POUR – Ghost in the Shell de Rupert Sanders : Human after all

Posté le 26 mars 2017 par

La première vraie tentative ambitieuse d’adaptation d’un classique de la japanimation à la sauce blockbuster est une réussite !

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Ghost in the Shell représente après la pantalonnade Dragon Ball Evolution (2009) la première vraie grande adaptation d’une icône de la culture manga/japanimation. La porosité entre le blockbuster et ce courant n’avait cessé de s’affirmer avec les méchas de James Cameron dans le final d’Aliens (1986), les expérimentations formelles vertigineuses des Watchowski sur Speed Racer (2008), les emprunts peu discrets à Perfect Blue (1997) ou Paprika (2007) par Darren Aronofsky et Christopher Nolan sur leurs Requiem for a Dream (2000) et Inception (2010) respectivement. On franchit donc un pas avec une influence artistique qui s’inscrit dans une norme industrielle hollywoodienne où l’on adapte une franchise emblématique de japanime pour en tirer une grosse production à visée commerciale. La conjonction entre des exécutifs ayant cerné le potentiel de ce matériau auprès du grand public et l’arrivée aux affaires de réalisateurs baignés de cette culture nous amène donc à ce moment. Dans l’ambition, les moyens déployés et le ton adopté, on voit la connaissance et le respect de Rupert Sanders de ce qu’il adapte, même si cela ne suffit pas à faire un bon film. Néanmoins, on sent l’éducation désormais faite par l’industrie qui aborde le projet avec le même sérieux que pour le X-Men de Bryan Singer (2000), acte fondateur de l’omniprésence du film de super-héros (précédé des réussites plus éparpillées du Superman (1978) de Richard Donner ou des Batman (1989, 1992) de Tim Burton) dans le blockbuster moderne. C’est une éducation également à faire chez la très chatouilleuse communauté de fans voyant cette culture lui être « volée » à des visées grand public. La production du film aura ainsi eu droit à son lot de polémiques stériles, le choix de Scarlett Johansson entraînant des accusations de « whitewashing » (alors qu’un simple coup d’œil au manga de Shirow Masamune ou au film d’Oshii Mamoru suffit pour voir l’absence de traits japonais de l’héroïne dessinée) tandis que les premières bandes-annonces entraînaient un jeu des sept erreurs un peu vain. Donc autant il aura fallu du temps aux studios pour savoir aborder cet univers, autant il faudra aux fans assimiler les changements, ajustement et modifications que tout lecteur de roman, pièce de théâtre ou comics acceptent désormais dans ce qui demeure une ADAPTATION.

Scarlett Johansson plays Major in Ghost in the Shell from Paramount Pictures and DreamWorks Pictures.

Le film de Rupert Sanders fonctionne sur un équilibre réussi entre appropriation et déférence. Le scénario reprend les questionnements existentiels plus appuyés dans Ghost in the Shell (1995) de Oshii Mamoru que dans le manga de Shirow Masamune tout en mettant plus en avant la facette enquête policière à la façon de la série Ghost in the Shell: Stand Alone Complex. Rupert Sanders explore également les doutes du Major (Scarlett Johansson) sur son humanité, elle qui constitue le premier cyborg alliant cerveau humain et corps synthétique amélioré. Seulement, il le fait en creusant une facette simplement esquissée chez Oshii, la vie humaine passée du Major ainsi que le lien ambigu entretenu avec la compagnie qui l’a sauvée et « améliorée ». La mythique scène de fabrication du cyborg qui ouvrait le film de 1995 est donc reprise ici mais pour véritablement illustrer l’acte de naissance du Major qui découvre, apeurée, ce corps artificiel qu’elle va devoir apprendre à dompter. Lorsqu’on la découvrira en action via une ellipse, Major déploie ses capacités de façon spectaculaire, où s’exprime le libre-arbitre de l’humain (sa désobéissance à l’ordre du chef Aramaki (Takeshi Kitano)) et l’efficacité de la machine. Rupert Sanders dans un beau ballet croise la bizarrerie déstabilisante (les robots-geisha) du Ghost in the Shell: Innocence (2004) et le morceau de bravoure voltigeant à l’américaine bien digéré depuis Matrix (1999).

Scarlett Johansson plays Major in Ghost in the Shell from Paramount Pictures and DreamWorks Pictures.

Scarlett Johansson est remarquable et surprend par une prestation très différente du rôle « autiste » d’Under the Skin (2013) qui lui avait pourtant donné assez de crédibilité pour jouer dans Ghost in the Shell. Si dans Under the Skin, elle incarnait une extraterrestre dont la froideur s’estompait au fil de son lien aux humains, elle apporte une vraie nuance ici avec une humaine dissimulant ses émotions sous une attitude monolithique. Consciente de son statut d’objet et d’arme, elle l’applique avec détachement et aligne les répliques désabusées à la moindre attitude chaleureuse envers elle. Rupert Sanders retrouve la famille dysfonctionnelle vue dans son Blanche-Neige et le Chasseur (2012) à travers la relation entre Kristen Stewart et Charlize Theron. Le seul lien « familial » repose sur la relation avec son « créateur » le docteur Ouelet (Juliette Binoche). C’est le premier visage vu lors de sa « naissance » d’ouverture comme le serait celui d’une mère, l’environnement blanc clinique et technologique suggérant une forme tordue de maternité et l’extrême vulnérabilité de Scarlett Johansson l’associant à un nouveau-né. Ce rapport filial est pourtant vicié puisque déterminé par l’assujettissement du Major à la compagnie. Le vrai attachement ne naît donc que dans l’amitié virile et taquine avec le partenaire Batou (excellent et charismatique Pilou Asbæk), où là aussi Sanders reprend l’approche de Blanche-Neige avec la relation Kristen Stewart/Chris Hemsworth.

Scarlett Johansson plays The Major in Ghost in the Shell from Paramount Pictures and DreamWorks Pictures in theaters March 31, 2017.

Formellement, Sanders offre ponctuellement une redite explicite du film d’Oshii dans les scènes contemplatives urbaines mais en détourne parfois habilement le sens initial. Les scènes d’action également dans cette reprise sont suffisamment revisitées, inventives (l’ouverture précédemment évoquée, la scène de la boîte de nuit) ou vectrices d’une émotion réellement différente qui change la teneur des images par rapport à l’original. Toute la qualité du film est finalement là, provoquer un ressenti différent sur une thématique voisine. Aux tirades et monologues existentiels parfois trop appuyés d’Oshii (mais qui fonctionnent dans le média japanime) Sanders a une approche moins subtile mais finalement plus adaptée aux émotions directes recherchées. Le jeu sur les reflets, très allusif et poétique de l’anime, est ici plus frontal avec le Major s’observant pensivement dans les miroirs, ayant toujours une attitude détachée dans le rapport à son corps et scrutant les soubresauts de la vraie humanité chez les autres – la curieuse rencontre avec une prostituée, réminiscence de la sexualité lesbienne du personnage dans le manga. Ce n’est pourtant pas ce corps artificiel qui la fait se sentir différente mais bien l’absence de souvenirs de sa vie passée, ou du moins les fragments dont elle doute de la réalité. Cette foisonnante cité futuriste où s’entremêlent buildings high-tech et hologrammes sophistiqués offre des visions rappelant l’imaginaire d’un Blade Runner, mais l’inscrit dans la brume réalité/illusion qui perturbe l’esprit du Major quant à son passé. La trame qu’on pourrait trouver voisine d’un Robocop (1987) trouve ainsi une identité propre par cette mélancolie introspective, cet infini sentiment de solitude.

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Dès lors, l’adversaire poursuivi et les enjeux qui en découlent seront très différents de ce qui avait trait au Puppetmaster dans la vision d’Oshii. Celui-ci s’interrogeait sur la définition de l’humanité et voyait son avenir dans une mue bouleversant la distinction entre intelligence artificielle et âme. L’harmonie dans cette quête identitaire chez Oshii ne se retrouvait qu’en devenant « autre chose », elle ne peut naître chez Rupert Sanders qu’en se retrouvant soi-même. L’émotion repose moins sur l’étrange et l’inattendu vertigineux que sur la reconquête de son être et une nouvelle fois le climax, tout en se montrant assez déférent de son modèle, va vraiment dans une autre direction. Pour résumer, si la question chez Oshii est « Qu’est-ce que je suis ? », celle de Sanders sera « Qui suis-je ? ». Au passage le stérile débat sur le whitewashing trouve même une réponse dans le déroulement du récit. Au final, une adaptation respectueuse et suffisamment personnelle pour trôner sans honte parmi les autres visions de l’univers de Shirow Masamune. On espère que les autres tentatives à venir – Death Note version US est en vue – feront preuve de la même passion.

Justin Kwedi.

Ghost in the Shell de Rupert Sanders. USA. 2017. En salles le 29/03/2017.