A l’occasion de la sortie en salles du nouveau film de Kurosawa Kiyoshi, Le Secret de la chambre noire, Condor Entertainment nous livre un beau coffret contenant 10 films du maître du cinéma japonais. Au menu : Cure, Charisma, Séance, Kaïro, Loft, Real, Shokuzai – Celles qui voulaient se souvenir & Celles qui voulaient oublier, Seventh Code, Vers l’autre rive. De quoi se remémorer de beaux moments de cinéma !
Même si l’on a déjà visionné tous les films de Kurosawa Kioyshi, un tel coffret ne se refuse pas puisqu’on y retrouve 10 films réalisés entre 1997 et 2015 dont l’inédit Seventh Code, découvert au Festival Kinotayo. Il met en lumière la pluralité du cinéma du Kurosawa pour notre plus grand plaisir.
Un cinéaste polymorphe
Il suffit de suivre la carrière de Kurosawa Kioyshi pour se rendre compte que ce fan de cinéma de genre a appliqué sa passion à sa filmographie. Cure, qui l’a révélé en France en 1997, marque le début du cinéaste dans le polar surnaturel, qu’il poursuivra plus tard dans Séance par exemple, qui se rapproche peut-être davantage du drame familial que du polar, en réalité. Peu de temps après, il tente une incursion dans le film d’aventures avec Charisma, qui se détache rapidement du genre hollywoodien pour devenir un ovni cinématographique mettant en scène un inspecteur de police trouvant refuge dans la nature et confronté à un choix éthique. Puis, alors que J-Horror connaît son heure de gloire au Japon, Kurosawa s’engouffre dans ce genre avec Kaïro, qui est bien plus qu’un film de fantômes puisqu’il interroge le Japon sur lui-même. En 2005, Loft reste dans le domaine de l’horreur en y mêlant histoire d’amour avec de fortes influences hitchcockiennes à la mise en scène. Kurosawa prend ensuite un autre tournant, plus sentimental et intime, avec Tokyo Sonata en 2008 (malheureusement absent de ce coffret). Ce changement de cap se ressent dans Shokuzai, oeuvre en deux parties, sortie en en 2012 qui, malgré tout, garde une certaine noirceur. Noirceur qui s’effacera de plus en plus jusqu’à Seventh Code, film d’action de commande fun et efficace, jusqu’à son paroxysme avec Vers l’autre rive, réalisé en 2015. Lumineux et tendre, ce dernier a conquis la catégorie Un Certain Regard de Cannes en 2015. La suite, on la connaît et elle nous a plutôt rassurés sur le futur du cinéaste : Le Secret de la chambre noire, bien qu’imparfait, renoue avec l’obscurité inhérente à Kurosawa et surtout, Creepy, qui saute dans le glauque à pieds joints.
Kurosawa a utilisé des genres bien différents qui, forcément, ont influencé sa réalisation, parfois hypnotique, abrupte ou au contraire, lumineuse voire lyrique. Et pourtant, tous ces contrastes forment un ensemble cohérent qui fait de Kurosawa un véritable maître du cinéma. Avant ou après Tokyo Sonata, avant ou après la lumière, finalement, qu’importe. Les points communs sont plus forts que les disparités formelles.
Un cinéaste de la crise
Quelque soit le genre abordé dans ses films, Kurosawa Kiyoshi tourne autour de la même thématique : la crise à son paroxysme. Elle peut se dérouler dans un vaste espace et concerner toute la population, comme dans Kaïro ou, au contraire, se concentrer sur un couple, cible privilégiée du cinéaste. En effet, les couples de Séance, Loft ou Real traversent tous un moment de crise, intense. Parfois, seul un homme, symbolisé par l’acteur Yakusho Koji, sorte de double du réalisateur, est en proie aux doutes. L’apogée des films de Kurosawa, ou climax, est ce moment où le spectateur réalise que la déliquescence de la vie des personnages principaux atteint l’extérieur. Chez le réalisateur japonais, rien ne reste en vase clos. Kaïro est bien sûr l’exemple même de la contamination de la population, tout comme Cure qui voit le crime se répandre partout. Mais Shokuzai, qui marque pourtant le relatif assagissement de Kurosawa (lui-même le dit, il a vieilli) est lui aussi symptomatique de cette contagion inévitable. Du meurtre d’une fillette, le cinéaste passe à la mise en scène des vicissitudes de cinq jeunes femmes, elles-mêmes entourées de personnes pour le moins ambiguës. Dans ses films, Kurosawa ne cesse de s’interroger et de questionner son pays : la dissolution de la famille, le repli sur soi, la reconnaissance des fautes réalisées dans le passé par le pays, etc. Même Seventh Code n’échappe pas à la règle : le cinéaste trouve le moyen, dans un film de commande visant à mettre en avant la chanteuse de J-Pop Maeda Atsuko, d’interroger le spectateur japonais sur la réalité des immigrés asiatiques en Russie.
Kurosawa Kiyoshi est l’un des rares cinéastes à pouvoir manier les genres avec subtilité, tout en apportant un regard nouveau à chaque fois sur la société et la vie en général. Cette diversité de tons et de réalisation n’empêchent pas le cinéaste d’imposer sa patte, remarquable au premier coup d’œil. Même dans la douceur, le malaise n’est jamais très loin.
Condor Entertainment, par le biais de ce coffret, nous permet de nous replonger avec délice dans la filmographie d’un grand cinéaste qui, on l’espère, va continuer à nous éblouir et même parfois, à nous décevoir car la tentative au cinéma est ce qu’il y a de plus louable. Pour l’occasion, Condor Entertainment a joué la carte de la sobriété avec ce coffret de 10 DVD, ce qui correspond bien au cinéaste. Le guide la collection (30 pages), rédigé par Diane Arnaud, succinct mais complet, accompagne le coffret. Ce dernier comporte une case vide pour pouvoir y ranger Le Secret de la chambre noire qui sortira en vidéo en septembre prochain. Presque chaque film est accompagné d’un ou de plusieurs bonus, soit des scènes commentées par Romain Slocombe, écrivain et réalisateur, entre autres, spécialisé sur le Japon, soit des interviews exclusives du Kurosawa Kiyoshi, qui se révèlent très intéressantes.
Elvire Rémand.
Kiyoshi Kurosawa Coffret 10 Films. Japon. 1997-2015. DISPONIBLE EN COFFRET 10 DVD, édité par Condor Entertainment le 14/02/2017.
Le guide de la collection (30 pages, broché), rédigé par Diane Arnaud, professeur d’analyse et d’esthétique filmiques à l’Université Paris 7 Denis Diderot, auteur de Kiyoshi Kurosawa : Mémoire de la disparition (2007).