Jin-Roh, la brigade des loups marque pour Oshii Mamoru un retour au fil rouge qui irrigue sa carrière, la saga Kerberos. Il s’y intéresse aux Kerberos Panzer Corps, une unité de soldat en armure dans un Japon futuriste totalitaire. Oshii développa cet univers dès ses débuts et sur différents supports : deux films live expérimentaux avec The Red Spectacles (1987) et Stray Dog Kerberos Panzer Cops (1991) et le manga Kerberos Panzer Cop publié entre 1988 et 2000. Jin-Roh était justement supposé adapter le premier volume du manga en film d’animation mais Oshii est débordé par le tournage de l’œuvre qui le consacrera à l’international, le classique cyberpunk Ghost in the Shell (1995). Il décide donc de confier le projet au jeune Okiura Hiroyuki, son très doué directeur d’animation sur Ghost in the Shell. Okiura, flatté, n’accepte la proposition qu’à condition de pouvoir réécrire le scénario et l’imprégner de sa sensibilité. L’un des changements majeurs sera donc l’histoire d’amour qui amène une tonalité différente à l’univers tortueux de Oshii Mamoru.
Jin-Roh revisite le conte du Petit Chaperon Rouge dans un Japon uchronique au lendemain d’une défaite face à l’Allemagne nazie. Le film effectue ainsi un retour vers le passé par rapport à l’univers futuriste de Kerberos tout en l’inscrivant dans l’imaginaire avec ce contexte politique. L’interprétation du conte par Oshii illustre bien l’hésitation entre anarchie et totalitarisme qui court tout au long de sa filmographie. Patlabor (1989) dépeignait une société japonaise dont les traditions étaient balayées sur l’autel de la modernité mais la seule réponse était un dangereux virus informatique semant le chaos. Patlabor 2 (1992) montrait la facilité du pays à retrouver ces réflexes totalitaire et militariste dès lors qu’il était menacé avec un terroriste provoquant la loi martiale. De manière générale, la méfiance et la fascination d’Oshii pour l’imagerie militaire provoque souvent un sentiment ambigu. Dans Jin-Roh, cela se révèlera à travers une histoire d’amour tragique. L’anarchie est représentée par les « chaperons rouges », jeunes femmes transportant des bombes pour La Secte, groupuscule révolutionnaire en lutte contre le gouvernement. Le totalitarisme de cet Etat est symbolisé par la brigade POSEM et plus précisément par son unité la plus redoutable, les Panzer Corps. L’un d’entre eux, Fusé, vacille en pleine opération et hésite à abattre un « chaperon rouge » kamikaze. Ayant échappé de peu à la mort, Fusé est hanté à la fois par cette marque de faiblesse inattendue mais surtout par les traits juvéniles et déterminés de la disparue. En rencontrant et en tombant amoureux de sa sœur Nanami, il pense peut-être pouvoir apaiser son âme.
Tout au long du récit se fait entendre en voix-off une récitation de l’interprétation la plus tragique du conte où Oshii se trompe d’ailleurs en usant de la couverture du Rotkäppchen des Frères Grimm qui lui donnait une fin heureuse au contraire de Charles Perrault . Le scénario brouille en effet les pistes en montrant le « loup » Fusé incapable d’abattre/dévorer le Petit Chaperon Rouge et céder à la naïveté de ce dernier quand il tombe amoureux de Nanami dont la douceur de caractère ne fait pas oublier une première apparition où elle arbore le fameux imperméable rouge. Le conte va donc se rejouer cruellement pour servir des intérêts plus haut placés, une lutte de pouvoir quant au démantèlement des Panzer Corps. Fusé et Nanami, réellement amoureux semblent vouloir dépasser les archétypes modernes du conte dans lesquels ils s’inscrivent. Okiura instaure une atmosphère à la fois oppressante et romantique, l’imagerie hivernale servant une belle mélancolie portée par le score de Mizoguchi Hajime. La veine plus désabusée d’Oshii pèse également, les nombreuses allusions à la nature fourbe du Loup déguisé en homme laissant présager une interprétation plus sombre. La tenue des Panzer Corps rappelle cette parenté animalière, le masque et les yeux rouges évoquant le regard, la gueule et le museau du loup tandis que le casque rappelle la parenté militaire germanique de ce passé alternatif. La force interprétative tout comme le contexte politique imaginé par Oshii s’illustrent avec une force évocatrice puissante par ce seul uniforme.
Jin-Roh constitue également un remarquable thriller d’espionnage questionnant le Japon. Nos deux héros sont manipulés par deux factions se déchirant entre le maintien d’un joug militaire « nécessaire » ou un régime politique calculateur et guère plus rassurant. Oshii a une vision cynique du pays ballotté entre oppression et corruption, le regard romantique d’Okiura semblant apporter une voie médiane par les sentiments. Le scénario ne choisit pas entre leurs deux interprétations et si le retour à l’ordre se fait dans une brutalité implacable en soumettant le collectif, le loup semble être redevenu un homme amoureux et brisé lors de l’épilogue sacrificiel.
Justin Kwedi.
Jin-Roh, la brigade des loups de Okiura Hiroyuki. Japon. 1999.