S’il est impossible de voir Okja sur grands écrans en France, ce n’est pas le cas au Japon, puisque le Kyoto International Film and Art Festival qui s’est tenu du 12 au 15 octobre au Japon, a programmé le film de Bong Joon-ho. L’occasion de revenir sur une oeuvre majeure de l’année.
Il y a des réalisateurs dont on reconnaît l’empreinte dès les premières séquences. Bong Joon-ho en fait indéniablement partie. L’introduction, sous forme de spot marketing qui aurait tout à fait pu être chapeauté par l’industrie agroalimentaire américaine, déploie une imagerie artificielle et énergique qui tranche radicalement avec la séquence suivante, située dans les paysages montagneux sud-coréens, beaucoup plus naturaliste et posée. D’un côté, il y a cette multinationale, qui est parvenue à créer une nouvelle espèce de cochon géant pour, en apparence, combattre la famine, mais surtout faire un maximum de profit. De l’autre, il y a ce vieil éleveur coréen et sa petite-fille, Mija, chargés par l’entreprise d’élever l’un de ces « super cochons », la femelle Okja, jusqu’à maturité. Okja, Mija et son grand-père vivent en harmonie dans cet espèce de paradis vert que rien ne semble atteindre. Bong Joon-ho parvient ainsi à nous ouvrir les portes sur son univers visuel foisonnant, en confrontant deux ambiances totalement différentes.
Avec le temps, Mija s’est forcément attachée à cette grosse bestiole sympathique et plus intelligente qu’elle n’y paraît au premier abord. Bong Joon-ho prend le temps de développer la relation profonde entre Mija et Okja, vecteur émotionnel principal sur lequel tout va reposer. Là où n’importe quel yes man hollywoodien aurait zappé cette partie dans les montagnes coréennes en quelques minutes, le cinéaste sud-coréen impose son rythme bien à lui, si loin de tout ce qui se fait ailleurs. Il parvient ainsi à nous impliquer d’avantage, surtout quand vient le moment où la créature est forcée de rejoindre son créateur.
Bong Joon-ho nous embarque alors dans une course contre la montre entre Séoul et New York, dans les pas de Mija, partie retrouver son amie coûte que coûte pour l’arracher aux mains de l’entreprise et empêcher le sombre destin qui l’attend. Ce versant du film assume clairement sa part de spectaculaire, notamment lors d’une scène impressionnante dans les rues de la capitale sud-coréenne, où Bong Joon-ho affirme son aisance à mettre en scène l’action, grâce à un découpage fluide et un tempo de montage parfaitement maîtrisé. Mais si Okja a des allures de grand divertissement familial, la charge politique n’en est pas moins féroce, et surtout, son propos foncièrement animaliste trouve une résonance universelle dans la relation forte entre Mija et cette créature qui lui a servi de substitut émotionnel durant toute son enfance.
Bong Joon-ho parvient à transcender une histoire relativement simple grâce à la force de son univers visuel. La puissance symbolique de certaines scènes, comme cette escapade dans un abattoir aux allures de camp de la mort, marquent durablement après la séance. La rencontre de différentes cultures, d’acteurs venant d’horizons divers, fonctionne parfaitement. Si Tilda Swinton continue d’explorer avec succès le même genre de personnage que dans Snowpiercer, si Jake Gyllenhaal amuse en looser délirant jamais loin du burnout, avec le talent qu’on lui connaît, si Paul Dano surprend dans le rôle du chef décalé d’une bande d’activistes défenseurs des animaux, c’est surtout la petite Ahn Seo-hyun, l’interprète de Mija, qui impressionne, et son duo avec la créature est aussi drôle que touchant. Tous ces personnages ont quelque chose de passionnant, car derrière leur apparence archétypale se cache à chaque fois une réelle faiblesse, poussant les codes du conte au-delà du manichéisme primaire, donnant au film une envergure nouvelle. C’est toute la poésie de l’œuvre de Bong Joon-ho. Celle qui nous emporte dans ses rêves de cinéma.
Nicolas Lemerle.
Okja de Bong Joon-ho. Corée / USA. 2017. Disponible sur Netflix le 28/06/2017.
Présenté au Kyoto International Film and Art Festival. Plus d’informations ici.
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