Alors que le retour de Herman Yau (lire ici) ravive les souvenirs des grandes heures de la catégorie III, When Geek Meets Serial Killer tente de moderniser le genre et annonce probablement son retour. L’adaptation du manhua (BD hongkongaise) éponyme de Eric Cheng apporte son lot de surprises aussi amusantes que maladroites.
When Geek Meets Serial Killer est l’adaptation d’un manhua du célèbre auteur hongkongais, Eric Cheng. Cette œuvre occupe une place particulière dans la vie de son auteur, car elle est en rupture totale avec ce qu’il a l’habitude de faire dans le manhua : du wuxia. Ainsi lorsque Remus Kam arrive sur le projet, Eric Cheng s’impose durant le tournage pour que le film soit fidèle à son matériau d’origine. En résulte une co-production HK-Taiwan-Malaisie qui assure au film une liberté de ton qui justifie la coréalisation offrant à son auteur un respect de sa vision. Et quelle vision ! When Geek Meets Serial Killer se résume avec son titre. Le film raconte effectivement la rencontre d’un « Geek » et d’un « Serial Killer ». Mais ce sont les deux visions, pas totalement opposées, qui définissent le film tant bien que mal.
Le film se présente en trois parties. Celle du geek, celle du serial killer et celle du couple. La première partie suit Zhang Jian-He qui vient de tuer son meilleur ami, sans le faire exprès. Dès lors, nous assistons à un enchaînement de péripéties et de situations tragi-comiques. La force de ce segment réside dans le contraste constant entre la situation et son traitement aussi bien par le protagoniste que par la mise en scène. Zhang Jian-He est toujours dans l’exagération (il se met à gémir sur le sol) malgré son pragmatisme (il trouve très vite comment faire disparaître le cadavre). Cette dualité s’exprime surtout dans la mise en scène et dans des choix qui sont des impératifs commerciaux mais également des partis pris esthétiques. Par exemple, le film commence avec un clip du groupe d’idol taïwanaises, Twinko (dans une séquence de rêve) dont les figurines servent quelques minutes plus tard à la masturbation du héros. Le film tente de marier une esthétique cotonneuse à l’aide de lumières douces et des atouts du tournage en studio (tout est très propre et rangé, comme dans un clip) avec des situations graveleuses et glauques comme le fait qu’un cadavre est en train de griller dans un immeuble dans l’indifférence générale, voire avec la complaisance du spectateur. Ce mouvement esthétique est bien à l’image de ce que promet le film, la rencontre d’un geek et d’un serial killer.
Dans la partie de Zhang Jian-He, les flashback répétitifs et explicatifs font perdre du rythme au film. L’esthétique duelle permet de corriger cela dans la seconde partie du film, celle du serial killer. Un cliffhanger bien amené nous entraîne dans cette partie qui est une sorte de long flashback sous la forme d’un clip qui narre les étapes importantes de la vie de Jia-Ming. Cela est efficace, et laisse même exister une sorte de lyrisme qui plonge le film dans une autre lecture encore plus déviante. Cette grille de lecture est justement ce qui rend l’appartenance au genre Catégorie III pertinente, le film ne clos aucune piste et surtout pas celle de l’homosexualité latente de ses deux protagonistes. La mise en scène soignée lorgnant vers la love story n’est pas innocente. Et le traitement du seul personnage féminin, Yashi (petite amie de Zhang Jian-He), non plus. Le film se révèle être la rencontre d’un geek et d’un serial killer à la manière d’un « Boy meets Girl » : un coup de foudre puis une passion et la fin (ou non) d’une histoire. D’ailleurs, le background des deux protagonistes montre bien que leur problème réside autant dans leur sexualité que dans leur rapport aux autres. Plus explicite, l’une des premières séquences est une scène de tchat sur internet entre Zhang Jian-He et une mystérieuse inconnue qui s’avère être Jia-Ming. C’est également la scène de clôture. Le projet du film s’avère donc être une banale histoire d’amour qui tourne mal, c’est là que le film trouve sa place entre Ebola Syndrome ou Seeding of a Ghost. Il transcende le genre par sa liberté formelle comme ses aînés, mais reste quand même un objet contemporain dans le soin qui est apporté à la mise en scène pour qu’elle réponde aux images modernes des clips et des drama, non sans ironie.
When Geek Meets Serial Killer s’avère donc être une bonne surprise, qui vient réveiller un genre endormi. Ce n’est pas parfait et en Occident, le film serait comme une rencontre entre Xavier Dolan et Lars Von Trier, pour le meilleur et pour le pire. Il mérite néanmoins qu’on y jette un coup d’œil, qu’on soit geek ou… serial killer.
Kephren Montoute.
When Geek Meets Serial Killer de Remus Kam & Chin Pei-Chen. HK-Taiwan-Malaisie. 2016. Présenté à L’Etrange Festival 2016 (Forum des Images).