La rétrospective mise en œuvre au Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul (FICA) autour du réalisateur Wang Xiaoshuai nous a permis de redécouvrir le cinéaste mais surtout de constater à travers son regard singulier l’évolution de son pays, la Chine. Nous évoquons avec lui sa carrière et son regard sur le monde qui au rythme des bouleversement de la société chinoise. Des milieux étudiants en Art des années 80 à l’aliénation des villes en passant par la révolution culturelle, le cinéaste a radiographié les différentes Chine.
Quel est votre parcours avant votre rencontre avec le cinéma ?
J’ai fait mes études aux Beaux-arts jusqu’à 18 ans en suivant les conseils de mon père. Puis quand j’ai eu 18 ans et que je pouvais choisir ce que je voulais vraiment faire, j’ai arrêté tout de suite pour me consacrer au cinéma.
Comment s’est déroulée la transition ?
En 1984, il y avait la 5e génération de cinéastes. J’ai beaucoup été influencé par cette génération. Les jeunes de l’époque voulaient vraiment apprendre et connaître de nouvelles choses. J’ai donc choisi d’étudier le cinéma à l’université.
Quel est votre sentiment sur la 6e génération et son évolution dont vous faites partie ?
Les cinéastes de la 6e génération sont tous nés pendant les années 60, donc durant la Révolution Culturelle. Nous n’avons pas connu beaucoup de choses. Mais nous étions étudiants durant les années 80. Et on dit en Chine que c’est la meilleure décennie, la décennie la plus libre. Il y a des idées américaines et européennes qui sont entrées en Chine à cette époque. Nous avons beaucoup été influencés par ces idées. Les Chinois sont devenus dès lors beaucoup plus individualistes, contrairement aux générations précédentes qui pensaient au profit collectif. La grande différence entre la 5e et la 6e génération, c’est qu’on passe de la pensée de groupe à l’individu.
Au-delà des spécificités générationnelles, comment voyez-vous l’évolution du cinéma de votre génération entre l’effervescence des années 80/90 et ce que font des cinéastes comme Lou Ye ou Jia Zhang-ke aujourd’hui ?
Je ne sais pas trop comment répondre à cette question. Il y avait une vraie différence entre la 5e et la 6e génération. Le monde avait changé. Maintenant je ne sais pas comment parler précisément de cette évolution. Mais par exemple, Lou Ye au début a fait des films commerciaux, au moins deux. Puis il s’est rendu compte et a changé. Après ce n’était plus si commercial que ça…
Le FICA de Vesoul nous permet de nous plonger dans l’ensemble de votre œuvre. Et on l’on constate qu’il y a un fort contraste entre vos premiers films qui s’ancrent dans le milieu des jeunes artistes chinois puis de vos derniers films qui sont très sociaux. Votre filmographie est-elle à l’image du cheminement la Chine contemporaine ?
Oui, je me suis toujours dit que je dois faire des films en suivant le développement de la société. C’est que j’essaie de faire. Ça donne vie à mes films. Dans ma jeunesse ce sont mes expériences personnelles qui dominaient mes films (Frozen, The Days) puis avec l’âge, j’ai commencé à vouloir dépeindre la société et la politique. Avec des évènements ou des motifs beaucoup plus sociaux.
Dans votre cinéma, cela se traduit par une importance de l’espace urbain et une vision intime de la ville. Quel est votre rapport à ces nouveaux espaces qui sont significatifs à l’aune de l’histoire récente de la Chine ? Comment pensez-vous votre mise en scène face à ces grandes villes ?
Les réalisateurs de ma génération ne s’approprient pas vraiment les grandes villes car quand nous étions jeunes, nous ne vivions pas dans ce genre d’espace. J’ai fait mes études dans une grande ville, et je connais cet espace. Il m’influence beaucoup, et me permet de réfléchir à ma mise en scène.
Dans vos premiers films on peut ressentir l’influence de Jim Jarmusch, ou du moins de la Nouvelle Vague. Alors que les derniers nous évoquent un cinéaste comme Kore-eda. De quels cinéastes vous sentez-vous proche ? Et quelles sont vos influences cinématographiques ?
Je crois que Jim Jarmusch a commencé un peu avant moi. Mais je ne sais pas trop. Qui serait proche de moi selon vous ? [Après avoir mentionné Ozu, Kurosawa et Kitano Takeshi. Il trouve le nom de Kore-eda en chinois]. Oui, je crois que je suis assez proche de lui. J’ai vu 2 ou 3 films. Et j’aime bien Notre petite Sœur.
Quand les jeunes font des études de cinéma, on se concentre souvent sur le cinéma européen et la Nouvelle Vague en France. Mais quand on commence vraiment à faire des films, on retourne en Asie. Et Ozu est pour moi le cinéaste qui représente le mieux cela, c’est le cinéaste le plus asiatique.
Vous avez fait des études aux Beaux-arts, au-delà des influences cinématographiques, avez-vous des références dans l’art contemporain ? Et certains de vos films sont filmés dans la ville sans autorisation, est-ce que cela peut être vu une continuation de vos performances artistiques ?
Oui. Surtout à partir de 2003, où le cinéma d’auteur chinois a réussi à trouver un public en Chine. Avant cela, il était très difficile pour nous de vivre de nos films, à cause de la censure. Mais maintenant, chaque cinéma à son public, et mes films sont le prolongement de mon art, donc oui.
Justement, est-ce que c’était important pour vous de créer ces images de la jeunesse intellectuelle/artistique chinoise dans vos premiers films ? Pour des Occidentaux, ces images sont très intéressantes car nous n’avons pas cette vision de la Chine.
Oui la société chinoise a connu des changements brutaux. Dans une partie des films que vous avez vu, vous découvrez des images de la Chine qui sont peu communes pour les Occidentaux. Je voulais que les spectateurs voient ces images de la Chine, ces situations. Je ne regrette pas. Je suis très content de retrouver cette époque en revoyant mes films.
Vous avez aussi dit à la projection de Frozen que vous étiez motivé par la colère. Est-ce que c’est toujours la colère qui vous anime quand vous abordez la Révolution Culturelle récemment ? Et pourquoi insister sur cette période ?
Je pense qu’au-delà des bons ou des mauvais côtés d’une société, nous devons toujours nous confronter à nos problèmes. Le gouvernement chinois ne résout pas les problèmes positivement selon moi. En tant que réalisateur, je me sens responsable. Je dois faire passer un message.
Dans Red Amnesia, vous abordez la Révolution Culturelle mais le film n’a pas connu une grande censure. Est-ce que le sujet est devenu moins sensible ?
La censure est devenue plus souple parce que la société « mainstream » se préoccupe désormais de faire de l’argent ou de l’économie. Mais ça veut dire qu’on a réussi à faire rentrer ce genre de film dans « le marché ». Il y a également aujourd’hui une double lecture de la Révolution Culturelle. Actuellement, il existe des gens qui croient que la Révolution Culturelle était bénéfique et d’autres qui disent que c’était une catastrophe.
Le gouvernement a toujours dit que la révolution était une catastrophe, il y a toujours eu un tabou sur la représentation de cette partie de l’histoire.
Est-ce toujours un tabou ?
En public oui, on peut désormais aborder le sujet librement dans les cercles privés. Mais il ne faut pas attirer l’attention sur le sujet dans des œuvres ou des déclarations publiques. Il y a quand même un changement de paradigme. Avant, la Révolution Culturelle était présentée comme un grand drame par les manuels d’histoire, aujourd’hui on parle juste d’une « longue période difficile ». Il y a donc toujours un problème pour les autorités chinoises d’affronter la réalité de notre histoire.
Que pensez-vous de la jeune génération de cinéastes chinois comme Bi Gan ou Vivian Qu ?
Pour l’instant Bi Gan n’a fait qu’un seul film…J e suis curieux de voir son deuxième. Mais dans cette génération, je pense qu’il y a beaucoup de réalisateurs qui méritent l’attention que l’on porte à Bi Gan. Par exemple Vivian Qu comme vous l’avez dit. Il y a tellement de jeunes réalisateurs qui méritent plus d’attention…
Quel est le dernier film que vous avez vu ou apprécié ?
Seule sur la plage la nuit de Hong Sang-soo.
Avez-vous de nouveaux projets ?
En décembre dernier, j’ai fini le tournage de mon prochain film.
Propos recueillis par Victor Lopez et Kephren Montoute, avec la participation de Liu Han à Vesoul, le 03/02/2018.
Traduction : Thomas Zhao.
Photos: Kephren Montoute
Retranscription: Kephren Montoute
Remerciements : Bastian Meiresonne, Célia Parigot.
Hommage à Wang Xiaoshuai : The Days (1993), Frozen (1994), So Close To Paradise (1998), Beijing Bicycle (2001), The New Year-Segment de After The War (2006), La Dérive (2003), Shanghai Dreams (2005), Une Famille Chinoise (2007), Chongqing Blues (2010), 11 Fleurs (2011), Red Amnesia (2014) de Wang Xioashuai.