Okinawa International Movie Festival # 8 : Entretien avec Roger Pulvers (Star Sand)

Posté le 13 mai 2017 par

C’est en toute logique lors de la 9ème édition de l’Okinawa International Movie Festival, dans le lieu même de l’action du film, que le public a pu découvrir le premier film de l’écrivain Roger Pulvers, Star Sand. Rencontre avec jeune réalisateur australien de 73 ans amoureux du Japon.

Roger Pulvers est inconnu du grand public français. Mais celui qui est à la fois écrivain, traducteur, metteur en scène de théâtre et maintenant réalisateur a réussi à se faire une place au Japon, en étant d’abord professeur d’université puis en tant qu’assistant réalisateur de Oshima Nagisa sur Furyo. Pour la première fois, il réalise un long-métrage, intitulé Star Sand et basé sur son roman éponyme édité en 2016. Le livre, ainsi que le film, suit Hiromi, une jeune fille de 16 ans ayant grandi aux Etats-Unis mais vivant désormais au Japon, à Okinawa, en plein milieu de la Seconde Guerre mondiale. Un jour, alors qu’elle récolte du sable, elle se retrouve nez-à-nez avec deux déserteurs cachés dans une grotte, un Américain et un Japonais.

Histoire de guerre, d’amour mais aussi de paix, le livre Star Sand sortira chez nous le 23 mai, grâce à Amazon, sous le titre Poussières d’étoiles. En attendant de le lire, et alors que le film est actuellement distribué au Japon, retour sur un passionnant entretien avec son réalisateur qui revient sur la longue genèse d’un projet atypique, de sa gestation littétéraire à son casting.

Star Sand

Vous semblez avoir tout fait dans votre carrière, y compris être assistant-réalisateur pour Oshima Nagisa sur Furyo et avoir signé quelques scénarios, mais Star Sand est votre premier film en tant que réalisateur. Qu’est-ce qui vous a amené à signer ce film ?

Tout a vraiment commencé en 1977 : j’ai passé un mois sur une petite île tout au sud d’Okinawa qui s’appelle Hatoma. Avec ses 45 habitants, elle est vraiment minuscule, à tel point que même à Okinawa, certaines personnes ne la connaissent pas. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle a presque complètement échappé à la guerre, qui n’y a fait presque aucun dommage. Quand on connaît l’impact majeur qu’a eu la guerre ici à Okinawa, un lieu laissé quasiment intact par cette bataille d’avril et mai 1945, que l’on considère comme la plus grande de l’histoire de l’Asie, m’intriguait vraiment. C’est là que j’ai découvert le « sable étoilé » (star sand). A Hatoma, tout le littoral en est composé. J’ai trouvé cela incroyable, même si je ne savais pas encore ce que c’était vraiment. En tant qu’écrivain, j’ai pensé que ce serait un bon endroit pour y construire une histoire, et j’ai gardé ça dans un coin de ma tête. C’est resté là, dans une crevasse obscure de mon cerveau jusqu’en 1982, quand je suis allé à Rarotonga, dans les îles Cooks, pour y faire Furyo. Il y avait une autre île complètement épargnée par la guerre, à tel point que les habitants disaient qu’ils ignoraient qu’il y avait eu une guerre. Seul un vieil homme se souvenait avoir vu un bateau. Je me suis alors souvenu de Hatoma, et j’ai rangé ce lieu dans le même recoin poussiéreux de ma tête, globalement jusqu’au moment où Georges W. Bush a envahi l’Irak. J’ai trouvé cela tellement insensé d’attaquer des gens innocents uniquement pour des raisons vengeresses et de fierté nationale que cela m’a rendu furieux. C’est la pire des raisons pour entrer en guerre. Cela se produit parfois pour des raisons de territoire ou parce des gens se détestent… Je n’approuve pas mais on peut le comprendre. Mais quand il s’agit juste de fierté nationale, c’est un crime de guerre ! J’ai publié 50 livres, tous ne sont pas des romans bien sûr. J’y ai toujours traité les victimes de la guerre comme les personnages principaux. J’ai décidé de faire quelque chose que j’avais toujours eu envie de faire : un roman où le héros est un déserteur. Comme dans la chanson… (il chante en français Le Déserteur de Boris Vian – ndlr). Lui l’a fait, mais j’ai l’impression que personne n’avait jamais écrit un roman où le héros, c’est-à-dire à la fois le personnage principal et celui qui a du courage, est un déserteur. Les films et les romans les traitent parfois avec sympathie et compassion, à cause de leurs traumatismes, mais personne, à ma connaissance, n’a affirmé que c’est ce qu’il faut faire, que la plus grande forme de courage est de refuser de se battre, de refuser quand votre pays vous dit de partir à la guerre, de refuser quand votre pays vous dit de tuer. Dans Star Sand, j’ai créé deux héros, un Japonais et un Américain. Et même si c’est un récit très japonais, très d’Okinawa, pour moi, ça pourrait se dérouler n’importe où. J’aime à penser que Star Sand est une histoire universelle. J’ai d’ailleurs été beaucoup encouragé par les réactions dans les pays anglo-saxons, où le livre est une sorte de best seller (le film n’y a pas encore été vendu). Des vétérans ont même écrit qu’ils comprenaient ce que je voulais dire et que c’était une forme de courage. Rien n’est tout noir ou tout blanc, même dans l’Amérique de Trump.

Star Sand

J’ai n’ai pu écrire ce roman avec ces deux déserteurs partageant une cave et décidant, même s’ils ne peuvent communiquer entre eux, de ne plus jamais faire de mal à quiconque et d’attendre la fin de la guerre, qu’en 2008. Entre les deux, Hiromi, une jeune fille de 16 ans, est un véhicule qui leur permet de communiquer. Mais c’est aussi un personnage qui est déchiré entre les deux pays : sa mère est américano-japonaise et son père est japonais. Il y a cette scène où elle entend Mme Gima, une mère qui a perdu son fils, magnifiquement interprétée par Terajima Shinobu, dire que tous les Américains sont des bêtes, sans exception. A ce moment, je voulais que l’on voit la réaction de Hiromi. C’est elle que j’ai mise à l’écran, pas la mère. Je ne voulais pas dire que tous les Américains étaient des animaux, mais il est naturel de penser cela quand on tue votre fils. Mais le point central était de montrer ce que Hiromi pouvait en penser, le dilemme que ça pose pour elle. Dans son cœur et son esprit, elle est déchirée. Dans le roman, j’insiste sur le fait qu’elle a deux pays et qu’elle est perpétuellement entre les deux. Dans le film, je ne pouvais pas faire ça. Mais quand elle dit peu après avoir découvert la grotte que si l’on est tué, peu importe le pays qui vous tue, j’insiste sur cette thématique. Quand on est tué, quelle importance que ce soit par Trump, Le Pen ou Poutine ? Donc, en un sens, le film est apolitique.

star sand

En 2008, j’ai donc écrit le roman en japonais et en anglais. Et ce n’est qu’en 2012 que j’ai pu le publier. Cela a pris du temps. Aux Etats-Unis, il a été publié dans un très important magazine littéraire. En ce n’est qu’en 2015 que le roman a été publié au Japon par la Kodansha. L’an dernier, je l’ai aussi publié sur Amazon, qui va aussi le traduire en français. Il vaut mieux vivre longtemps pour y arriver ! Si j’ai un message pour les jeunes écrivains, c’est de ne jamais abandonner quand on a un projet. Parfois, le monde doit vous rattraper et parfois, c’est l’inverse ! J’ai donc fait mes débuts comme cinéaste à l’âge de 72 ans. C’est une très longue route, mais elle en valait la peine. Mais comme j’ai travaillé avec beaucoup d’acteurs, japonais et occidentaux au théâtre, et sur plusieurs films à des postes divers, je me sentais parfaitement à ma place.

Star Sand

Oshima, la veille du début de tournage de Furyo, a fait un discours devant toute l’équipe du film dans un grand restaurant. Puis il est venu me voir pour me dire : « Nous allons avoir beaucoup de travail à partir de demain, merci beaucoup. ». J’ai répondu que c’était moi qui lui étais reconnaissant, et que je ne serai jamais là sans lui. Il m’a alors dit quelque chose que je n’ai pas compris tout de suite et qui m’a paru très étrange : « ce n’est pas vraiment compliqué d’être réalisateur ». Mais en fait, il avait raison. Il ne faut pas être un immense artiste pour être réalisateur. C’est beaucoup plus compliqué d’écrire un bon scénario ou un bon roman. Mais ce que l’on demande à un réalisateur est d’avoir une vision claire et ordonnée de ce que doit être le film aux niveaux visuel, sonore et des émotions. Il faut savoir ce que va être le film une fois terminé de manière très net dans sa tête. Sinon, il suffit de dire que l’on veut faire un film comme Godard ou Spielberg… Ce n’est rien, c’est comme peindre Mona Lisa : n’importe qui peut le faire maintenant ! Mais faire un film qui porte sa signature, son style au sens noble, demande une vrai vision et des qualités de leadership pour que tous les membres de l’équipe, qui ont tous une idée différente de ce que le film doit être, fassent le même film. Toute création artistique a quelque chose de nouveau et d’intéressant. Le souci, c’est que la nouveauté n’est généralement pas le plus intéressant et que ce qui est intéressant est rarement nouveau. Mais si vous arrivez à créer quelque chose qui contient une petite dose de fraîcheur sur le plan de l’impact visuel ou émotionnel, vous avez sans doute accompli quelque chose en tant que cinéaste. Oshima savait cela. A part ça, il suffit de faire en sorte que tout le monde soit à l’heure, ne soit pas saoul (ce qui est parfois un vrai souci) et fasse correctement son travail, et de le faire de manière cordiale (on a toujours cette image d’un metteur en scène autoritaire, mais je ne crie jamais)… Il faut amener tout le monde dans son monde, ce qui n’est pas si facile. A part ça, Oshima avait raison, ce n’est pas compliqué d’être réalisateur.

A propos d’Oshima, vous avez travaillé avec Sakamoto Ryuichi sur Furyo il y a maintenant 25 ans. Étiez-vous restés en contact avec lui et comment lui avez-vous demandé d’écrire la musique de générique de votre film ?

Nous sommes devenus très amis à l’époque de Furyo et sommes restés en contact toutes ces années. Mais il vit à New York, et comme j’ai abandonné ma nationalité américaine, je n’aime pas trop aller aux Etats-Unis. Mais il vient souvent au Japon et on se voit donc fréquemment ici. Il avait lu Star Sand en japonais lors de sa sortie et m’avait écrit pour me dire qu’il avait aimé le roman. Quand on a vraiment lancé le film, ça a pris deux ans et demi pour y parvenir, je lui ai demandé s’il voulait bien écrire le thème du film. Et il a accepté. Sa musique est magnifique ! Elle rappelle beaucoup son travail sur Furyo. Elle est vraiment parfaite pour le début et la fin. Elle a la qualité de nous hanter longtemps. Je l’ai aussi utilisée quand Hiromi revient dans la grotte en 1956. Je l’ai appelé la « chanson de Hiromi », c’est une sorte de leitmotiv du personnage. Le compositeur de la bande-originale, Tanaka Takuto, a réussi à l’utiliser comme un leitmotiv qui traverse le film.

Vous parliez de 2 ans et demi pour parvenir à lancer la production du film : est-ce qu’il est difficile de trouver les financements pour ce type de film au Japon ?

Oui ! C’est compliqué dans n’importe quel pays en fait. L’argent… ! Je ne suis pas crédité comme producteur mais j’ai dû agir comme tel. J’ai été content de le faire car c’est mon film, mais entre nous (même si vous pouvez l’écrire – rires), j’ai détesté cela ! Vous voyez la pièce d’Arthur Miller, Mort d’un commis voyageur ? C’est à ça que je pensais. A chaque fois que je voyais un financier, j’avais l’impression de mourir à petit feu. Mais je l’ai fait. Le producteur était formidable et a beaucoup travaillé. On a réussi à trouver suffisamment de financement pour que mon producteur principal, en décembre 2015, me dise : « Alea jacta est ! ». On y était, on avait franchi le Rubicon sans retour possible. On ne peut par exemple convaincre un acteur de s’engager qu’une fois qu’on est sûr que le film va se faire. Ce n’est qu’en janvier 2016 que j’ai pu commencer à approcher les acteurs pour leur proposer les rôles. Midori Mako, qui joue Hiromi quand elle est vieille, jouait par exemple dans un des premiers Oshima, Le retour des trois ivrognes seins nus, alors que ça ne se faisait pas à l’époque ! C’était la femme fatale du cinéma japonais des années 60 et 70. C’est une vieille amie, tout comme Ishibashi Renji, qui joue le professeur. J’ai donc pu leur demander de participer à mon film. Mais sinon, j’ai dû approcher de jeunes acteurs japonais que je ne connaissais pas personnellement. J’ai été très chanceux de pouvoir réunir ce que je considère comme un casting spectaculaire…

C’est amusant car deux de vos acteurs ont joué dans les derniers films de Wakamatsu Kôji, est-ce par choix ?

Non, c’est un pur hasard. Mme Terajima était dans Le Soldat dieu. M. Mitsushima (qui joue dans 25 novembre 1970 : Le jour où Mishima choisit son destin – ndlr) est originaire d’Okinawa. C’est d’ailleurs le seul qui vient vraiment d’ici. L’un de ses grands-pères est même américain. Ces origines lui ont fait sentir que c’était aussi son film. Pour le convaincre, je suis allé le voir dans une pièce de Noda Hideki dans laquelle il jouait, et l’ai attendu en coulisse. Je rentrais juste d’Ie-jima, l’île où nous avons tourné le film (il était impossible de le faire à Hatoma, qui est trop reculée et qui n’a pas de grotte). J’avais une photographie de l’île. Je n’ai rien dit et lui ai juste montré la photo. Il s’est écrié : « c’est Ie-jima ! ». Je savais que c’était gagné ! Cela doit être la seule fois où un réalisateur a convaincu un acteur de jouer pour lui avec une seule photo ! C’est ça être un bon réalisateur ! (rires) Miura Takahiro est aussi génial dans le rôle du grand frère. Il incarne généralement des personnages sympathiques dans des films romantiques. Sa mère est l’une des plus célèbres chanteuses japonaises : Yamaguchi Momoe. Son personnage a aussi reçu un lavage de cerveau. J’imagine que quand ces deux frères étaient enfants, ils étaient tous deux très gentils, mais que la propagande a fait un travail de lavage de cerveau sur eux. L’un a été capable de s’en extraire, l’autre pas. C’est d’ailleurs autant l’histoire de deux frères que de ces soldats japonais et américains. Tous ces acteurs venaient donc d’horizons très différents. Il ne me manquait qu’à trouver le fils que l’on voit à la toute fin. J’ai proposé à mes producteurs une liste de quelques acteurs qui pouvait avoir le profil : semblant être à moitié japonais et avoir le bon âge. Je les ai regardés et j’ai tout de suite compris à leur regard l’idée qu’ils avaient derrière la tête ! C’est le regard carnassier que l’on lance à la viande au supermarché en réfléchissant au meilleur morceau que l’on va manger. J’ai d’abord refusé : c’était hors de question pour moi de jouer ce personnage : je ne suis pas Hitchcock ! Et ils ont répliqué : « Si, tu vas le faire ! On va en plus économiser de l’argent car tu vas le faire gratuitement ». Et toute l’équipe a commencé à me lancer ce regard ! J’étais donc obligé de le faire. C’était le tout dernier plan que l’on a tourné. Impossible d’avoir un jour de plus. C’était le 22 juin dernier à Tokyo. On était en train de perdre la lumière car le soleil se couchait et il fallait absolument faire ce dernier plan. Je voulais en plus absolument que quand le soleil se tient devant Hiromi, son ombre se projette sur l’étudiante. A ce moment, on va donc tourner ce dernier plan. Midori Mako dit sa réplique et j’arrive par derrière et là, elle me regarde et éclate de rire ! Elle n’a qu’un an de plus que moi. Elle me dit alors : « Rogers qui joue mon fils, c’est ridicule ! » (rires). On a quand même pu faire le plan et terminer le film.

Propos recueillis par Victor Lopez à Naha le 22/04/2017.

Photos par Elvire Rémand.

Remerciements : Momoko Nakamura, Aki Kihara et toute l’équipe du festival d’Okinawa.

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