En salles le 28 juin, Sans Pitié (The Merciless) permet à Byun Sung-hyun d’explorer un nouvel univers après le monde de la radio et de la musique dans The Beat Goes On et la comédie érotico-romantique avec Whatcha Wearin’?. Son troisième long-métrage lui donne l’occasion de mélanger film de prison et film de gangster, pour un cocktail détonnant et très référencé à défaut d’être original.
La séquence d’introduction annonce la couleur : Byun Sung-hyun ne se prive pas de reprendre quelques idées à des cinéastes qu’il admire sûrement. On y voit deux gangsters discuter autour d’un repas en plein milieu d’un port. Ce dialogue métaphorique, et surtout sa conclusion, rappellent la première scène du mésestimé Sept psychopathes réalisé par Martin McDonagh, qui s’inspire déjà beaucoup d’un certain Quentin Tarantino. Ce dernier est clairement une référence affichée et assumée de Byun Sung-hyun, tant la structure narrative, les citations, le décalage humoristique font penser aux premiers films du cinéaste américain. Il n’y a qu’à voir la manière dont les personnages sont introduits, et surtout comment ils sont incorporés dans une intrigue à tiroirs où s’enchaînent rebondissements plus ou moins prévisibles, manipulations insidieuses et faux-semblants.
On suit cette histoire à travers la figure classique du jeune loup, Jo Hyun-soo (Yim Si-wan), incarcéré dans une prison de haute sécurité et qui va devoir faire son trou parmi les caïds peuplant les lieux. Son côté « tête brûlée » est très vite remarqué par Han Jae-ho (Sul Kyung-gu), le boss « élu » de la prison, bras droit de l’un des chefs de gang les plus puissants de Corée du Sud. Hyun-soo devient très vite son protégé et confident, allant même jusqu’à intégrer le gang une fois sortie. Il se retrouve alors au cœur d’une guerre sans merci entre le gang et une escouade spéciale de la police, dirigée par l’inspectrice Chun In-Sook (Jeon Hye-jin). Byun Sung-hyun place son héros au cœur d’un jeu des apparences où tous les coups tordus sont permis pour atteindre son but. Comme lui, le spectateur ne sait pas à qui faire confiance, et la mise en scène parvient aisément à instaurer le doute. Le découpage très vif et le décalage tarantinesque permanent dans le jeu des acteurs, notamment Sul Kyung-gu et son rire de dément, insufflent une énergie incroyable à l’ensemble.
Mais au-delà de toutes ces considérations stylistiques, l’intérêt principal du film reste le lien très ambigu entre Jae-ho et Hyun-soo. D’abord vu comme un modèle à suivre par le jeune prisonnier, Jae-ho devient très vite une figure paternelle, voire même quelqu’un de beaucoup plus intime comme pourrait l’insinuer la scène de l’ascenseur où le gangster effectue une fouille au corps très serrée. La relation de confiance entre les protagonistes est très fragile, et à chaque nouveau rebondissement, on se demande qui manipule qui, chacun gardant ses petits secrets et préférant ne pas dévoiler ce qu’il sait réellement sur l’autre. La déconstruction narrative accentue la perte des repères de Hyun-soo et le flou entourant les autres personnages, amenant le film vers une issue tragique irrémédiable. Cette dernière partie, plus sobre et intimiste, atteste une nouvelle fois du talent de Byun Sung-hyun pour adapter sa mise en scène en fonction de ce qu’il se passe à l’écran. L’élégance et la fluidité de la première heure et demi laissent place à un climax final teinté de mélancolie que n’auraient pas renié les polars hongkongais des années 80.
Contrairement à The Villainess de Jeong Byeong-gil, l’autre film sud-coréen présenté en Séance de Minuit à Cannes 2017, qui, après une introduction percutante, se dégonfle comme un ballon de baudruche et ne vaut finalement pas mieux qu’une vulgaire production Besson, Sans Pitié parvient à garder le cap jusqu’à la fin, en s’appuyant, au-delà des références, sur un casting solide et une envie débordante de cinéma. Byun Sung-hyun confirme son aisance à investir des genres différents avec réussite.
Nicolas Lemerle.
Sans Pitié (The Merciless) de Byun Sung-hyun. Corée. 2017. En salles le 28/06/2017.