PIFFF 2017 – Shin Gojira de Anno Hideaki & Higuchi Shinji : Tiny Hands

Posté le 10 décembre 2017 par

De si petites mains et les dégâts qu’elles entraînent. L’un des deux succès foudroyants du box office japonais en 2016 avec Your Name de Shinkai Makoto, Shin Gojira aura tout écrasé sur son passage, par son budget, son studio, Toho, et le tandem AnnoHiguchi. On ne présente plus Anno Hideaki, maître d’œuvre de Neon Evangelion, mais aussi réalisateur de Cutie Honey ; quant à Higuchi Shinji, héritier de Eiji Tsuburaya, on lui doit l’inénarrable Attack of The Titans.

Anno, également scénariste du film, aura misé sur un retour au premier film de la série, réalisé par Honda Ishiro en 1954 : le nucléaire réveille quelque chose qui sommeillait dans la mer, le transforme, l’investit d’un destin, d’un trajet, et l’envoie vers les rives de Tokyo. Tout cela va très vite, les outils de repérage viennent le confirmer : quelque chose sortie des eaux s’abat sur la ville. Et face à cette vérité, le film, peuplé de personnages gouvernementaux, ralentit, s’enlise, stagne afin que le monstre puisse accumuler les désastres qui font écho à ce que le Japon a vécu en 2011 : le tremblement de terre, le tsunami et la catastrophe nucléaire de Fukushima. C’est par cette lenteur indécise des dirigeants de l’état que le récit de Anno s’accomplit.

Shin Gojira ne cesse de déborder les conventions du Kaiju pour mieux s’afficher en tant que brûlot politique. Ce Japon animiste sur lequel s’ouvrait le film de Honda laisse sa place à Tokyo. Les festivals, les rituels des gens de l’île, le métier de pêcheur, désuets, oubliés. Et pourtant, Shin ressemble bien à un film Toho, et plus qu’aucun autre film japonais de 2016, il témoigne d’une forme qui rappelle une époque durant laquelle le studio avait les moyens de peupler ses films de centaines de figurants. Les premières minutes du film évoquent ces plans célèbres des foules fuyant le monstre, mais elles jouent ici un rôle plus important : pendant le désastre, elles ont compté, elles ont été là, elles s’affolent, quadrillent les rues, mais ne prendront jamais parole, et disparaîtront du récit lorsque ce dernier se penche sur les solutions que l’Etat peine à mettre en œuvre pour sauver le pays.

godzilla

Une autre terreur s’immisce, celle du langage des ministères qui, d’une réunion à l’autre, mènent un bal d’interruptions courtoises. Anno s’appuie sur des travellings latéraux dans une salle qui rassemble les plus hauts responsables du gouvernement, afin de mieux révéler combien rien ne bouge, et enchaîne avec un montage de visages hésitants, dans lequel on croise celui d’une seule femme…

Conscients du fardeau de ce silence, les voici vêtus d’uniformes de travail, semblables à ceux que portent les employés des eaux, gaz et électricité au Japon, dans un moment symbolique, celui de passer à la tâche, qui rappelle une mise en scène identique lors des conférences de presse qui ont suivi le tsunami et les explosions de Fukushima.

GODZILLA RESURGENCE, (aka SHIN GODZILLA, aka SHIN GOJIRA), 2016. © Funimation Films

GODZILLA RESURGENCE, (aka SHIN GODZILLA, aka SHIN GOJIRA), 2016. © Funimation Films

Surgit un acte de fiction. Un héros (Hasegawa Hiroki), frustré par les tergiversations du premier ministre (Osugi Ren), entend les craintes formulées par un savant (Tsukamoto Shinya) et mesure combien le Japon doit faire appel à ses alliés, à commencer par une chargée de mission japonaise-américaine (Ishihara Satomi), dépêchée par le président, et qui, avec le soutien de l’ONU, annonce qu’il faudra avoir recours aux armes nucléaires pour résoudre cette crise. Ce n’est pas la réponse qu’il espérait, et avec le concours de la jeune femme et du savant, il arrivera à contenir le monstre et à le mettre en mode veille.

Anno et Higuchi, dans le casting du seul personnage féminin important, et celui de la présence internationale, reprennent à leur tour une tradition du cinéma japonais depuis la fin de la guerre : trouver des gens sur place plutôt que d’engager de véritables comédiens internationaux. Ishihira Satori est une talento charmante et célèbre au Japon, que l’on voit dans les publicités, les feuilletons, les émissions de variétés, et au cinéma. Elle aura eu le courage de tenter un rôle dans lequel elle s’exprime presque toujours en anglais. Le film ne demande pas au public de croire à son personnage (on saisit à peine ce qu’elle dit et tout est sous-titré en japonais), mais de soutenir le couple qu’elle forme avec le héros. Quant aux figurants qui représentent l’Amérique et l’Europe, ils accablent le film.

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Les studios américains, à qui l’on reproche des castings inattendus – Tilda Swinton dans Doctor Strange – ou d’autres qui relèvent de sommes façon Lucy + Under the Skin pour arriver à Ghost in the Shell et Scarlet Johansson, ont aussi au fil des ans travaillé avec Takakura Ken, Sanada Hiroyuki, Asano Tadanobu, Watanabe Ken, ou firent des geishas de Gong Li et Zhang Ziyi. Les acteurs internationaux sont toujours présents dans les publicités japonaises, tel Tommy Lee Jones en extra-terrestre savourant son Georgia coffee depuis des années, mais les réalisateurs japonais contemporains n’osent toujours pas les solliciter.

Peu importe, le spectre de l’Amérique plane au-dessus du monstre aux petits doigts, révélant la dimension prémonitoire du film. Les forces de défense Japonaises avaient apporté leur concours au tournage du film : avions et hélicoptères militaires, tanks et autre chars d’assaut, tout y était, et rien ne leur réussissait. L’Amérique félicite le Japon d’avoir trouvé une astuce pour sceller l’ardeur de Gojira mais prévient que si celle-ci se renouvelle, les bombardiers munis d’armes nucléaires décolleront. Gojira annonçait déjà la couleur (orange) et le sort d’un marteau sans maître, sur lequel l’état croyait avoir une solide emprise.

Stephen Sarrazin.

Shin Gojira de Hideaki Anno & Shinji Higuchi. Japon. 2016. Inédit en France.

À voir au PIFFF 2018. Plus d’informations ici.

 

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