EN SALLES – So Long, My Son de Wang Xiaoshuai : histoire(s) de la Chine (en salles le 03/07/2019)

Posté le 2 juillet 2019 par

Ours d’argent du meilleur acteur et de la meilleure actrice pour Wang Jingchun et Yong Mei à Berlin, So Long, My Son de Wang Xiaoshuai se révèle être une grande fresque tragique sur la Chine autant qu’un déchirant drame familial que l’on peut découvrir en salles dès aujourd’hui grâce à Ad Vitam !

Wang Xiaoshuai a l’habitude des honneurs. Le réalisateur talentueux de la 6ème génération, dont il est une des figures de prou avec Jia Zhang-ke ou Lou Ye, a déjà reçu des prix à Berlin (Ours d’argent pour Beijing Bicycle en 2001) et à Cannes (Prix du jury pour Shanghai Dreams en 2005).

Le réalisateur qui a commencé ses expérimentations en 1993 avec The Days, réalisé pour seulement 10000 dollars, connaît bien son pays et ses rouages. Enfant de la Révolution Culturelle, il n’a de cesse depuis les années 90 de rendre compte de la situation du pays, ses évolutions et ses contradictions, en prenant soin de mettre l’humain en avant. Comment vit l’individu dans un pays qui vante les mérites du collectif, voilà la question complexe et douloureuse qui a façonné l’œuvre de Wang Xiaoshuai. Comment exprimer ses sentiments, ses envies, s’émanciper dans un pays qui ne laisse que peu de place à la liberté d’expression.

Dans la première partie de sa carrière, Wang apportait une réponse frontale, presque énervée : c’est par l’art que l’individu peut trouver le salut. The Days (1993), Frozen (1996) ou So Close To Paradise (1999) semblaient traversés par une rage folle, un radicalisme formel et scénaristique, fruit des conditions de tournage et des « pulsions » d’un artiste semblant filmer comme il respire.

L’homme semble plus apaisé les années passant. Sa trilogie sur la Révolution Culturelle (Shanghai Dreams, 11 Flowers, Red Amnesia) vient clore une réflexion autobiographique émouvante et pertinente, mais plus classique.

So Long, My Son dernier film en date de Wang, figure donc dans une filmographie riche, dont l’objectif dans sa globalité est de présenter un portrait de la Chine à travers les âges. Point de départ d’une nouvelle trilogie que le cinéaste appelle « La trilogie du pays natal », cette fresque de trois heures dépeint le destin d’un couple et de son groupe d’amis dans la Chine des années 80 à celle d’aujourd’hui.

Le long métrage commence dans l’insouciance, celle de deux enfants qui veulent jouer, un repas de famille. Des instants fugaces de bonheur, que Wang filme avec la tendresse nostalgique qui le caractérise. Le drame initial de So Long, My Son vient rompre l’harmonie. Le cinéaste le montre de loin, pudiquement, s’éloignant pour en souligner le côté « anecdotique » dans un pays si grand, qui n’écoute pas, qui ne voit pas. Les cris résonnent.

La douleur de la perte change les personnages et le récit : Wang entremêle l’idée de deuil impossible et la transformation des personnages en allégorie. De ce point de départ, il peut élaborer une histoire personnelle complexe et intense tout en élargissant le spectre et s’attaquer, parfois très frontalement, aux conséquences de la politique de l’enfant unique sur l’individu dans la Chine des années 80.

Wang fractionne son récit en mille morceaux. Les époques s’entremêlent, les flashbacks arrivent sans crier gare comme des souvenirs douloureux qui reviennent à la surface et éclairent à chaque fois un petit peu plus sur les évènements. Le film questionne donc le spectateur sur plusieurs plans : on démêle les fils d’une histoire romanesque et déchirante tout en imbriquant les pièces d’un puzzle bien plus grand. Les époques sont situées uniquement par des petits détails, des panneaux, le vieillissement (très réussi) des personnages, les regards, la lassitude.

Ce que vivent les personnages remuent le spectateur. Pourtant la mise en scène de Wang semble apaisée, tout en contraste donc par rapport à ce qui se joue. Comme si le réalisateur avait fait la paix avec ce passé douloureux. Ce qui ne l’empêche pas d’être virulent à l’égard d’une politique et de ses aberrations. L’apaisement n’est que de façade. So Long, My Son montre un système qui a brisé des gens. Qu’il soit du côté des bourreaux ou des victimes. Dans la Chine de Wang Xiaoshuai, il n’y a que des fruits amers. Fruit des drames, de l’endoctrinement, des erreurs.

La constante de la petite et de la grande histoire reste l’impossibilité d’effacer les douleurs, de faire le deuil. Wang attache ses personnages et son récit à cette idée en apportant à chaque fois une nuance, une nouvelle couche. Il enferme ses personnages dans l’impossibilité d’oublier. Et c’est ce qu’il y a peut-être de plus beau dans So Long, My Son. C’est un magnifique film sur la résilience, sur le pardon. Face à cette impossibilité de faire le deuil, il faut vivre avec. La durée n’est donc pas superflue. Elle permet de creuser dans l’Histoire, de coller aux personnages, d’aller et venir dans une forme romanesque maîtrisée à la perfection.

Wang n’oublie pas le traumatisme, les vies brisées, n’élude pas les problèmes de la Chine passée et contemporaine. Mais par sa mise en scène subtile, il questionne son rapport au passé, mêle la nostalgie et la rancœur. Surtout, la mise en scène ne mâche jamais le travail, fait confiance à l’intelligence du spectateur, multiplie les symboles forts. Le film est donc à la fois extrêmement limpide et d’une complexité parfois renversante.

So Long, My Son synthétise à merveille l’œuvre de Wang Xiaoshuai, suivant d’ailleurs la même trajectoire que sa carrière. D’une rage initiale, le cinéaste à appris la résilience.

Ce chef d’œuvre, par sa puissance d’évocation, son écriture complexe, sa capacité à mêler les histoires, à dessiner des personnages en deux plans imprimera durablement les spectateurs.

Jérémy Coifman.

So Long My Son de Wang Xiaoshuai. Chine. 2019. En salles le 03/07/2019.