang Liwoo : J’ai rencontré Jeong Seung-o pour la première fois lors de son court-métrage Birds fly back to the Nest. Il m’avait contacté et j’avais adoré le scénario. Je le connaissais donc avant de faire Move The Grave. Pourquoi m’a-t-il donné le rôle de la fille aînée dans Move The Grave ? Sans doute parce que je suis une aînée aussi dans la vraie vie ; il avait peut-être perçu en moi quelque chose qui lui plaisait lors du premier court-métrage… Je me suis aussi posé la question, c’est vrai, car dans Move The Grave, on a la famille qui se reconstitue autour de l’aînée.

Gong Minjeong : Je ne le connaissais pas vraiment avant le film, mais on s’est croisé dans divers festivals. Un jour il m’a appelé pour jouer le rôle de la 3ème fille de la famille dans son nouveau film, j’ai lu le scénario et j’ai accepté. Rien de très spécial !

Jang Liwoo, vous interprétez la fille aînée de la famille, qui élève seule son enfant difficile. Gong Minjeong, vous interprétez la jeune femme en couple dont l’avenir semble incertain. Comment avez-vous abordé vos rôles quand vous avez lu le script ?

Jang Liwoo : Dans la vraie vie, je suis mariée mais je n’ai pas d’enfant. Dans Birds fly back to the Nest, j’ai un enfant, comme dans Move The Grave. Les deux enfants sont cependant complètement différents dans chacun des films au niveau de leur personnalité. Effectivement, en lisant le script, je me suis focalisée sur la façon dont pouvait vivre cette femme, la difficulté de son quotidien et surtout par rapport à l’enfant. Dans Move The Grave, le visage de mon personnage n’est pas très expressif la plupart du temps et je suis tout le temps en train de m’engueuler avec les autres. Mais je me suis vraiment posé cette question : si on me disait qu’il fallait bouger la tombe de mon père, qu’on me donnait la mission d’aller chercher mon jeune frère et rassembler tous les membres de la famille comme dans le film, quelle genre de sensations, quel genre d’émotion j’éprouverais ?

Gong Minjeong : Étant donné que mon personnage est la troisième de la fratrie, elle est évidemment pile coincée au milieu ! Je me suis dit que pour porter ce rôle, il fallait que je fasse le pilier en quelque sorte. Dans la vraie vie, je ne suis pas dans la même situation que mon personnage : je n’attends pas de mariage et je n’ai même pas de copain. J’ai dû me fier aux feedbacks de mes amis autour de moi. Quand on regarde mon personnage, on pourrait se dire que c’est quelqu’un qui est mesquin, parce qu’elle fait des sales coups. Mais je voulais qu’elle ait le sentiment fort de l’amour réel qu’elle porte à ses sœurs. Il fallait que je montre ça pour ne pas donner d’elle une image purement négative. C’est un personnage que j’affectionne beaucoup.

Dans Move The Grave, il y a trois hommes : l’oncle, qui est un patriarche, le fils aîné qui fuit ses responsabilités et l’enfant, qui est très capricieux. Je m’interroge sur la relation qu’il a avec la copine du fils aîné. Pourquoi s’attache-t-il tout de suite à elle ?

Jeong Seung-o : Le personnage de la copine du fils, qui est enceinte, est pour moi un personnage qui a été très difficile à faire évoluer tout au long du film, parce que c’est un personnage qui ressent beaucoup de peur et de solitude. Sans prétention, j’ai voulu qu’elle puisse au moins un peu s’intégrer à la famille, même si au final elle ne le peut pas car elle ne fait clairement pas partie de la famille. Je voulais tout de même montrer la probabilité, à travers l’enfant qu’elle porte, devenir un membre de cette famille aussi. Je voulais faire un focus sur ce personnage, sa grossesse et son avortement, car en Corée, il existe beaucoup de femmes qui vivent ce genre de situation, mises au centre de cette question de l’avortement. En général, quand il y a un avortement, le couple se brise. Je voulais qu’à la fin du film, ce personnage puisse garder contact avec les autres sœurs, même si elle se sépare de leur frère. Je pense que c’est le protagoniste le plus mis à l’écart : elle n’a pas de parents, elle est toujours dans la solitude mais à travers cette famille, elle pouvait ressentir un sentiment d’appartenance, et pourquoi pas, trouver une lueur d’espérance.

Votre film est plutôt calme, mais on sent l’énervement bouillant des personnages. Le film est parsemé de quelques séquences explosives. Quelle a été votre approche en matière de direction d’acteurs ?

Jeong Seung-o : Chaque personnage dégage une certaine énergie et je pensais que c’était important que chaque acteur et actrice puisse y mettre sa propre personnalité. Au lieu de diriger les acteurs pour leur jeu de manière assez détaillée, je leur donnais plutôt le contexte et les mouvements sur le lieu de tournage et ainsi leur laisser libre champ pour exprimer ce qu’ils ressentent, de leur analyse du rôle. C’est ma manière de concevoir le travail du réalisateur et je me dis que ce film est porté par les acteurs et les actrices.

Pouvez-vous nous raconter votre moment de cinéma, un passage, une scène dans le cinéma mondial qui vous ait particulièrement marqué ?

Jang Liwoo : Ce n’est pas forcément la scène ou le film qui m’a le plus marqué de toute ma vie, mais ce qui me vient tout de suite à l’esprit, c’est la dernière scène de La Môme avec Marion Cotillard, la chanson qu’elle chante juste avant de mourir.

Jeong Seung-o : Pour ma part, c’est une scène dans le film Toni Erdmann, où on voit le père qui sort de la maison avec cette fourrure sur le dos, avec la fille qui le suit derrière et le sert dans les bras. Je me suis dit à travers cette scène, qu’en Corée ou en Allemagne, on vit de la même façon !

Gong Minjeong : Je pense à 2 scènes que je ne peux pas départager, de 2 films classiques. Dans Les Mouchettes de Robert Bresson, le passage où les personnages dévalent une sorte de falaise, j’adore ce moment ! Et Les 400 coups de Truffaut, la dernière image du film sur ce garçon, c’est une vision qui m’est restée.

Propos recueillis par Maxime Bauer à Paris le 02/11/2019.

Traduction : Kim Ha-ram.

Remerciements à Marion Delmas et l’équipe du FFCP.

Move The Grave de Jeong Seung-o. Corée du Sud. 2019. Projeté lors de 14ème édition du FFCP.

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