Invasion de Kiyoshi Kurosawa : Dead End Run (en salles le 05/09/2018)

Posté le 7 septembre 2018 par

Alors que Avant que nous disparaissions est toujours dans les mémoires, le maître japonais opère une variation dans le même univers, Invasion, sorti en salles le 5 septembre. Cet intriguant objet nous permet d’apprécier comment Kurosawa Kiyoshi nous offre un autre angle sur une fin que nous connaissons déjà.

Le métrage nous propose de suivre un jeune couple modeste, Etsuko (Kaho) et Tatsuo (Sometani Shota) dans leur quotidien qui bascule petit à petit dans la folie de la fin du monde à l’aune d’une invasion extraterrestre. Si le métrage n’est pas aussi fou que le précédent, ni aussi expérimental, il parvient quand même à nous saisir par douce étrangeté parsemée çà et là, que le cinéaste japonais maîtrise à un niveau de virtuosité peu commun. En effet, l’invasion ici se joue dans les tourments d’un couple, elle est introspective et insidieuse. L’amour reste le centre de gravité de l’œuvre comme le concept inébranlable qui sauve l’humanité mais pas forcément les hommes. Dans les zones grises qui entourent cette émotion phare, il existe un spectre de troubles, de psychoses, de doutes qui font la matière du film et de sa mise en scène. Etsuko trouve le comportement de son mari étrange comme dans un drame amoureux éthérée avec le délitement du couple comme moteur esthétique. Mais Kurosawa déjoue cela par des touches succinctes de fantastique qui font basculer l’œuvre petit à petit dans une exploration sombre de l’âme humaine. Ce qui est cohérent dans la démarche du cinéaste depuis son retour avec Shokuzai. Les fantômes ne sont plus des jeunes femmes flottantes, mais des symptômes d’un mal indicible qui n’a comme explication que l’absurdité même de l’existence. Ainsi l’alien évoque autant le voisin psychopathe de Creepy, que le tueur de Shokuzai. Il n’y a plus de raisons au mal chez Kurosawa, seulement ses effets. Et c’est sur la vision des répercussions du mal que se joue le film.

La mise en scène de Kurosawa s’amuse à chercher l’anomalie, l’étranger, l’erreur, donc le mal qui ronge le personnage mais nous offre toujours des corps perdus dans des espaces vides. Les légers plans-séquence du cinéaste japonais nous permettent d’apprécier ce malaise d’une présence invisible, d’une constante oppression. Cette volonté se ressent également dans l’évolution de la photographie et des couleurs du film, qui semblent passer de l’orange et bleu, au gris et au noir. La fin du monde se prépare dans les recoins des ruelles japonaises, dans les quartiers résidentiels, dans les couples modestes. La fin du monde s’effectue à travers ce Japon silencieux voire endormi. Ils n’ont même pas conscience de disparaître jusqu’à ce qu’il ne soit trop tard. Ce n’est pas un hasard si le premier évènement fantastique est causé par la vision d’Etsuko (seul personnage qui n’est pas touché) d’elle-même devant un miroir. C’est la conscience de sa propre existence dans le monde qui la trouble, et qui justement lui permet de se sauver dans une certaine mesure. Le dispositif de Kurosawa se développe ainsi par des mouvements subtils et des jeux de cadres, de miroir, de découpage de l’espace qui, quand ils se succèdent, nous plongent dans un cauchemar qui devient réalité.

Invasion est donc le versant sombre et pessimiste de l’univers fou et euphorique de l’œuvre précédente. Si l’amour peut nous sauver des extraterrestres, peut-il nous sauver de nous-même ? Non, selon le métrage, mais il rend au moins l’existence plus supportable avant que nous disparaissions.

Kephren Montoute.

Invasion de Kurosawa Kiyoshi. Japon. 2017. En salles le 05/09/2018.

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