Annecy 2019 – jour 4 : Under the Sea (Les Enfants de la mer)

Posté le 15 juin 2019 par

En ce quatrième jour, dont deux de beau temps, on se permet de faire un focus sur un film d’animation japonais qui sortira le 10 juillet en France Les Enfants de la mer de Watanabe Ayumu, que nous avons eu l’occasion de rencontrer dans les locaux d’Eurozoom, le distributeur du film !

Les Enfants de la mer a été sélectionné a Annecy dans la compétition Contrechamp. Son réalisateur, Watanabe Ayumu, n’est pas un débutant puisqu il travaille dans le secteur de l animation depuis 30 ans, notamment sur des séries TV et les films de la franchise Doreamon. En 2018 est annonce l’adaptation, par le Studio 4°C, du manga Les Enfants de la mer d’Igaraishi Daisuke, prépublié entre 2006 et 2011 au Japon.

Le film suit Ruka, une jeune lycéenne, qui vit avec sa mère. Elle se consacre à sa passion, le handball. Hélas, elle se fait injustement exclure de son équipe le premier jour des vacances. Furieuse, elle décide de rendre visite à son père à l’aquarium où il travaille. Elle y rencontre Umi, qui semble avoir le don de communiquer avec les animaux marins. Ruka est fascinée. Un soir, des événements surnaturels se produisent.

Les Enfants de la mer débute de manière très réaliste, en nous faisant suivre cette jeune fille, expulsée de son activité dès son premier jour de vacances, évitant sa mère, dépressive, ainsi que son père, qui se réfugie au travail. Puis, tout bascule et le fantastique débarque, sans crier gare. S’ensuivent alors 1h30 de pure folie visuelle comme le cinéma japonais en a rarement fait. Bien que la trame narrative soit parfois un poil compliquée due à la complexité du matériau d’origine, le film parvient sans difficulté à décoller et à offrir des images de la nature et des fonds marins de pure splendeur. Le rythme, posé, ne conviendra peut-être pas à tous, mais ceux qui sont capables de lâcher prise et de se laisser entraîner dans un trip visuel sauront apprécier. On pense forcément à 2001, L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick dans la dernière partie du film, et ses envolées fantastiques. Bien que le film mette en avant les paysages et animaux marins, les personnages ne n’en sont pas pour autant oubliés. Le réalisateur parvient ainsi à créer de l’empathie pour son personnage principal, la jeune Ruka, en un tour de main. Si, au début, le film se montre bavard, afin de laisser le temps aux protagonistes de s’exprimer, les dialogues s’amenuisent au fur et à mesure et pourtant, les pensées de chacun des personnages restent limpides.

Nous avons pu partager la joie d’avoir découvert le film avec son réalisateur, heureux d’être présent à Annecy.

Pouvez-vous vous présenter brièvement pour les lecteurs français qui ne vous connaîtraient pas ?

J’ai commencé ma carrière en travaillant sur la série télévisée Doraemon. J’ai ensuite eu l’occasion de travailler sur un long-métrage, l’adaptation de Space Brothers et j’ai aussi fait des choses pour la chaîne de télévision NHK. J’ai également réalisé deux longs-métrages de la série Doraemon et me voilà ici ! Cela faisait longtemps que je portais ce désir en moi de travailler sur une œuvre qui m’appartienne entièrement, que je pourrai façonner de A à Z. J’ai eu l’occasion, à travers ce film, de réaliser ce vœu.

Vous avez dit, lors de la projection officielle du film à Annecy, connaître le manga Les Enfants de la mer depuis longtemps. Pourquoi avoir attendu plusieurs années pour l’adapter ?

Si j’en avais eu le pouvoir, je l’aurais bien fait un peu plus tôt. Mais c’est une œuvre originale d’une grande richesse descriptive et narrative et plusieurs obstacles se sont interposés. Du coup, ça n’avait pas pu se concrétiser auparavant.

Qu’avez-vous modifié, ajouté ou enlevé du manga pour votre adaptation ?

Ceux qui liront le manga après avoir vu le film seront peut-être surpris des différences entre les deux. Par exemple, Ruka n’est pas un personnage déterminant dans le manga. Nous avons décidé de la mettre au centre de la narration du film, ce qui n’est pas du tout le cas dans le manga. En fait, le manga raconte l’histoire de Ruka, une fois qu’elle est devenue adulte. Nous avons décidé de nous approprier la phase inexistante de sa jeunesse, qu’elle se rappelle une fois adulte.

Le personnage de Ruka est une jeune fille qui se fait rejeter de son groupe de son sport et qui fuit ses parents. Quel type de personnage vouliez-vous en faire ?

Je voulais en faire une petite fille normale, sans pouvoirs particuliers. Une jeune fille qui traîne ses souffrances de jeune fille. On voulait que le spectateur puisse avoir de la sympathie et de l’empathie pour elle. L’idée était qu’on ne s’attende pas à ce qu’on lui arrive par la suite.

Votre film commence de façon très réaliste puis se poursuit dans un trip visuel. Avez-vous utilisé plusieurs techniques d’animation pour avoir ces différents rendus ?

On a rencontré d’énormes difficultés. Nous n’avons pas particulièrement utilisé de techniques différentes mais le processus créatif a évolué. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais, au début, les dialogues sont assez nombreux puis diminuent petit à petit. On a voulu faire des parallèles entre les différents enfants du film. Après, il y a plein de détails. Par exemple, quand Umi attrape la main de Ruka pour l’amener avec lui, elle lui tient aussi le bras. A travers ça, on voit qu’Umi a une envie folle de l’amener assister à cette naissance qui va avoir lieu dans la mer et elle qui ne veut absolument pas le lâcher. Tous ces petits détails ont participé au changement d’ambiances dans le film.

Quelles ont été vos principales influences, cinématographiques ou non, pour mettre en scène cette beauté de la nature ?

Il n’y a pas vraiment d’influences mais on a tous notre expérience personnelle. Quand je m’adressais à mon équipe, je n’ai pas voulu poser d’images. J’ai utilisé beaucoup de mots et de symboles et eux, après, m’apportaient ce qu’ils avaient imaginé. On a partagé tout ça ensemble pour arriver, notamment, au final du film. Chacun a apporté sa pierre à l’édifice.

Pour ce film, vous avez collaboré avec Hisaishi Joe. Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec le compositeur ?

Je suis un fan de sa musique depuis une dizaine d’années. J’avais ce rêve de me dire que si un jour, je réalisais un film, je voudrais le faire avec sa musique. Et quand le projet des Enfants de la mer s’est concrétisé grâce à Mme Tanaka du studio 4°C, je lui ai demandé de me mettre en contact avec lui. Mais il a une renommée internationale et est très occupé. Il faut savoir qu’à part la musique des films Ghibli, il ne travaille absolument pas pour l’animation. Mme Tanaka a donc utilisé tous les intermédiaires possibles pour réussir à l’atteindre. Il lui a fallu 4 ans pour avoir un rendez-vous avec lui. J’étais très excité la première fois que je l’ai rencontré.

Pour conclure, nous demandons à chaque artiste que nous rencontrons de nous parler d’un moment de cinéma qui l’a particulièrement marqué ou ému et de nous expliquer pourquoi. Pour vous, quel serait votre moment de cinéma ?

Si je pense au cinéma japonais, je vous citerai un film du réalisateur Yoji Yamada et sa série des Tora-san qui met en scène les aventures de Torajiro, qui est une icône au Japon. Dans la dernière scène du premier film, le personnage assiste au mariage de sa sœur et il est tellement ému qu’il se frotte les yeux. A ce moment, sa manche se déchire. Ça m’a marqué car c’est grotesque et émouvant, car il quitte sa petite sœur.

Si on parle de cinéma étranger, je pense au Voleur de bicyclette de Vittorio De Sicca (1948). Il y a une scène où un petit garçon tombe violemment. C’est si réaliste ! Alors, je ne sais pas s’il y a eu plusieurs scènes ou pas mais ça m’a marqué. Je n’en reviens toujours.

En cinéma français, je pense également au film Ponette de Jacques Doillon. C’est un film très simple qui met en scène une fille qui perd sa mère et qui n’a qu’un seul espoir, la revoir. A la fin, sa mère réapparaît de façon très surprenante. C’est très émouvant.

Je pense aussi à Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore (1988).

Propos recueillis par Elvire Rémand à Annecy le 13/06/2019.

Traduction : Djamel Rabahi.

Remerciements : Aude Dobuzinskis et toute l’équipe d’Eurozoom.