LIVRE – Memories of Murder, l’Enquête de Stéphane du Mesnildot : Cold case

Posté le 5 décembre 2018 par

Le 11 juillet dernier, Memories of Murder, le deuxième film de Bong Joon-ho, avait eu les honneurs d’une édition prestigieuse éditée par La Rabbia. Celle-ci, en plus de proposer le long-métrage dans des conditions techniques irréprochables, avait réussi à rassembler un nombre assez conséquent de bonus, allant du plus simple module sur les costumes aux deux gros morceaux de choix : un documentaire indispensable de près d’une heure, revenant rétrospectivement sur la genèse et la production du film, et un passionnant making-of du sound design du film. La cerise sur le gâteau étant le story-board complet et traduit fourni dans l’édition prestige. A ce stade, le livre Memories of Murder, l’Enquête aurait pu s’apparenter à un complément d’information prompt à satisfaire le plus curieux des cinéphiles. Il n’en est absolument rien, et l’ouvrage de Stéphane du Mesnildot est tout simplement indispensable. 

 

Plutôt que de verser dans le simple fan-service de base (l’auteur connaît de toute évidence son sujet sur le bout des doigts), le livre propose au lecteur de se plonger dans la production du film, de l’ébauche du scénario à sa sortie. Il n’oublie pas non plus d’ ajouter un nombre assez impressionnant de documents iconographiques, et de restituer l’oeuvre dans son contexte historique et social.

Première bonne surprise, le livre est chargé jusqu’à la dernière page de photos de tournages, extraits du story-board et photos de repérages prises pendant la pré-production du film, le tout sur un papier glacé de qualité. Ceux qui seraient passés à côté du Blu-Ray ne seront donc pas lésés, ils pourront découvrir le travail accompli par le réalisateur sur le story-board, et le soin apporté aux décors qui reconstituent très fidèlement une époque révolue, celle de la Corée des années 80/90. On mentionnera aussi les coupures de presse de l’époque qui viennent nous rappeler que Memories of Murder est basé sur une sordide histoire vraie, et qu’il rend hommage aux victimes d’un tueur insaisissable.

Ensuite, le livre ne se contente pas de paraphraser ce que s’est déjà dit maintes fois sur le film et s’adresse aussi bien aux passionnés du long-métrage qu’à ceux qui souhaiteraient le découvrir, et le contenu se montre aussi ludique que didactique.

Le scénario se base sur une affaire de meurtres qui a ébranlé la région de Hwaseong de 1986 à 1991, avec un tueur en série qui viola et assassina dix femmes, et qui ne fut jamais arrêté. Si l’enquête policière est au centre du film et qu’elle se montre fascinante à suivre, Stéphane du Mesnildot a l’excellente idée de restituer ce fait divers dans son contexte socio-culturel, la fin des années 80 et le début des années 90. On découvre alors un pays au bord de l’implosion, avec un régime politique plus ou moins autoritaire et des manifestations étudiantes, auxquelles participera d’ailleurs Bong Joon-ho, et que celui-ci filmera au détour d’une scène dans Memories of Murder. C’est dans ce climat tendu qu’un tueur en série va sévir dans la campagne et instaurer un climat de terreur et de paranoïa, laissant la police désemparée et la population de moins en moins en moins encline à lui accorder sa confiance.

On ne le répétera jamais assez, mais Memories of Murder est le film qui a fait découvrir au grand public le cinéaste Bong Joon-ho. Une bonne partie de l’ouvrage est d’ailleurs consacrée à son parcours, autant professionnel que personnel. On découvre alors un enfant solitaire, peu épanoui dans un cocon familial assez austère mais qui va trouver une échappatoire à travers le cinéma, qu’il soit asiatique ou plus occidental, notamment le cinéma français. Sa filmographie est ensuite auscultée avec moult détails et anecdotes, comme lorsque l’on apprend que Barking Dogs aurait pu, à cause de son échec cinglant au box-office, sonner le glas de la carrière de son réalisateur. Si découvrir un cinéaste à travers le prisme de son oeuvre est toujours passionnant, le lecteur fait ici connaissance avec Bong Joon-ho comme jamais, l’homme ayant plutôt une tendance à la discrétion et à la retenue dans ses propos. Il n’y a qu’à voir le making-of accompagnant le film, dans lequel il se montre peu loquace quant à son oeuvre, laissant en toute modestie plus de place à ses collaborateurs. Il revient sur son enfance, ses influences, ses recherches approfondies sur l’affaire des meurtres et la difficulté de mettre en scène un film lorsque l’on est un jeune réalisateur et que l’on veut remettre sur le devant de la scène une série de crimes jamais résolus. Mais Bong Joon-ho va accomplir un exploit et s’entourer des meilleurs acteurs et professionnels, pour au final accoucher d’un pur chef d’oeuvre.

Le plus gros morceau du livre est d’ailleurs consacré à la production du film, des repérages au montage en passant par le choix des acteurs. Soyons honnête, rarement le film n’aura été autant ausculté et disséqué aussi profondément et méticuleusement. On découvre alors par exemple que le choix de l’acteur principal, Song Kang-ho, a pour ainsi dire apporté de la crédibilité au projet et à son réalisateur, que certains choix de costumes et de coiffures n’ont pas été faits par hasard (surprenante anecdote concernant le personnage du policier adepte du flying kick), et qu’il est difficile de tourner un film d’époque quand la modernité a envahi les campagnes et que rien ne subsiste de l’époque des crimes. Sans jamais tirer la couverture à lui, Bong Joon-ho laisse le champs libre à son équipe technique, mais n’oublie pas d’expliquer certains choix de mise en scène comme le plan-séquence en début de film, lorsque l’inspecteur découvre la scène de crime que ses collègues de la police sont en train de détruire sous la pluie. Le livre déborde d’anecdotes de tournages et d’explications de choix de mise en scène, et il donne envie de revoir le film, tant certains détails qui pourraient sembler anodins revêtent une importance surprenante. On retiendra notamment la première rencontre des trois inspecteurs, entre improvisation, direction d’acteur et talents pour la comédie.

Au final, l’ouvrage de Stéphane du Mesnildot n’aurait pu être qu’un magnifique objet de collection cinéphile (le livre est vraiment classieux), mais Memories of Murder, l’Enquête est une passionnante plongée dans ce qui fut et restera comme une pierre angulaire dans le renouveau du cinéma coréen, et un hommage au travail de toute une équipe au service d’un réalisateur exigeant et audacieux.

Romain Leclercq.

Memories of Murder, l’Enquête de Stéphane du Mesnildot. France. 2018. Disponible chez Actes Sud le 05/12/2018.

Imprimer


Laissez un commentaire


*