L’Etrange Festival 2016 : Bilan

Posté le 15 octobre 2016 par

Ça passe ou ça casse. Malgré cette dualité inhérente à L’Étrange Festival, nous avons vu des films étonnants et des terrifiants. Des révélations aux pépites d’un autre temps, du roman porno au massacre parano. C’était L’Étrange Festival 2016. Par Kephren Montoute et Elias Campos.

Étranges surprises ?

Alors que des cinéastes qui semblent occuper une place de plus en plus importante dans leurs pays respectifs sont ignorés ou injustement boudés en France, L’Etrange Festival s’avère être la seule option que nous avons de voir leurs films en salles. Que l’on cite Sono Sion, les Mo Brothers ou Khavn, ces cinéastes ont désormais leur place à L’Etrange et ce n’est pas pour nous déplaire. Sono Sion était présent par deux fois, en tant que réalisateur et en tant qu’acteur de sa propre vie, un documentaire lui étant consacré. Antiporno est l’un de nos films préférés de cette édition et vient nous rassurer sur le chemin que prenait son auteur à l’aune de ses films plus commerciaux, tel The Virgin Psychics ou Shinjuku Swan. Comme vient le souligner le documentaire The Sion Sono de Oshima (fils), le punk du cinéma japonais est encore loin d’avoir dit son dernier mot.

Antiporno

Les Mo Brothers signent avec Headshot un actioner de bonne facture, en dessous des deux The Raid, mais largement au-dessus du tout-venant occidental dans le domaine. Si on doutait de la santé du cinéma d’action asiatique, ils nous rappellent qu’en dignes descendants d’une tradition qui va de HK en Indonésie en passant par la Corée et la Thaïlande, le renouveau du genre n’a jamais quitté l’Asie et compte bien y rester. Khavn, quant à lui, continue d’explorer les bidonvilles de Manille et de mettre en évidence la situation de son pays à travers des gestes esthétiques radicaux. Alipato n’est pas aussi lyrique que Ruined Heart et se complaît parfois dans une esthétique expérimentale un peu lourde mais il reste une expérience forte et d’une liberté indubitable. Un peu comme Psycho Raman de Anurag Kashyap qui, malgré un rythme un peu bancal, tente de nous faire voyager dans la folie de ses personnages, un serial killer et un policier borderline, par des partis pris esthétiques qui peuvent autant dérouter qu’hypnotiser.

L’Etrange Festival, ce ne sont pas que des rendez-vous de nos cinéastes favoris, c’est aussi un enchaînement de blind dates avec des nouveaux venus  intéressants et  très prometteurs. Ce fut le cas pour le malaisien Dain Iskandar Said avec son film Interchange. Véritable polar, il bascule doucement vers un fantastique inspiré du folklore malaisien. Ce n’est pas excellent, mais ça a le mérite d’être captivant, et de nous fasciner à travers une esthétique qui doit autant à la J-horror qu’à David Fincher. Dain Iskandar Said est donc un réalisateur à suivre, et peut-être le futur espoir pour la visibilité d’un cinéma malaisien trop rare. L’évocation de Fincher serait plus pertinente pour une autre révélation du festival, The Tenants Downstairs, premier film du boss de la pop taïwanaise Adam Tsuei et grand coup de cœur de cette édition. Ce coup d’essai est un coup de maître. Le film dévoile avec virtuosité la perversion qui sommeille en chacun de ses protagonistes comme celle qui sommeille en chacun des spectateurs. Autre très bonne surprise venant du Japon, Hime-Anole de Keisuke Yoshia. Le film propose deux regards différents sur l’évolution d’une histoire, le premier est celui d’une comédie romantique de très bonne facture, le second celui d’un film de serial killer qui brille par sa noirceur.

the-tenants-downstairs_03

Sur une note plus légère, le retour du Roman Porno par Akihiko Shiota nous a également séduits. Avec Wet Woman in the Wind, il propose un retournement des paradigmes qui ont fait le succès du genre, la campagne au lieu de la ville, la domination des hommes sur les femmes… Mais l’érotisme suintant est toujours présent et il est poussé à l’extrême par une expérimentation théâtrale dans le mouvement des corps et leur représentation jusqu’à l’explosion sensuelle et sexuelle ! Dans un autre genre marginal, la Catégorie III, un vent nouveau nous a aussi doucement rafraîchis durant ce festival. When Geek Meets Serial Killer de Eric Cheng & Remus Kan, est l’adaptation d’un manhua (bande dessinée hongkongaise) éponyme. S’il parvient à moderniser le genre, il est rempli de petits défauts typiques du cinéma hongkongais actuel. Le film nous propose cependant de rire de l’horreur comme il est de moins en moins permis de le faire, aussi bien dans le cinéma asiatique que dans le cinéma occidental.

When Geek

Le cinéma occidental, plus précisément européen, était lui aussi marqué par l’Asie avec l’agréable surprise qu’est Jeeg Robot, film italien qui arrive à trouver un équilibre entre film de mafieux, chronique sociale, et origin story de super-héros, tout cela avec comme point de départ l’œuvre de Go Nagai. Le cinéma latin a aussi marqué cette édition. On pourra citer la radicalité du cinéma mexicain avec La Region Salvaje de Amat Escalante et We Are the Flesh de Emiliano Rocha Minter. On évoquera aussi le sublime film d’animation Psiconautas signé Pedro Rivero et Alberto Vasquez. L’Etrange Festival a confirmé nos espoirs et nous donne de nouvelles attentes concernant le cinéma de genre asiatique et européen. Même si c’est une porte sur la découverte de nouvelles figures et une fenêtre qui nous permet de garder un œil sur certains cinéastes, nous devons aussi mentionner des films moins intéressants, voire des « nanars ».

Visions douteuses

Comme chaque année, L’Etrange Festival comporte son lot de films incongrus qui nous laissent aussi circonspects que désespérés. Nous nous demandons parfois comment ces objets interlopes ont pu arriver jusqu’à nous, et dans le pire des cas, comment ils ont pu arriver tout court. L’étendard de la partie désastreuse de cette édition est bien sûr Terra Formars de Miike Takashi. Abandon, déception, démission sont les mots qui qualifieraient le mieux cette commande peu inspirée. Alors que nous nous plaignions de la qualité infecte des blockbusters américains, Miike vient nous rappeler que ce n’est pas forcément mieux ailleurs, dans un Japon noyé sous les adaptations de manga.

Terra Formars 2

Même dans un cinéma moins industriel, la qualité n’est pas forcément de la partie. The Bodyguard de et avec Yue Song, espèce d’ego-trip sur fond d’arts martiaux plus digne de La Nuit Nanarland que de L’Etrange Festival, démontre que les succès de Wilson Yip ou Soi Cheang ne sont pas infondés et que le cinéma d’action n’est pas à la portée du premier luron, aussi louables soient ses intentions. Il y a aussi des œuvres qui planent dans les méandres des possibilités cinématographiques, c’est le cas de The Plague at Karatas Village. On peut y voir une jolie succession de tableaux absurdes et satiriques qui expriment une bizarrerie propre au cinéma kazakh, comme on peut y trouver des séquences surréalistes bien trop fermées sur elles-mêmes pour susciter l’intérêt.

 

Heureusement, la rétrospective consacrée à Imamura Shōhei a permis de nous donner des visions variées du Japon. Entre le film-fleuve Profond désirs des dieux qui nous montre la transformation du Japon de la ruralité à la modernité et Désirs volés qui suit les histoires d’amours et de désirs d’une troupe de théâtre dans la campagne japonaise, L’Etrange Festival nous a donné la possibilité de (re)découvrir le cinéaste japonais à travers 7 films. La thématique « A la liberté ou à la mort » nous a aussi permis de voir l’ultime chef-d’œuvre de Koji Wakamatsu, United Red Army qui contraste, par sa maîtrise et sa rigueur, avec les œuvres douteuses citées précédemment. C’était aussi ça, L’Etrange Festival version 2016, en espérant y retrouver l’événement Baahubali l’année prochaine !

Kephren Montoute et Elias Campos.