L’artiste et cinéaste Wang Bing était récemment de passage à Tokyo pour l’ouverture d’une exposition dans laquelle il présentait ses installations 15 Hours, et Man With No Name. Il intervenait également à l’Université Nationale des Arts de Tokyo pour une conférence, dont Yangyu Zhang fut l’interprète. Suite à ce passage, quelques questions rapides par Stephen Sarrazin et Yangyu Zhang.
Avez-vous découvert le nom de l’homme sans nom ?
Durant le tournage, qui a duré de 2006 à 2009, je ne suis jamais arrivé à connaître son nom. J’ai tenté de lui demander à plusieurs reprises mais il ne m’a jamais répondu, et j’ai laissé tomber.
Vous avez tourné Le Fossé en 2010. Comptez-vous revenir à la fiction ? Dans ce cadre, tournez-vous avec des comédiens professionnels ?
Je prépare en ce moment un film de fiction, et bien entendu, pour tourner une fiction, il est nécessaire de travailler avec des acteurs professionnels.
Quels sont les avantages offerts par une galerie que n’offre pas le milieu du cinéma expérimental ? Pour votre oeuvre 15 Hours, qu’est-ce que la galerie vous apporte lorsque ses heures d’ouverture représentent moins de la durée de votre pièce ?
Il arrive souvent qu’un tournage soit interrompu lorsque je tourne un film. Durant ces pauses, je travaille sur des créations pour les lieux d’art. L’image en mouvement, de par sa nature, se prête à la fois au cinéma et aux galeries, aux musées. 15 Hours est entièrement conçu pour les centres d’art, les galeries. La pièce est présentée en deux journées successives. Sa dimension narrative a peu de choses à voir avec celle d’un film.
Au-delà de l’enjeu de la durée, étiez-vous intéressé par les possibilités formelles du support numérique, les effets spéciaux, les écrans multiples…
Je suis plutôt conservateur dans mes explorations formelles de l’image. J’aime lorsque la narration se révèle d’elle-même pendant le tournage. Du coup, j’utilise peu d’effets de post-production, et moins encore les écrans multiples. Plusieurs de mes films sont longs parce qu’ils sont en numérique. De ce point de vue, le support numérique nous a offert plus de liberté dans la façon de tourner et regarder des films.
Connaissiez-vous les installations de Chantal Akerman, Agnès Varda ? Vous ont-elles inspirées, par leur passage du cinéma au champ de l’art contemporain ?
Je les connais très bien, toutes les deux. Je causais souvent à Cannes avec Akerman, surtout en 2007. J’ai eu plus d’occasion de rencontrer Varda. Je connais leurs installations que j’aime beaucoup. Mais j’ai mon propre langage des images et je m’inspire peu de celui des autres. Pour les travaux montrés dans les lieux d’art, je m’en tiens à mes propres expériences.
Vous souvenez-vous du contexte lorsque les galeries sont entrées dans votre parcours ? Sont-elles venues vers vous ou en aviez-vous contacté certaines ?
Mon premier contact avec le milieu de l’art s’est produit en 2008 lorsque j’ai présenté l’installation Crude Oil, d’une durée de 14 heures, au festival de Rotterdam. Par la suite, j’ai créé Man With No Name, Father And Sons, Traces, Mrs. Fang, Feng Ming, A Chinese Memoir (la version longue), Beauty Lives in Freedom, et 15 Hours.
Lors de la Documenta 14 en 2017, j’ai fait la connaissance d’une galerie à Tokyo, nous avions envie de travailler ensemble, et je me réjouis d’avoir ce lieu qui présente mon travail vidéo au Japon.
Lorsque vous exposez en galerie, qui produit les pièces financièrement ?
Tous les scénarios sont possibles. Parfois nous produisons nous-mêmes, mon équipe et moi ; parfois c’est la galerie. Par exemple, Beauty Lives in Freedom fut produite par la Galerie Chantal Croussel à Paris.
Qui collectionne vos œuvres ? Les musées, des collectionneurs privés ?
La première oeuvre à entrer dans un musée fut Man With No Name, au Centre Pompidou en 2014. Plus tard, M+ à Hong Kong fit l’acquisition de Feng Ming, Man With No Name, et Traces. Le CNAP (Centre National des Arts Plastiques, France) et le EMST–National Museum of Contemporary Art (Grèce) ont des éditions de 15 Hours. Le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía a dans sa collection Beauty Lives In Freedom et Crude Oil. Aucune oeuvre n’est dans une collection privée à ce jour.
Diverses institutions comptent ouvrir des antennes en Chine (Tate Modern, le Centre Pompidou), ce qui semble inacceptable pour un artiste comme Ai WeiWei. Accepteriez-vous d’exposer dans de tels espaces en Chine ?
Je suis un artiste. Les œuvres que je réalise peuvent être présentées dans n’importe quelle institution. Je n’empêcherais jamais la présentation d’une de mes créations, où que ce soit. Je crois que la valeur qu’une oeuvre incarne ne peut être diminuée par le lieu où elle est exposée.
Comment existez-vous en Chine ?
Je ne m’interroge jamais sur ma vie en Chine. J’y ai toujours mené la même vie, très simple, terre à terre. Je ne voudrais pas que ça change, je n’ai pas besoin de plus.
Quelle est votre impression de la présence de la Chine aujourd’hui en Afrique ?
Je n’ai jamais voyagé en Afrique, mais j’irai très prochainement pour y tourner un film. Pour l’instant je ne sais à peu près rien sur ce sujet, et j’espère y aller dans l’avenir dans ce même état d’esprit, et découvrir.
Propos recueillis par Stephen Sarrazin et Yangyu Zhang
Traduit du chinois à l’anglais par Yangyu Zhang et de l’anglais par Stephen Sarrazin.