Brillante Ma. Mendoza nous revient avec Alpha – The Right To Kill, un polar sec et nerveux, interrogeant un peu plus sur son rapport à la politique de répression du président Duterte.
Le franc soutien de Brillante Mendoza, cinéaste dont l’œuvre laissait deviner un certain humanisme jusque dans ses aspects les plus cruels (Kinatay par excellence), à la politique du président philippin Rodrigo Duterte (élu en 2016) faisait attendre son prochain film avec une curiosité accrue. Alpha – The Right To Kill a ceci de particulièrement intéressant qu’il s’appuie sur l’une des mesures les plus discutées à l’international du programme de Duterte (pour faire très simple, l’exécution sans sommation de tout trafiquant de stupéfiants) pour en faire émerger une intrigue très ambiguë, et surtout passionnante. Moises Espino (Allen Dizon) est un officier de police respecté, reconnu par ses pairs pour sa droiture et son efficacité. Sa main ne tremble pas lorsqu’il s’agit de prendre un petit dealer la main dans le sac ou mieux, démanteler un réseau de trafic de drogue lors d’une descente nocturne ne pouvant qu’aboutir à l’utilisation des armes (le fameux « droit de tuer » du titre).
Mais il doit une large part de son succès à Elijah (Elijah Filamor), un jeune indic dont l’aspect insoupçonnable auprès des dealers lui permet d’obtenir sans difficulté les renseignements nécessaires à l’organisation de ses interventions musclées. Les deux hommes ne sont pas exactement des amis, leurs conditions sociales demeurant par exemple imperméables (bien que tous deux pères de famille, l’un mène une vie plutôt bourgeoise dans une grande maison là où l’autre réside dans un bidonville), mais au moins de bons « collègues », des associés de circonstance. Chacun trouve son compte, à un degré certes différent, en cas de réussite. Les honneurs pour le flic, une garantie de circuler librement pour le voyou. Mendoza brosse le quotidien de ces deux hommes, entre sphères privée et publique, avec une fermeté qu’on ne lui connaissait plus (ses derniers films, certes intéressants, ne manquaient pas d’ennuyer). La nervosité du polar sied parfaitement à sa mise en scène très immersive, imprégnée comme toujours d’une forte sensibilité documentaire.
On se doute que si le cinéaste donne autant de place à la relation des deux hommes, et surtout ce qui les distingue, c’est parce qu’adviendra un moment où l’un ou l’autre sortira du cadre. En voulant tirer profit de leur dernière opération, un membre du duo d’enfer (ne disons pas lequel) sera soumis au risque de devenir à son tour la cible de la police. Malgré leur « affection » mutuelle, Espino et Elijah ne pouvaient décemment poursuivre leur collaboration sans que les intérêts personnels ne reprennent leurs droits. Le dernier acte du film, extrêmement sombre, cynique au possible, tourne autour d’un jeu sur le montage parallèle soulignant plus qu’avant ce qui fondamentalement sépare leurs deux modes de vie. Avant qu’une ultime rencontre n’éclaire la première heure du film d’un jour nouveau. Jamais peut-être Brillante Mendoza fut aussi retors dans sa construction d’une fiction. On ne cesse de craindre le pire qui certes adviendra, mais de manière différée. Quelle que soit la réalité de l’engagement politique de l’homme, il reste sans nul doute un cinéaste précieux.
Sidy Sakho.
Alpha – The Right to Kill de Brillante Mendoza. Philippines. 2018. En salles le 17/04/2019.