Devenu rédacteur en chef du magazine Shonen Jump durant la fin des années 80, période considérée par beaucoup comme « l’âge d’or du manga » au Japon, Goto Hiroki nous livre dans Jump – L’âge d’or du manga, édité par Kurokawa, un témoignage inestimable sur les coulisses du manga, ainsi que les secrets de création d’œuvres aussi cultes qu’inoubliables.
Dragon Ball, Hokuto No Ken, Saint Seiya ou encore City Hunter, soit autant de titres qui obtinrent une grande popularité en France par l’intermédiaire de leur adaptation animée diffusée au sein du Club Dorothée. Tous ont connu précédemment une publication papier en manga dans le magazine de prépublication Shonen Jump, véritable institution et leader incontesté sur le créneau du shonen (manga pour garçon) encore aujourd’hui avec des titres comme Naruto, My Hero Academia, One Piece. Goto Hiroki, membre de la revue dans ses premières heures en 1970 puis son rédacteur en chef durant son âge d’or du milieu des années 80 au début des 90’s, se charge donc de nous en conter l’histoire dans cet ouvrage.
Le fil conducteur de l’ouvrage est de nous montrer comment se sont constituées les valeurs principales du magazine, les titres emblématiques qui les ont perpétuées et transcendées et ainsi scruter l’évolution du monde de l’édition au Japon. Le Shonen Jump se caractérisa par une règle aussi impitoyable qu’égalitaire entre les auteurs, celle de se soumettre aux votes de popularité des lecteurs qui décidaient de la durée de vie d’une série. Les fameuses valeurs furent déterminées d’après un sondage soumis aux jeunes lecteurs sur les mots les plus vibrants pour eux où se détachaient l’effort, l’amitié et la victoire. La matrice des futurs mangas nekketsu (combat et dépassement de soi), sportifs et d’aventure se trouve là même si l’évocation des premiers titres à succès du Jump se détache de ce modèle et surprend par ses audaces comme L’école impudique (humour grivois et provocateur entre professeurs et élèves d’une école primaire qui fit scandale) de Nagai Go. L’auteur s’attarde sur des titres spécifiques à la fois selon son goût personnel (son peu d’appétence pour le shonen romantique qu’il se força à intégrer au Jump face aux succès de Rumiko Takahashi ou Adachi Mitsuru au sein de la concurrence) et le tournant qu’il estime y voir dans la dynamique du Jump. L’absence de retour sur des titres populaires en France comme Cobra pourra décevoir mais s’explique donc par la faible influence qu’y voit Goto. Quand il développe sur une série c’est pour aborder une mue majeure comme le calcul anticipé sur le possible merchandising de Kurumada Masami quand il façonne tout le décorum et accessoires de cloths/armures de Saint Seiya après avoir conçu un manga nekketsu sans doute plus sincère avec le récit de boxe de Ring no Kakero. C’est donc tout aussi intéressant dans l’analyse du ton et contenu des œuvres en elles-mêmes que dans leur impact parfois négatif sur les productions à venir, notamment Yu Yu Hakusho qui marqua une rupture en voyant ses volumes reliés (regroupement des chapitres paraissant de manière hebdomadaire en amont dans le Jump et seul modèle que nous connaissions en France) dépasser en vente celle du Jump, son magazine d’accueil.
Il ne faut donc pas lire le livre en quête de révélations extraordinaires sur la conception de ses titres favoris (parfois forts décevants comme la notule succincte de City Hunter) mais plutôt comme l’observation d’un modèle, standard et parfois cliché du shonen classique. Les tâtonnements des premières heures constituent ainsi les passages les plus captivants de l’ouvrage où malgré notre méconnaissance de certains titres (souvent inédits en France) Goto nous en dépeint méticuleusement les spécificités narratives et stylistiques (passionnante évocation du manga de base-ball Astro Kyudan de Nakajima Norihiro). Les purs génies du manga sont largement célébrés (Inoue Takehiko et son cultissime Slam Dunk, Toriyama Akira évidemment) et les coulisses expliquent la dynamique singulière de la création d’un titre entre le mangaka (parfois seulement dessinateur et accompagné d’un scénariste) et son tanto (directeur éditorial) au rôle fondamental et parfois très interventionniste dans la direction d’un titre. Tout juste reprochera-t-on quelques redondances et erreurs dans les noms (de titres d’auteurs) qui auraient éventuellement pu être affinées lors de la traduction. Quoiqu’il en soit une lecture indispensable pour le féru de manga et de pop culture japonaise.
Justin Kwedi.
Jump – L’âge d’or du manga de Goto Hiroki. Japon. 2018. Disponible chez Kurokawa Editions le 04/07/2019