Kim Ki-duk nous revient en salles en France avec Entre deux rives. C’est sa première sortie hexagonale depuis Pieta en 2013. On retrouve un réalisateur moins radical (mais peut-être tout aussi subversif) pour ce pamphlet contre la propagande politique et pour un rapprochement – pour l’instant peu probable – entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.
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Entre deux rives est inspiré d’une histoire vraie. Il y a de cela vingt ans, Kim Ki-duk a vu à la télévision les images d’un pêcheur nord-coréen, nu sur sa barque, quittant la Corée du Sud et rejoignant sa contrée natale, au cri de “Hourra! Hourra!”. Des images que Kim Ki-duk reprend à son compte pour raconter l’histoire de ce pêcheur, mari et père de famille, dont le bateau a malencontreusement dérivé en Corée du Sud. Comme la procédure sud-coréenne l’oblige, ce pêcheur, Nam Chul-woo (interprété par Ryoo Seung-bum), est bien vite considéré comme un espion par les autorités. A coup d’interrogatoires musclés, de passages à tabac et de tortures morales, Nam Chul-woo doit prouver qu’il n’est pas un espion pour espérer rentrer auprès des siens. Face à un inspecteur zélé prêt à tout pour casser du communiste et à des autorités qui rechignent à laisser un Nord-Coréen retourner dans “l’enfer” juchéen, Nam Chul-woo ne peut compter que sur son protecteur – une sorte de garde du corps payé pour s’assurer que ses droits ne sont pas bafoués et qu’il n’est pas maltraité.
De Séoul, nous ne verrons presque rien. Dès sa détention, Nam Chul-woo préfère fermer les yeux pour ne pas voir à quoi ressemble la Corée du Sud. Il préfère rester aveugle pour ne pas voir ce capitalisme tant honni. C’est cet aveuglement, issu de l’idéologie politique, que veut dénoncer Kim Ki-duk. Un aveuglement équitablement partagé par les Sud-Coréens qui ne conçoivent pas qu’un Nord-Coréen veuille vivre sous le régime juchéen. Quitte à choquer et s’attirer les foudres de ses compatriotes, Corée du Nord et Corée du Sud sont mises dos à dos. Quelles différences entre les interrogatoires à Séoul ou au nord du 38è parallèle ? Sommes-nous tous des pêcheurs pris dans les filets du pouvoir et de l’idéologie politique ? Sans artifice, Kim Ki-duk instaure une réflexion qui ne laisse aucun doute au spectateur : il est résolument hostile à tout pouvoir et cherche justement à ouvrir les yeux des aveugles. Le mythe de la caverne de Platon revisité.
Le doute s’installe peu à peu dans l’esprit de Nam Chul-woo, pris dans un système politique kafkaïen où chacun de ses actes, chacune de ses pensées sont interprétés de toutes les manières possibles. Dressage et infantilisation sont les deux mamelles du pouvoir. On évoque souvent l’infantilisation des Nord-Coréens par le régime juchéen, avec ce culte du “papa” qu’il soit Kim Il-sung, Kim Jong-il ou Kim Jong-un. Une infantilisation très perceptible dans les films nord-coréens. Une infantilisation également présente dans la société de consommation sud-coréenne – où le citoyen est vu comme un consommateur pulsionnel. Sacré dilemme ! La force d’Entre deux rives est justement de montrer un Kim Ki-duk moins coup de poing que dans ses dernières productions (les fantastiques Moebius et One on One). Face à un conflit politique omniprésent depuis 1950 et un pays coupé en deux, Kim Ki-duk s’impose comme un médiateur quelque peu utopique mais qui ne délaisse pas le tragique.
Kim Ki-duk s’est-il vraiment assagi avec Entre deux rives ? Il est moins démonstratif et provocateur que dans ses dernières réalisations (Pieta, Moebius et One on One) mais n’en garde pas moins son côté subversif. La première scène d’Entre deux rives est justement du Kim Ki-duk pur jus : dans sa maison, au petit matin, Nam Chul-woo couche avec sa femme – devant les yeux de leur filles… et de leurs pères : les éternels portraits de Kim Il-sung et Kim Jong-il. C’est pour de telles scènes qu’on aime ce cinéma.
Marc L’Helgoualc’h.
Entre deux rives de Kim Ki-duk. Corée. 2016. Sortie française le 05/07/2017.