Présenté au Festival d’Okinawa, Please Remember Me de Peng Xiaolian révèle au travers de sa douce histoire d’amour, une profondeur et une intelligence assez incroyables.
C’est l’histoire de deux jeunes gens de Shanghai, ville en perpétuel changement à l’image d’une Chine qui s’ouvre. Cai Yun est une jeune actrice qui vient de la campagne chercher la célébrité. Ai Wei, lui, filme dès qu’il peut, interview les anciennes gloires du cinéma chinois qui le fascine. Il vit dans une « Nail House », ces fameux anciens bâtiments qui survivent au milieu de la modernité. La tenancière, qui tanne Ai Wei pour son loyer, résiste tant bien que mal à la démolition.
Peng Xiaolian filme d’emblée les personnages au milieu de ruines, dans ces pièces que le temps à fait tomber dans l’oubli. Plus personne ne semble être présent. On n’y observe pratiquement que la tenancière caractérielle et son jeune fils, Ai Wei et Cai Yun. En fond, les grands buildings de Shanghai se dressent fièrement, les lumières attirent l’œil, pendant que certains luttent, la nouvelle ville prospère.
Ce parallèle dressé révèle élégamment les lignes directrices de Please Remember Me : la mise en relation permanente entre passé et présent, la lutte contre l’oubli d’une ancienne ville, d’un cinéma que plus personne ne regarde.
Peng Xiaolian filme avec tendresse et pudeur l’idylle naissante entre Cai Yun, l’extravertie, et Ai Wei, l’artiste taiseux. D’abord amis, c’est l’amour du cinéma et plus particulièrement celui des années 40 qui va attiser la flamme. Dans Please Remember Me, le cinéma est source de bouillonnement autant qu’apaisement. Il attise autant qu’il éteint. Il est le vecteur de tout. Grace au 7ème art, les personnages subsistent, se souviennent, aiment, désirent, ils ressentent plus intensément leur vie. Ce bâtiment à l’abandon, décor de studio magnifique, organique, devient le symbole du cinéma qu’Ai Wei essaie de sauver de l’oubli, de cette ville qui change, de cet amour qui naît et qui s’effrite sous nos yeux.
Le décor donne un aspect presque désuet au long métrage, et c’est exactement là que Peng Xiaolian veut amener le spectateur. Please Remember Me devient une mise en abyme vertigineuse. Toute l’œuvre, de son scénario à sa mise en scène, se construit comme un film chinois de l’âge d’or. On y retrouve les personnages classiques de la tenancière récalcitrante, du couple vedette. Le mélodrame feutré qui se joue prend une tout autre dimension. Le titre prend tout son sens, on ressent l’urgence de se battre contre l’oubli, mais plus seulement celui des personnages. La classe de Peng Xiaolian et son amour pour un cinéma et une ville qu’elle a toujours défendus donne au mélodrame des allures de manifeste. Cette mise en abyme permet de rendre un hommage vibrant autant qu’elle démontre que ce cinéma n’est pas mort, qu’il peut continuer d’exister et que tant que les artistes et les gens continueront d’en parler, il ne peut s’éteindre.
Please Remember Me est un film protéiforme. De cette mise en abyme fabuleuse, le film rebondit sur un vibrant documentaire. Dans cette volonté de perpétuer le souvenir, le témoignage semble des plus approprié. Il y a une démarche incroyablement sensible derrière cette idée. Le personnage d’Ai Wei devient une personnification de Peng Xiaolian. Il filme un documentaire sur Zhao Dan, gloire du cinéma chinois de l’âge d’or et emprisonné pendant 5 ans pendant la seconde guerre sino-japonaise. Son histoire d’amour avec l’actrice Huang Zhongying devient le miroir de celle de Cai Yun et Ai Wei pendant que les témoignages vibrants se succèdent face caméra. Au-delà de l’émotion suscitée par les récits de Huang Zhongying et des autres, Peng Xiaolian appuie sur le devoir de mémoire du cinéma, tente de mettre en garde une industrie qui devient tout aussi titanesque que la ville de Shanghai. La description du cinéma contemporain qu’elle dresse démontre son inquiétude face à une déconnexion presque totale de la part des acteurs de cette industrie. Tout tourne autour de l’obsession de la richesse, des apparences. A sa manière, Peng Xiaolian fait ce que des artistes comme Jia Zhangke ou Cai Shangjun font : montrer la montée d’un capitalisme sauvage.
Ne pas oublier ce cinéma et les fondements de cette ville se mue en un acte de résistance. Le titre sonne comme une supplication, pourtant Please Remember Me est un élégant, digne et mélancolique appel à la lutte.
Jérémy Coifman.
Please Remember Me de Peng Xiaolian. Chine. 2018.
Présenté au 10eme festival international du film d’Okinawa. Toutes les informations ici.