Psycho Raman (aka Raman Raghav 2.0) a été projeté en mai dernier à Cannes. Et maintenant, c’est au tour de Netflix de nous le faire découvrir.
Anurag Kashyap, malgré sa bonne bouille souriante, ne s’est pas calmé. Il nous avait déjà bien secoués avec Ugly (lire ici) qui n’avait laissé personne indifférent. Psycho Raman devrait en être de même avec ses 2h07 de violence et de perversité inouïes.
Psycho Raman tire son nom du tueur en série Raman Raghav, schizophrène ayant sévi à Bombay à la fin des années 1960. Pour autant, au contraire de ce que son titre pourrait présager, ce n’est pas un biopic du serial killer indien. Le film suit Ramanna, fasciné par le célèbre tueur et débute alors que que le personnage a déjà plusieurs meurtres à son actif. Anurag Kashyap ne filme donc pas les racines du mal mais son expansion. Véritable psychopathe, Ramanna vit comme un sans-abri, dans les ruelles décrépies de Bombay. Il squatte, mendie avec une barre de fer à la main et déclame des propos délirants sur Dieu. L’action arrive très rapidement au cours du film, dans une scène choc et très longue, au cours de laquelle Ramanna s’incruste chez sa sœur et la terrorise ainsi que son mari et son fils. Avec cette scène liminaire d’une brutalité physique et psychologique hallucinante, Anurag Kashyap montre immédiatement que le film ne va pas être léger. Et c’est aussi pour ça qu’on l’aime. De cette folie meurtrière s’ensuit un jeu du chat et de la souris entre Ramanna et Raghavan, flic beau gosse, clope au bec et cheveux gominés, qui veut arrêter le massacre.
Il faut l’avouer : chaque élément du film pris séparément est réussi. Anurag Kashyap n’a plus besoin de prouver qu’il sait réaliser un film, qui plus est un polar. L’antagonisme des deux protagonistes est visible et même palpable. Pour des raisons budgétaires, Anurag Kashyap a tourné dans le Bombay actuel, filmant les maisons décrépies, les ruelles et les terrains vagues où traîne Ramanna. Ce dernier est généralement mis en scène dans des plans-séquences, sauf dans ses accès de colère, évidemment. La bande-son qui accompagne ses déambulations, de la pop indienne contemporaine, accentue son errance. A l’inverse, Raghavan, le flic, vit plutôt confortablement et passe ses soirées en boîte de nuit à danser sur de la musique psychédélique, à sniffer de la coke et à draguer de jolies jeunes femmes. Les plans sont alors très serrés et découpés et montrent la tension perpétuelle dans laquelle vit ce faux héros. Deux personnages à l’opposé, deux ambiances. Physiquement, Ramanna a tout du psychopathe en puissance et est brillamment interprété par Nawazuddin Siddiqui (The Lunchbox), dont le regard, quasiment reptilien, est fascinant. Raghavan, lui, joué par Vicky Kaushal (Masaan), est le cliché du jeune flic un peu désabusé. Beau à se damner, séducteur, viril, il est clair qu’il ne lâchera pas l’affaire tant qu’il n’aura pas arrêté le fou furieux. Pour jouer avec les nerfs du spectateur et renforcer la tension latente, le cinéaste s’amuse des ruptures de ton. Bien que Psycho Raman soit ultra-violent et noir, quelques scènes d’humour ponctuent le récit, notamment celles se déroulant au commissariat, lieu comique par excellence dans le cinéma indien.
Peu à peu, le film dépasse le simple polar. En effet, ces deux personnages, qui paraissent si différents au premier abord, ne le sont finalement pas tant que ça. Raghavan, qui détient le bon rôle en étant le gentil flic, est tout sauf un saint. Drogué, violent, il passe ses nerfs sur ses conquêtes d’un soir. Une mention spéciale doit être décernée aux femmes de ce film qui, bien qu’au second plan, sont omniprésentes et s’en prennent littéralement plein la tête. Ramanna, qui le suit à la trace, se délecte évidemment de découvrir en ce jeune flic son alter ego. Il reste difficile, à la fin du film, de trouver la réponse à cette question : qui est plus pourri que l’autre ? Psycho Raman a au moins le mérite de renverser les codes du polar. Malheureusement, même si le duo fonctionne un temps, rapidement, le charisme de Nawazuddin Siddiqui écrase Vicky Kaushal et son manque de prestance.
Psycho Raman est un savant mélange de genres et le film a une énergie débordante. Cette dernière est malheureusement parfois mal maîtrisée et rend le film un peu foutraque. Anurag Kashyap s’est amusé à tourner, cela se sent. Mais il n’arrive pas à faire un choix entre mettre en avant l’atmosphère ou insister sur la violence des personnages. Par moment, le film est hystérique sans raison particulière et d’autres scènes se montrent pudiques en violence alors qu’elles ne devraient pas l’être. On sort de ces 2h de projection, un peu épuisé et avec une impression mitigée : le film est jouissif mais il manque cet petit truc qui avait fait d’Ugly une véritable claque. Peut-être un excès de confiance du réalisateur ? On aura certainement la réponse lors de son prochain film !
Elvire Rémand.
Psycho Raman d’Anurag Kashyap, présenté en compétition à L’Etrange Festival 2016 (Forum des images).