Huit années que nous n’avions plus de nouvelles ou presque. Depuis son précédent film, le très beau Poetry, récompensé du prix du meilleur scénario au Festival de Cannes, le nom de Lee Chang-dong s’est fait sacrément rare sur les affiches de cinéma, hormis au poste de producteur pour le premier film de sa protégée July Jung : A Girl at My Door. Notre film de l’année 2018, Burning, sort enfin en DVD et Blu-Ray chez Diaphana.
Publiée dans les pages du Times en 1983, la nouvelle de Murakami Haruki, Les Granges brûlées, raconte à la première personne la brève aventure d’un romancier et d’une jeune femme, et la relation de cette dernière avec son mystérieux nouveau petit copain. De ce postulat de départ, Lee Chang-dong transforme ce court récit énigmatique et le transpose dans la Corée d’aujourd’hui.
Exit donc le procédé de la voix intérieure, le cinéaste fait le choix judicieux de coller aux basques de son personnage principal, Jongsu, apprenti écrivain qui gagne sa vie comme coursier. Sur son itinéraire, il croise donc la ravissante Haemi, originaire de son quartier d’enfance. La relation à peine consommée, il se voit chargé de lui garder son chat durant son voyage en Afrique. A son retour, elle revient aux bras du séduisant Ben.
Construit tel un slow burner, Lee Chang-dong prend le temps de nous exposer son histoire de trio amoureux sur fond de disparités sociales pour glisser lentement mais sûrement vers un drame qui, dans ses aspects les plus sombres, s’apparente à un thriller.
Il met en opposition deux Corées, d’un côté des jeunes modestes sans sous et sans avenir qui vivent de petits boulots, issus d’une régions frontalières où l’on entend à longueur de journée les discours de propagande scandés dans les hauts parleurs des voisins nordistes. Et de l’autre, la jeunesse dorée de Gangnam, quartier huppé de Séoul, et affiché aux yeux du monde comme le modèle de réussite du système sud-coréen. Lee Chang-dong va surtout mettre en avant ce besoin de se sortir de cette condition, cette volonté ou plutôt le désir d’accéder à une élite bling bling par tous les moyens, quitte à s’y brûler les ailes. Un rêve qui s’apparente plus à un piège.
De cette manière, Lee Chang-dong aborde avec brio le genre populaire du thriller sans jamais endosser la panoplie, il le renouvelle de l’intérieur, bouscule les codes esthétiques et narratifs sans chercher non plus à lui trouver une forme nouvelle. Ce qui motive sa mise en scène sont ses personnages et les décors dans lesquels ils évoluent. Le film est fidèle au roman et il parvient à le sublimer tout en accentuant son contexte social et en lui donnant une résolution dramatiquement forte et symbolique.
A la vision de Burning on se dit que l’attente en valait vraiment la peine. Lee Chang-dong semble avoir trouvé dans la nouvelle de Murakami un terreau fertile pour y développer et y décrire la Corée contemporaine et renouveler par la même occasion un genre qui a fait la réputation de la cinéphilie locale et qui commençait à montrer quelques signes d’épuisement. On continuera pendant longtemps à se demander ce qui a pris au jury cannois d’ignorer un si beau film.
Martin Debat.
Burning de Lee Chang-dong. Corée. 2018. En vidéo le 05/02/2019 chez Diaphana.
Complément : un livret de 24 pages contenant interviews, textes sur le film, photos inédites…