Avec A Day, c’est un premier film que le coréen Cho Sun-ho présente à cette édition 2017 de L’Etrange Festival, mais aussi une première réussite puisque ce drame aux teintes de science-fiction ne manquera pas d’intriguer et d’émouvoir.
Quelques minutes. C’est ce qui sépare Jun-young de l’accident mortel survenu à sa fille. S’il avait roulé plus vite, discuté moins longtemps, pris un autre chemin… peut-être serait-il arrivé à temps pour la sauver. Heureusement, il va lui être donné l’opportunité miraculeuse de recommencer cette journée, pour pouvoir bénéficier d’une deuxième chance, puis d’une troisième, d’une quatrième… Car ce dont Jun-young va bien vite s’apercevoir, c’est qu’il n’est pas si aisé de gagner quelques minutes… et qu’il n’est pas seul dans cette boucle temporelle.
Répéter une même journée jusqu’à élucider son mystère ou en changer le cours : le pitch n’est pas neuf et a inspiré des œuvres en tous genres, de la comédie romantique culte Un Jour sans fin signée Harold Ramis à l’horrifique Happy Birthdead de Christopher B. Landon, en passant par le musclé Edge of Tomorrow de Doug Liman ou la série d’animation Steins;Gate du studio White Fox. Après de si nombreuses variations sur ce thème, on peut donc naturellement se demander s’il reste de nouvelles idées à y apporter. Qu’on se le dise : A Day ne révolutionne pas la problématique, mais ce n’est en définitive pas très important. En effet, si le voyage temporel est le contexte du film, son intérêt ne se borne pas à son énigme science-fictionnelle, et ce sont aussi ses qualités en tant que simple drame qui en font un divertissement efficace, et l’une des bonnes surprises de ce festival.
Le premier défi relevé avec succès par le réalisateur est le challenge inhérent au modèle choisi, sur lequel beaucoup se sont pourtant cassé les dents : comment parvenir à une progression scénaristique satisfaisante alors que le héros est enfermé dans une boucle de quelques heures ? Trop souvent, on s’est vu infliger la lourde et inlassable répétition des mêmes faits afin que les personnages prennent conscience de la situation. Si cela reste un passage obligé, A Day a le bon goût de ne pas s’attarder inutilement sur ces passages et d’accélérer le montage et l’intrigue avec lui. Par la suite, il parvient à modifier à plusieurs reprises la dynamique du film, ce qui non seulement permet au rythme de ne pas s’enliser, mais permet aussi de refléter habilement l’état psychologique de Jun-young, donnant une dimension très concrète aux enjeux émotionnels du film.
Ainsi, après des essais aussi paniqués qu’acharnés pour arriver à temps sur les lieux de l’accident, il va partiellement se résigner et comprendre que, pour résoudre cette situation, il n’a d’autre choix que de prendre de la distance et de l’envisager sous un autre angle. Le puzzle change alors de nature : de la course contre la montre toujours remise à zéro qui témoigne de sa détresse et son refus de la réalité, on passe à une enquête rationnelle progressant au fil des itérations et lui permettant de mettre un plan au point. Le rapport s’inverse alors et le temps n’est plus un ennemi mais un allié, qui dans sa répétition permet d’accumuler chaque fois de nouvelles informations visant à rendre la prochaine tentative plus fructueuse. On retrouve alors une forme de linéarité de l’intrigue qui permet non seulement d’approcher de la résolution mais aussi plus globalement d’éviter la stagnation.
Pour autant, Cho Sun-ho ne cherche pas à nous perdre dans un scénario complexe qui tutoierait le paradoxe temporel, car là n’est pas l’objet du film. C’est bel et bien le drame intime qui est au premier plan, et si la répétition des journées permet quelques tours de passe-passe, elle est avant tout l’occasion de variations sur le deuil, l’espoir et le regret. D’ailleurs, le film ne cherche pas plus à se doter d’un fort parti pris esthétique qu’à repousser les limites de la science-fiction. Le résultat peut donc paraître assez générique en termes de mise en scène, mais pour autant la réalisation se montre efficace, soignée, et nous offre même quelques plans mémorables s’agissant de témoigner du choc de l’accident. De la même manière, la musique est assez peu remarquable mais accompagne les événements avec justesse : tout est fait pour servir l’histoire sans l’occulter, et pour laisser le premier plan aux personnages et aux sentiments qui les déchirent.
Que l’on se rassure néanmoins : A Day est surtout un film qui fait du bien. N’en déplaise aux cyniques, il déborde de bons sentiments et n’essaie jamais de s’en cacher. Il n’est pas pour autant niais ni mielleux, car il ne faut pas oublier qu’il aborde des sujets graves et douloureux, au premier rang desquels le deuil parental. Il parvient plutôt à les contrebalancer habilement, sans basculer dans le fatalisme ou le nihilisme – car quel personnage ne serait pas tenté d’y céder en voyant sa fille mourir à répétition sous ses yeux ? Non, le rythme soutenu du film et la détermination de Kim Myeong-min (Detective K) dans le rôle-titre nous laissent assez de temps pour réfléchir, mais pas pour nous lamenter, et retiennent notre attention sans relâchement. La réflexion sur laquelle on aboutit n’est certes pas très originale, mais le cheminement qui nous y a amenés était agréable de bout en bout, et donne sa pleine mesure au mot « divertissement ».
A Day est ainsi une œuvre qui laisse peu de doute sur ses bonnes intentions. Sans renouveler ni la science-fiction ni le drame, il marie efficacement les deux pour un résultat touchant et convaincant. Ce n’est certes pas le film incontournable de cette année, mais il se montre à la hauteur de ce qu’on pouvait en attendre et, en tant que premier film de son réalisateur, il laisse augurer du meilleur pour la suite de la carrière de Cho Sun-ho.
Lila Gleizes.
A Day de Cho Sun-ho. Corée. 2017. Projeté lors de la 23e édition de L’Etrange Festival.