La ressortie en salles, par Carlotta, du désormais classique Made in Hong Kong fait aujourd’hui figure d’événement. Restauré par le Far East Film Festival d’Udine pour les 20 ans de sa première projection, il permet une relecture de l’œuvre et de mieux la contextualisé dans son époque et la filmographie de son auteur.
LIRE NOTRE RENCONTRE AVEC FRUIT CHAN ICI
Depuis l’aube de la Nouvelle vague hongkongaise à la rétrocession à la Chine, le cinéma hongkongais regorge de récits cinématographiques sur ses jeunes tumultueux et rebelles. Bon nombre de cinéastes ont su renouveler cette vision, chaque époque apportant son lot de mirages et de désenchantement, chacun y apportant un regard critique ou cherchant à surfer sur un genre plébiscité par le public cible. En 1999 sort sur les écrans français un film réalisé par un jeune cinéaste de l’ancien archipel britannique qui va parvenir à se démarquer de ce foisonnement de titres et de cinéastes talentueux : il s’appelle Fruit Chan. Nous sommes alors en plein boum du cinéma HK, grâce notamment la revue du même nom et nous découvrons à rebours une cinématographie tellement riche dans laquelle auteurs et cinéastes populaires sont capables de fusionner et s’interchanger avec une réelle aisance. Il s’agit d’un cinéma hyper codifié et qui pourtant laisse suffisamment d’espace à ces réalisateurs pour s’exprimer. Ce film en question affiche sans contrefaçon dans son titre son appartenance. Nous sommes bien dans un film Made in Hong Kong. Produit par Andy Lau, immense star de la Canto pop et acteur de premier plan – il a lui-même commencé adolescent sa carrière devant la caméra, alternant films d’auteur et blockbusters locaux. Un atout pour lancer un jeune cinéaste. Il s’agit ici du troisième long métrage de Fruit Chan, qui a déjà derrière lui une belle carrière d’assistant réalisateur. Il a travaillé entre autres aux côtés de Sammo Hung et sur Runaway Blues de David Lai, un film d’action désabusé sur des jeunes rebelles avec Andy Lau.
Bien que Made in Hong Kong respecte scrupuleusement les règles du genre, avec son jeune rebelle attachant, ses petits larcins, ses rêves, son romantisme juvénile et sa fin tragique, on constate que le film a une patine bien à lui. Ne cherchant pas à singer les cinéastes locaux qui se sont distingués dans le genre, il oscille entre style presque naturaliste et un goût pour les images léchées. Fruit Chan trouve son point d’équilibre avec un traitement qui rappelle certains films du cinéaste japonais Iwai Shunji tout en conservant une esthétique typique du cinéma HK des années 90. Il se différencie aussi par son ton, presque indolent, énergique et son humour qui fait même quelques emprunts aux gags de Toriyama Akira lorsque Ping soulève sa jupe devant Ah Pung et que ce dernier se met à saigner du nez comme Tortue Génial avec Bulma. Nous sommes durant le métrage dans des lieux bien familiers de Hong Kong, et pourtant ces derniers paraissent presque inconnus sous la caméra de Fruit Chan, tels de nouveaux territoires défrichés. Le film reste la plupart du temps localisé dans ces quartiers populaires de Hong Kong, dans ces barres d’immeubles en béton. Et c’est sur le terrain de basket au pied de ces tours que nous faisons la connaissance de Mi-Août (Sam Lee alors jeune débutant), un voyou qui a abandonné le lycée. Il joue les caïd protégeant son ami Ah Lung, un grand simplet, souffre-douleur des jeunes du quartier, et abandonné par ses parents. Ils gagnent leurs vie en tant que recouvreurs de dettes pour un chef de triade qui n’en assume pas le titre. C’est au cours d’une de ces missions qu’ils vont faire la connaissance de la charmante Ping, ado énigmatique à la coupe garçonne et la tête de chat. Le jour ou Ah Pung va ramener les lettres d’une suicidé croisé sur son chemin, le quotidien de notre trio adolescent va s’en trouver bouleversé.
Fuit Chan porte un regard sincère et touchant sur ses personnages, les filme à leur hauteur, n’ajoutant aucun pathos inutile. Au contraire, ces ados s’accordent parfaitement à cet environnement dans lequel les habitants vivent entassés dans des appartements exigus qui ne laissent guère de place à l’intimité. Des lieux cloisonnés et souvent ouverts, les voisins se mêlant facilement de la vie des autres, et se cachent dès que le vent tourne ou le danger rôde. Un environnement dans lequel Mi-Août évolue tel un maître des lieux, un monde dont il connaît et maîtrise les codes. Et dans cet âge de transition, trop conscients de ce qui les attend, les adolescents prennent le parti de vivre à fond, intensément, ces moments qui les séparent de la vie de leurs parents. Des familles déstructurées constituées de mères débordées, endettées ou démissionnaires. La santé précaire de Ping agit tel un couperet, sans avenir à long terme, et met en relief une société trop cruelle pour que la jeunesse puisse y grandir de manière épanouie. L’autre figure féminine, fantomatique, celle de la suicidée semble perturber le jeune Mi-Août, peu enclin à remettre les derniers vœux de la défunte à ses destinataires. Quand il consentira à rendre la première, elle ne fera que confirmer son désir de marginalité devant l’absence de réaction de cette figure d’autorité, qui révèle avec dédain son hypocrisie et son manque d’affect.
Le terrain de jeux du trio d’adolescents deviendra la dernière demeure de la jeune fille, le cimetière en plateau sur les hauteurs de Hong Kong. Une façon pour eux de l’intégrer d’une certaine façon dans leur groupe d’amis, et de faire un pied de nez à la mort, qui semble être pour eux l’unique issue. A cela s’adjoint ce geste romantique adolescent, celui d’une promesse de tenir le chevet de l’être aimé dans ses derniers moments, et de conserver une relation pure. Il y a un désir réel entre les deux amoureux, et il ne sera pourtant jamais consommé. Mi-Août vivra selon lui quelques infidélités nocturnes avec la spectre. Il est d’ailleurs amusant de voir de quelle manière Fruit Chan introduit l’histoire de fantôme dans son récit, de manière très métaphorique, tout en parvenant à articuler son récit autour de quelques ressort dramatiques typiques du genre sans toutefois dénaturer sa propre vision.
Made in Hong Kong a presque une valeur testamentaire. Tourné en 1997, l’année de la rétrocession de l’archipel à la Chine continentale, ce film cristallise nettement les craintes envers l’avenir, et milite d’une certaine façon pour l’identité culturelle de Hong Kong et son mode de vie guère soluble avec le communisme chinois. Il montre déjà des passerelles trans actionnaires pour des affaires louches entres Hong Kong et la Chine. Un sujet qui sera traité dans le dytique Election de Johnnie To.
Fruit Chan développera de son côté cette période transitoire en faisant de Made in Hong Kong le premier volet d’une trilogie comprenant les très bons Little Cheung (1999) et Durian Durian (2000).
Made in Hong Kong jouit à présent d’un nouvel écrin numérique, ce qui nous permet, nous spectateurs, de revoir et mieux encore de découvrir un film essentiel du cinéma HK. Une occasion unique de se rappeler combien ce cinéma est riche, foisonnant, vivant et si unique. Fruit Chan par la suite démontrera sa versatilité enchaînant films d’auteurs et films de genre ou bien l’inverse. En espérant que cela permettra à des œuvres moins connues du cinéaste de sortir chez nous.
Martin Debat.
Made in Hong Kong de Fruit Chan. Hong Kong. 1997. En salles le 09/05/2018.