Révélation de Mademoiselle de Park Chan-wook, Kim Tae-ri change de décor et nous entraîne dans Petite forêt réalisé par Yim Soon-rye, véritable parenthèse enchantée autour de la nature et de la cuisine. A découvrir en salles dès aujourd’hui, grâce à Borealia Films !
Yim Soon-rye est née à Incheon en 1961. Après des études en France durant lesquelles elle écrit une thèse sur le réalisateur japonais Mizoguchi Kenji, elle commence sa carrière au début des années 90 en Corée, d’abord comme assistante-réalisatrice, puis comme réalisatrice avec le court-métrage Promenade in the Rain. Ses premiers longs-métrages Three Friends (1996) et Waikiki Brothers (2001) sont des succès critiques et l’établisse comme une des rares figures féminines de la nouvelle vague du cinéma coréen. Alternant entre documentaires (Keeping the Vision Alive) et longs métrages de fiction (Forever the Moment, South Bound…), Petite forêt est aussi l’occasion pour cette militante de la protection de l’environnement et de la lutte pour les droits des animaux de mettre en valeur sa vision des rapports entre les hommes et la nature.
Printemps, été, automne, hiver… et printemps
Hyewon a la vingtaine mais est déjà lessivée par l’existence qu’elle mène. Après un nouvel échec au concours d’enseignant, elle quitte Séoul et retourne dans le village de campagne où elle a grandi. Elle y retrouve ses amis, Jae-ho et Eun-sook ainsi que la maison de son enfance, emplie de souvenirs avec sa mère, partie quand elle avait 18 ans et avec qui elle semble avoir rompu tout contact.
Tout d’abord déterminée à ne rester que quelques semaines, la jeune fille s’installe de plus en plus dans cette vie à la campagne, faite de moments paisibles et de plats partagés.
Le film est tiré du manga japonais éponyme de Igarashi Daisuke, publié entre 2002 et 2005, qui suivait le parcours de la jeune Ichiko à travers 33 recettes (et autant de chapitres) et leur processus de fabrication, de la culture des ingrédients à la préparation. C’est pourtant en découvrant son adaptation live, en deux parties, Little Forest: Summer & Autumn et Little Forest: Winter & Spring, du Japonais Mori Junichi, que la productrice Jenna Ku a eu l’idée de proposer à Yim Soon-rye d’en réaliser une version coréenne qui mettrait en avant les paysages ruraux de la Corée du Sud, que l’on a assez peu l’habitude de voir dans un cinéma souvent très urbain, et des recettes typiquement nationales. Très fidèle à son matériau d’origine, l’adaptation japonaise chroniquait, de manière quasi-documentaire, le monde agricole auquel l’héroïne tentait de se réajuster et la suivait de bout en bout dans des séquences de préparations culinaires qui constituaient le véritable cœur du récit. Tout en conservant la poésie de son prédécesseur, l’adaptation coréenne change légèrement d’optique : là où les films de Mori Junichi étaient des méditations sur la vie et sur notre capacité à vivre en accord avec la nature, Yim Soon-rye se recentre davantage sur les personnages et ce que cette proximité avec la nature leur apporte. Le résultat est moins contemplatif, intentionnellement plus enlevé et aboutit à un film chaleureux qui réussit son ambition première d’être aussi apaisant qu’une promenade en forêt et aussi réconfortant qu’un bon repas après une dure journée.
Petite forêt est d’abord une histoire de cultures : choisir un sol, planter, entretenir, attendre, récolter, recommencer. Hyewon a fui la campagne où elle a toujours vécu pour la ville, puis fuit la ville pour revenir dans sa campagne d’enfance quand elle réalise que sa vie actuelle est très loin d’être ce qu’elle avait envisagé. Quatre saisons, avec tous les bonheurs et contraintes qui en découlent, lui seront nécessaires pour faire le point, balayer les mauvaises herbes, clore un cycle en somme, et en débuter un autre sur une meilleure connaissance du terrain et des bases plus solides.
Le film suit une structure simple. Chaque saison comporte les mêmes éléments : une recette, un dîner et un souvenir entre Hyewon et sa mère nous donnant une clé de plus pour comprendre le personnage. L’exercice pourrait être répétitif mais évite cet écueil grâce à une mise en scène fluide qui n’oublie jamais de relier les événements à leur saison respective, changeant forcément les perceptions sur ceux-ci et ce qu’ils revêtent. Tous les éléments du cadre sont filmés comme des personnages qui auraient une vie à part entière, en dehors de ce qu’il se déroule dans le film. Ceci permet d’instaurer une atmosphère très sensorielle, assez ludique qui, alliée à un montage qui maintient un rythme soutenu, accroche aisément le spectateur. Un grand soin a été donné à la photographie qui épouse les variations naturelles des lieux et des émotions. Hormis les flashbacks se déroulant en ville, volontairement ternes, le film est constamment baigné de lumière, qu’elle se reflète à travers les branches d’un arbre, dans les reflets d’un lac, la nuit, ou bien qu’elle imprègne la pièce de la maison comme le signe d’une chaleur retrouvée. Les couleurs sont également magnifiées, le blanc de la neige, le rouge d’une tomate, le vert des plantes, etc., comme pour accompagner le personnage dans sa redécouverte du goût et du plaisir.
Chaque saison est alors une étape dans l’évolution de l’héroïne et la fin de chacune est un pas de plus vers la suite de son parcours. L’hiver signe un refuge vers ce qui est familier et réconfortant, le printemps est le temps de l’espoir ou l’illusion de trouver des réponses, l’été caniculaire est une forme d’errance qui ouvre la voie vers de nouvelles résolutions et l’automne nous confronte à la réalité pour amener l’acceptation. Enfin, comme pour marquer la fin d’un cycle et le début d’un nouveau, un hiver de construction sera nécessaire pour atteindre le printemps de l’épanouissement et de l’apaisement.
Un autre thème est développé dans le film. En effet, dans la lignée de films comme Les Délices de Tokyo de Kawase Naomi ou du récent La Saveur des ramen d’Eric Khoo, Petite forêt parle de cuisine, ou plus précisément, présente des gens qui ont faim, au sens littéral comme au sens figuré. Dans une des premières scènes, quand sa tante lui demande la raison de son retour, Hyewon répond d’ailleurs qu’elle a très faim. L’estomac creusé par la violence quotidienne du monde et les plats de supérette sans saveur, Hyewon se remplit de nouveau, remet de la couleur (un gâteau de riz saupoudré de rouge et vert éclatants, des teokbokki avec beaucoup trop de piments ou une simple soupe de chou), reproduit de manière volontaire ou inconsciente les recettes de sa mère et en crée de nouvelles. La cuisine se fait alors remède et source de lien entre les êtres quand les mots ne sont pas suffisants (entre la mère et la fille ; entre les deux amies d’enfance). Et si les escapades culinaires de l’héroïne sont toutes plus alléchantes les unes que les autres (il est fortement déconseillé d’aller voir le film le ventre vide), une des réussites du film est de ne pas perdre de vue que la dégustation du résultat, prétexte à des soirées passées à boire et à rire entre amis, est toute aussi essentielle.
Car enfin, ce qui permet à Petite forêt d’être davantage qu’une jolie parenthèse inoffensive, ce sont bien ses personnages et le récit initiatique déroulé par la réalisatrice Yim Soon-rye.
Elle trouve en la merveilleuse Kim Tae-ri l’interprète idéale pour Hyewon. De toutes les scènes, elle illumine le film de son naturel et de son charme désarmants, nous faisant complètement adhérer à un personnage qui aurait rapidement pu être agaçant. Elle a l’intelligence de ne pas minimiser les nombreuses failles de sa personnalité mais à les utiliser de manière à ce que le spectateur puisse s’y retrouver.
Dans cet effort, elle est solidement épaulée par les interprètes secondaires, tous parfaits dans leurs rôles et porteurs d’une belle énergie venant bien compléter le personnage central. On retiendra plus particulièrement Ryu Jun-yeol (jeune acteur incontournable du cinéma coréen de ces dernières années, notamment vu dans A Taxi Driver, et qui prouve encore une fois sa versatilité), dans le rôle de Jae-ha, l’ami fidèle qui a su faire le meilleur choix pour lui et s’y tenir. Sorte de voix de la sagesse tout au long du film, ses interactions avec Hyewon comptent parmi les scènes les plus réussies. Dans le rôle de la mère absente mais omniprésente dans la maison et dans l’esprit de sa fille qui peine à s’en détacher, Moon So-ri (Une femme coréenne) livre aussi une jolie composition à la fois rassurante et ambiguë et donne chair au personnage le plus énigmatique du récit.
Petite forêt est le récit d’un passage à l’âge adulte, et si on se laisse volontiers aller à la douceur lancinante qui se dégage du film, ce serait une erreur de croire que le film, lui, se laisse aller à une certaine paresse, bien au contraire. Derrière la simplicité apparente de sa mise en scène, la réalisatrice maîtrise son propos et la manière dont elle souhaite l’amener. Sans jamais lâcher son héroïne, elle questionne le fonctionnement d’une société moderne qui, à force de performance et de rapidité, créé une jeunesse désillusionnée et épuisée avant même d’avoir commencé à construire sa propre vie.
Présenté au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) en 2018 au sein d’une sélection comptant de nombreux longs-métrages abordant des thèmes sociaux et faisant un état des lieux assez sombre de notre époque et de l’avenir des jeunes, Petite forêt, résolument feel good, était venu apporter un peu de tendresse dans le monde de brutes, et surtout un peu d’espoir bienvenu.
Loin de prôner une sortie de crise par un retour à des valeurs plus anciennes (bien qu’en sortant du film, on puisse songer sérieusement à partir cultiver des légumes dans une campagne isolée pour vivre nos jours en accord avec la nature), le film nous exhorte à trouver notre propre chemin quel qu’il soit, notre propre petite forêt. Comme en agriculture ou en cuisine, ceci peut être long, frustrant et avec un risque non-négligeable d’échec mais, malgré les épreuves, le résultat en vaudra assurément la peine.
Claire Lalaut.
Petite forêt de Yim Soon-rye. Corée. 2018. En salles le 03/07/2019