Cannes 2017 – Jour 5 : Dernier Contact (Avant que nous disparaissions de Kurosawa Kiyoshi)

Posté le 25 mai 2017 par

Le maître japonais Kurosawa Kiyoshi revient à Cannes fort de son prix de la mise en scène glané il y a deux ans avec son film Vers l’autre rive, présenté à l’époque dans la sélection Un Certain Regard, tout comme son nouveau long-métrage, Avant que nous disparaissions, adapté d’une pièce de théâtre parodique.

Kurosawa Kiyoshi est un cinéaste prolifique qui a su explorer beaucoup de genres différents durant sa longue carrière. Son nouveau film ne déroge pas à la règle, puisqu’il s’aventure sur le terrain de la science-fiction, même si, comme souvent, il est inutile d’enfermer l’œuvre du réalisateur dans une case prédéfinie tant sa manière d’aborder le(s) genre(s) diffère de l’idée préconçue que l’on peut se faire au premier abord. Avant que nous disparaissions commence d’ailleurs comme un pur film d’horreur, avec une séquence d’introduction montrant une famille mystérieusement assassinée et versant aisément dans le grand-guignolesque. La seule rescapée du massacre, la jeune Akira, semble complètement déphasée par rapport à ce qu’il vient de se passer, mais on comprend très vite qu’elle n’est plus elle-même. Le journaliste Sakurai décide de mener l’enquête et se lance rapidement sur les traces d’Akira, qu’il retrouve aux côtés d’Asano, un jeune homme qui semble aussi avoir perdu toute humanité. Dans le même temps, Shinji n’est plus la même personne aux yeux de sa femme, la pauvre Narumi. Il lui explique alors qu’il est un extraterrestre venu envahir la planète, mais qu’il doit d’abord en apprendre plus sur les concepts de la vie humaine.

before-we-vanishCes envahisseurs qui ont pris possession du corps de femmes et d’hommes préexistants rappellent furieusement ceux de L’Invasion des profanateurs de sépultures, mais Kurosawa prend très vite une direction plus philosophique. Là où le film de Don Siegel devenait de plus en plus terrifiant, le réalisateur japonais joue sur ses ruptures de ton habituelles pour apporter une réflexion sur l’essence même de l’humanité. Les extraterrestres volent les « concepts » d’un simple touché, et les victimes se trouvent vidées de toute substance, comme si la simple perte d’une notion fondamentale déréglait complètement la « machine humaine ». Cela entraîne des situations forcément diverses, qui donnent au film sa nature protéiforme, passant tout aussi bien de la comédie au pur mélodrame, de la romance poétique à des scènes d’action franchement spectaculaires. Ces ruptures de ton permettent d’apprécier la maestria avec laquelle Kurosawa raconte les parcours foncièrement différents de ses personnages : un mouvement permanent du côté d’Akira et Asano, prêts à tout pour aller au bout de leur mission, un caractère plus intimiste lorsqu’on suit Shinji et Narumi, alors qu’un dialogue profond et philosophique s’installe entre eux, et pourrait bien décider de l’avenir du monde.

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Kurosawa est un réalisateur qui ne pose jamais de limite. La richesse de ses films provient justement du fait qu’il s’autorise tout et sait varier sa mise en scène en fonction de ce qu’il veut raconter. On peut ainsi passer d’un plan-séquence virtuose pour faire ressentir la confusion qui règne dans un hôpital bondé, à des plans d’une froideur clinique lorsqu’il filme la relation entre Shinji et Narumi, où la chaleur va s’immiscer au fur et à mesure que l’extraterrestre dans le corps de Shinji va apprendre les concepts humains. Kurosawa explore aussi une veine totalement burlesque et s’amuse beaucoup du décalage provoqué par le comportement outrancier d’Akira et Asano, qui diffère complètement de la manière dont réagit une personne humaine, comme certains robots d’une saga de science-fiction bien connue. On en revient aux ruptures de ton chères au cinéaste, qui font la force de son cinéma, mais qui peuvent aussi parfois décontenancer le spectateur, tant les changements de rythme s’avèrent perturbants. Le passage d’un fil narratif à un autre n’est d’ailleurs pas toujours heureux, notamment au niveau du montage musical. On peut aussi reprocher à Kurosawa, comme sur ses précédents films, d’insister un peu trop sur les dialogues explicatifs, alors que la mise en scène suffit amplement à nous faire comprendre ce que le cinéaste veut nous dire.

Avant que nous disparissions

Malgré ses petits défauts, Avant que nous disparaissions reste une œuvre singulière dans le paysage de la science-fiction, un film de fin du monde qui s’inscrit parfaitement dans la filmographie de son auteur. Derrière cette apocalypse métaphysique, il y a une beauté évanescente qui naît de cette renaissance humaine, une renaissance qui existe par l’amour sacrificiel. C’est toute la puissance du cinéma de Kurosawa.

Nicolas Lemerle.

Avant que nous disparaissions de Kurosawa Kiyoshi. Japon. 2017. Cannes 2017 : Un Certain regard.

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