Huit années sans nouvelles et voilà que débarque Lee Chang-dong, l’auteur des magnifiques Oasis et Poetry, au Festival de Cannes avec dans ses bagages une magnifique adaptation de la nouvelle de Murakami Haruki, Les Granges brûlées. L’occasion était trop belle et nous ne pouvions manquer une telle rencontre. Une petite mise au point avant de découvrir le film en salles. Ne faisons pas comme le jury cannois surement trop blasé et faisons honneur à l’incandescent Burning en achetant son ticket de cinéma !
Comment avez-vous découvert la nouvelle de Murakami Haruki, Les Granges brûlées ?
En fait c’est la chaîne de télévision NHK qui m’a fait l’offre au tout début. Ils souhaitaient produire pour le cinéma une nouvelle de l’auteur Murakami, et m’ont demandé si je voulais en faire l’adaptation. Ma scénariste, Oh Jung-mi, celle avec laquelle j’ai travaillé su ce film, m’a conseillé Les Granges brûlées. Ce que j’ai aimé est que la nouvelle est courte, ambiguë et énigmatique. Je me suis dit que je pouvais développer ce petit mystère dans la nouvelle en un plus gros.
Et qu’est-ce qui vous a séduit dans ce texte ?
Pour être plus précis, j’ai été séduit par cette idée de granges qui sont considérées comme inutiles, et qui sont donc brûlées. Ces mots sont cités dans le film. Je trouve que l’adjectif inutile est à la fois lourd de sens et effrayant. Parce que je me demandais s’il ne s’agissait vraiment de granges, ou si c’était une métaphore pour décrire autre chose, par exemple un être humain. Cela viendrait à dire qu’il y a des gens qui sont inutiles, qui ne servent à rien. Je me suis dit que c’était effrayant de pouvoir juger des gens ainsi.
Votre film est assez fidèle à la nouvelle, comment s’est passé le processus d’adaptation ?
Dans la nouvelle, il y a effectivement la scène de pantomime, mais il n’y a pas de précisions sur le mode de vie des personnages. J’ai commencé à les développer afin de les rendre plus palpables, plus réalistes.
Et comment avez-vous adapté l’œuvre dans un contexte coréen contemporain ?
Ça parle de jeunes qui vivent dans la Corée actuelle. Je devais me concentrer sur les problèmes que rencontrent ces jeunes.
Était-ce une façon pour vous de parler le fraction sociale qui divise la Corée aujourd’hui ?
Il ne s’agit pas seulement de différences de classes. elles existent. Pourtant la fraction sociale ne concerne pas seulement la Corée mais elle est internationale. Il y a en effet de plus en plus d’inégalités et le fossé se creuse. Mais le problème est que par rapport au passé on ne les voit pas réellement. Il y a bien un problème, le monde ne tourne pas rond et pourtant nous ne parvenons pas à l’identifier. Il y a le personnage de Ben, il conduit une Porsche, une sorte de Gatsby, et en face de lui, Jong-Soo, qui lui ne semble pas avoir d’avenir. Et en fait on a l’impression qu’ils peuvent vraiment devenir amis. C’est ce monde-là dans lequel on vit. Il y a en effet un grand contraste entre les deux, notamment dans la scène ou Jong-Soo suit la voiture de sport de Ben dans son vieux camion et pourtant, ils boivent dans le même café, côte à côte, écoutent la même musique de jazz.On vit dans un monde différent de celui d’avant, un monde où les frontières sont plus floues. C’est le mystère du monde dans lequel on vit.
La différence se situe peut être dans le désir. Dans le film, la jeune femme interprétée par Jeon Jong-seo est l’incarnation de ce désir qui est vécu de manière opposée par les deux personnages…
En effet, c’est possible. On n’a pas la certitude que Ben considère Haemi comme un jouet. Ben peut être un individu de sang froid, une sorte de tueur en série, mais il peut aussi être un jeune homme bienveillant, issu d’un milieu aisé. Ça, personne ne le sait. C’est le fait de ne pas pouvoir savoir qui il est réellement qui est effrayant. Parce que c’est un mystère qui n’est pas élucidé. Jong Soo lui se sent d’autant plus impuissant, et il a la rage de ne pouvoir savoir qui est vraiment Ben.
On peut dire que vous prenez à rebrousse-poil le polar coréen…
Mon intention n’était pas de réaliser un thriller, mais je voulais en tout cas proposer une expérience cinématographique qui était différente. Les films de mystère, policiers, suivent en général une affaire, et se terminent sur la résolution de cette énigme. Pour ma part j’ai refusé d’aboutir à ce type d’élucidation, parce que l’on ne résout pas les mystères de la vie ainsi. Je voulais montrer que ce mystère était lié à ceux de nos vies et du monde et qu’il ne pouvait être élucidé.
Pouvez-vous nous parler de votre jeune actrice Jeon Jong-seo ?
Le personnage de Haemi est un personnage qui trime dans la vie. Elle vit de petits jobs, mais au lieux d’économiser, elle décide de dépenser son argent dans un voyage en Afrique. Cela correspond beaucoup au mode de vie des jeunes d’aujourd’hui. On ne sait pas trop si ce que dit le personnage est vrai ou si c’est un mensonge. C’est pourtant une personne qui cherche le sens de la vie réelle. Elle est très sérieuse finalement. C’est pour cela que j’ai choisi une actrice non professionnelle. Pour que l’on n’ai pas d’a priori vis-à-vis du personnage et que l’on se pose des questions sur elle et celle qu’elle interprète. On l’a sélectionné au travers d’une audition. Il y a eu beaucoup de candidates. Avec Jeon Jong-seo, j’ai eu l’impression d’avoir une page vierge en face de moi. Quelqu’un de très ambigu, elle a une forme de dichotomie en elle, on ne sait pas très bien qui elle est. Elle dégage une sorte de valeur, elle a un mode de vie bien à elle. C’est en tout cas ce que j’ai ressenti quand je l’ai rencontrée.
Il y a cette scène pivot au cous de laquelle les trois personnages déjeunent dans la ferme de Jong-soo. Que souhaitiez-vous décrire dans cette scènes ?
Cette scène apparaît au milieu, elle est pour moi le noyau du film. A ce moment on se demande si le personnage de Ben brûle vraiment des granges, s’il parle vraiment de granges ou d’autres choses. A travers ce questionnement on s’interroge sur le mystère de la vie. Je voulais montrer dans cette scène tous les éléments de la vie et le fait qu’ils ne soient pas tous visibles renvoie à ce questionnement sur le mystère de la vie. On y trouve toutes sortes d’éléments de la nature, l’eau… et pourtant, bien qu’elle soit enivrée après avoir fumer de l’herbe, Haemi danse une chorégraphie qui date de la nuit des temps dans le désert de Kalahari, elle l’interprète à sa façon. Ce n’est pas une danse destinée à attirer l’attention, elle vient du plus profond de son être, une danse instinctive, la danse originelle, primitive, cela démontre le désir primaire qu’elle exprime.
Quels sont vos futurs projets ?
J’ai quelques projets en tête, mais j’ignore par lequel je vais commencer. A chaque fois je me demande si l’histoire que je vais traiter est vraiment nécessaire. Il faut que je sois convaincu du projet pour que je me lance. Il faut que je le sois rapidement pour lancer mon prochain projet.
Propos recueillis par Martin Debat le 27/07/2018 à Paris.
Traduction : Kim Yejin
Photos : Martin Debat
Remerciements : Morgane Paul et Kim Su-jin.
Burning de Lee Chang-dong . Corée du Sud. 2018. En salles le 29/08/2018.