DVD – 3 films de Hong Sang-soo en vidéo

Posté le 10 septembre 2016 par

Deux sorties incontournables chez Blaq out viennent ensoleiller la rentrée des fans du grand Hong Sang-soo : à ma droite, le récent et délicieux Un jour avec, un jour sans ; à ma gauche un coffret avec Sunhi et Hill Of Freedom. L’occasion est idéale pour revenir sur la filmographie essentielle du cinéaste coréen.  

Un jour avec, un jour sans: « Un très grand cru ! »

Par Sidy Sakho.

un jour avec, un jour sans

Comme chacun sait, Hong Sang-soo réalise toujours le même film. Plus exactement, l’une des approches coutumières de son œuvre désormais très fournie (un film par an, sinon deux, depuis Turning Gate en 2003) repose sur ce socle critique pas moins valable qu’un autre : HSS assume de plus en plus un penchant pour la reprise de situations déjà vues un ou deux ans plus tôt. Sunhi (2014), par exemple, aurait tout à fait pu s’intituler à son tour « Sunhi et les hommes », tant il n’y était pas moins question que dans le précédent Haewon et les hommes (2013) des allers-retours affectifs d’une jeune femme un peu rêveuse. The day he arrives (2011) et In another country (2012) faisaient par ailleurs de la relecture d’une situation, sa reprise, le moyen d’une relance de la fiction.

« Le HSS annuel est peut-être son film le plus risqué, par la radicalité de son concept. Il en est d’autant stimulant. »

 

Cette dimension expérimentale et arbitraire du récit, ce principe de variation sur le même thème, justifient à eux seuls la place tenue depuis une dizaine d’années en paysage cinéphile par le Rohmer sud-coréen. Celle d’un auteur pur jus, un cinéaste au travail d’autant plus intéressant à suivre que chaque nouvelle livraison conforte notre savoir sur son art, ou, dans le meilleur des cas, défie ce savoir en poussant l’expérimentation plus loin que prévu. Ce dernier film, Un jour avec, un jour sans, figure parmi ces œuvres de défiance. Tout ce qui fait le cinéma de HSS (longs plans fixes sur une soirée arrosée au soju, discussion en extérieur entre un cinéaste trentenaire et une jeune fille pas insensible à son charme…) nous est donné. Cette familiarité, par la maîtrise toujours indéniable de la mise en scène, suffit à rassasier le fan club.

RIGHT-NOW-WRONG-THEN

Sauf qu’après la première heure plaisamment fluide de cet opus qui en compte deux (HSS nous avait habitués après Ha Ha Ha à la forme compacte d’environ 1h15), survient un bug assez inédit. Débute un nouveau film (Right Now, Wrong Then succède au précédent Wrong Now, Right Then), avec son propre générique, où figurent pourtant les mêmes noms d’acteurs et de techniciens que tout à l’heure. Ce deuxième film dans le film sera rien moins que le palimpseste du premier. L’histoire commence et s’achève aux mêmes lieux, avec les mêmes personnages. On craint d’abord, au constat de cette redite, de n’être pas armé pour ce type de proposition, revoir un même film dans la foulée d’une première fois n’étant pas un problème… si c’est notre choix. Car il n’est pas question ici, comme dans les films précités, de commencer le visionnage en anticipant les variations à venir. Hong Sang-soo nous met, cette fois, dans la position bien moins confortable du spectateur communément amnésique et hypermnésique.

RIGHT-NOW-WRONG-THEN-

Appuyons-nous sur l’histoire. Ham Cheon-soo (Jae-yeong Jeong), cinéaste connu, arrive à Suwon avec un jour d’avance, à l’occasion d’une rétrospective. Devant un palais restauré, il fait la connaissance de Yoon Hee-jeong (Kim Min-hee), une jeune et jolie peintre. Celle-ci l’invite à voir ses toiles dans son atelier. Ils vont ensuite boire quelques verres dans un restaurant du coin, où ils envisageront la possibilité ou non d’une relation, avant de finir la soirée chez des amies de la jeune femme. Le lendemain, le cinéaste quitte Suwon après sa conférence. Les deux versions partagent cette trame. Mais l’enjeu du film sera de déclencher, comme dans un jeu des sept erreurs, l’observation à une heure d’intervalle des plus infimes différences entre deux scènes supposément identiques. Là où, dans le « premier film », le tableau analysé en direct par Cheon-soo était à notre portée, il reste hors-champ dans le second, où importe avant tout le lien entre la parole du personnage et son regard amoureux sur Hee-jeong. On ne peut donc appréhender cette reprise en occultant le souvenir de la première fois.

RIGHT-NOW-WRONG-THEN-

La variation a ceci de radical, dans Un jour avec, un jour sans, qu’elle fait de nous, même à notre corps défendant, des spectateurs également dédoublés. Le spectateur de la version 1 est celui d’un HSS classique et de plutôt bonne facture. Celui de la version 2 est quant à lui plus actif, plus travailleur. Chaque scène de Right Now, Wrong Then invite à se repasser mentalement Wrong Now, Right Then, pour se rappeler les premières réactions des personnages et autres angles de caméra. Voici un film d’autant plus majeur de la filmographie qu’il interroge littéralement sur la possibilité de refaire ou non le même film, à deux trois détails près.

Sidy Sakho.

Un jour avec, un jour sans, de Hong Sang-soo. Corée. 2015. En DVD le 06/09/2016.

2 films de Hong Sang-soo

Hong Sang-soo DVD

Sunhi : « Un petit bijou. »

Par Marc L’Helgoualc’h.

Un homme et une femme, un plan fixe de 10 minutes (hop, un petit zoom !), des discussions inlassables, des bouteilles de soju et des cigarettes. Revoilà Hong Sang-soo dans son nouveau film, Sunhi, un petit bijou dans lequel l’art de la répétition et de la variation atteint des sommets.

Il faut toujours commencer par le scénario du film. Laissons Paris-Match s’en charger : « Diplômée en cinéma, Sunhi rend visite à l’un de ses professeurs, Choi, en vue d’obtenir une lettre de recommandation lui permettant d’aller étudier aux États-Unis. Ce jour-là, elle revoit deux hommes de son passé : son ex-petit ami Munsu et Jaehak, un réalisateur diplômé de la même école qu’elle. Pendant le temps qu’ils passent ensemble, Sunhi reçoit leurs différents conseils sur la vie ». Voilà pour l’histoire du film. Passionnant, n’est-ce pas ? Mais il y a l’art et la manière. Hong Sang-soo a la manière de faire de cette histoire banale et déjà-vue un film très bien construit et jouissif/répulsif selon qu’on aime ou pas le réalisateur. En effet, les contempteurs de Hong Sang-soo vont sans doute haïr ce film. Et les amateurs aimer. Car Sunhi est un concentré très maîtrisé des thèmes chers au réalisateur sud-coréen.

On trouve donc dans ce film les amours contrariées de jeunes gens, évidemment réalisateurs de cinéma ou professeurs à l’université. Des grands adolescents un peu romantiques, un peu branleurs, héritiers des hérauts de la Nouvelle Vague française, petits bourgeois plaintifs et beau parleurs. Du Paris des années 60 des Truffaut et Eustache au Séoul contemporain de Hang Sang-soo, il n’y a qu’un pas. Tout ceci peut irriter le spectateur. C’est fort compréhensible. Mais là où la plupart des réalisateurs français actuels, héritiers de la Nouvelle Vague, se plantent lamentablement dans le médiocre et l’ennui, Hong Sang-soo réussit à être drôle, touchant et pertinent. Son point fort est son talent de dialoguiste. Comme chez Eustache, les dialogues (qui virent parfois à un échange de monologues) sont solides. Avec le temps, les personnages de Hong Sang-soo semblent plus légers et cyniques que dans ses premiers films… ce qui ne cache pas un sens du tragique chez ces personnages en éternel questionnement sur le sens de la vie et l’essence de l’amour.

Les femmes, l’amour, l’alcool… Comment en vouloir à Hong Sang-soo de toujours évoquer les mêmes sujets quand il le fait avec talent ? Le reproche-t-on aux écrivains ou aux peintres ? L’intérêt de Hong Sang-soo est que l’on peut voir ses films indépendamment mais qu’ils s’inscrivent dans une œuvre cohérente, une comédie humaine. Les noms des personnages changent mais leurs problèmes existentiels demeurent. Tous ses personnages sont comme des doubles et fondent une grande famille. Il n’est donc pas étonnant de retrouver des acteurs récurrents. Jung Yoo-mi (Sunhi) jouait déjà dans Les Femmes de mes amis, Oki’s Movie et In Another Country ; Kim Sang-joong (le professeur Choi) dans Matins calmes à Séoul ; et Lee Sun-kyun (l’ex-amant Mansu) dans Night and Day, Oki’s Movie et Haewon et les hommes. Our Sunhi voit l’arrivée d’un nouvel acteur : Jung Jae-young dans le rôle du cinéaste Jaehak – le personnage le plus blasé du film, alternant jurons, mutisme et cigarettes. Gageons qu’on le retrouvera bien vite dans un prochain film de Hong Sang-soo.

Our_Sunhi

Sunhi se démarque des autres œuvres de du réalisateur par sa structure classique héritée des pièces de théâtre en cinq actes. Le film commence par une séquence d’exposition dans laquelle le réalisateur présente Sunhi et son but : obtenir une lettre de recommandation de son professeur de cinéma. S’ensuivent trois actes dans lesquels chacun des trois hommes (ex-amant, professeur et ami cinéaste) passe un moment avec Sunhi dans une séance de drague existentialiste et éthylique. Le film se termine logiquement par un cinquième acte qui tente de réunir les quatre personnages. Le film étant basé sur le comique de répétition, le spectateur pressent la fin du film dès le début du troisième acte. L’humour des situations et des dialogues évite au film de tomber dans l’ennui malgré son côté prévisible.

La façon de filmer de Hong Sang-soo est également systématique. Les plans se répètent sans cesse, souvent dans les mêmes décors. Le réalisateur n’a jamais été aussi économe, avec un grand usage de plans fixes, dépassant parfois les dix minutes (sans oublier le traditionnel zoom dont on se demande parfois l’intérêt). Cette propension aux plans fixes renforce le côté théâtral de Our Sunhi. Du marivaudage coréen où l’on badine avec l’amour en se soûlant au soju.

Film d’une simplicité déconcertante, Sunhi est à placer entre une partition d’Erik Satie et les œuvres complètes de Pierre de Régnier. Assurément un des meilleurs films de Hong Sang-soo.

Marc L’Helgoualc’h.

Hill Of Freedom : « l’un des films les plus francs et aboutis du cinéaste. »

Par Sidy Sakho.

On s’interroge toujours un peu, à la découverte d’un nouveau Hong Sang-soo, sur la réalité de nos attentes. Comme si son hyper-productivité nous privait finalement du temps nécessaire à la digestion du précédent film. Sunhi, sorti l’été dernier, laissait notamment craindre dans sa première demi-heure de n’être qu’une resucée à peine masquée d’Haewon et les hommes, sorti l’automne précédent. Avant de nous rappeler en cours de route, par la seule grâce de l’épanouissement et l’articulation de scènes bien autonomes, que décidément non, quelque chose d’autre, toujours, finit par prendre corps. Hill of Freedom, le film qui nous intéresse aujourd’hui, a cependant pour lui de se distinguer plus immédiatement.

Hill of Freedom

Déjà, nous interpelle le choix tout sauf anodin, en droite ligne d’In another country (2012), de faire de l’anglais une langue prioritaire. Mori (Ryo Kase) est un Japonais espérant retrouver en Corée Kwon (Younghwa Seo), la femme qui le fit fondre quelques années plus tôt. Et si comme toujours l’objet de la quête se voudra fuyant, le moins conquis possible, le jeune homme aura par chance le loisir de se faire adopter par une poignée d’interlocuteurs : la responsable de son hôtel, le neveu de cette dernière mais aussi et surtout Youngsun (Sori Moon), serveuse et gérante dudit « Hill of Freedom », restaurant où il avait l’habitude de retrouver jadis son âme-sœur.

Hill of Freedom1

Le charme du film et bientôt sa force discrète tiennent dans cette manière de compenser un vide (l’absence, le manque de cette fille qui ne revient pas) par le plein de situations éminemment harnachées au présent. Mori pourrait n’être qu’une figure dépressive, progressivement dévitalisée à force d’attente et de frustration, mais non. Quelque chose, au contact des autochtones, en fait au contraire une figure bien incarnée et parfois même heureuse (il trinque, fait l’amour, existe tout simplement). Après ses beaux portraits de femmes, ce recentrement sur l’affectivité masculine rappelle alors à quel point Hong Sang-soo est un cinéaste foncièrement paritaire, en termes d’observation sentimentale.

Hill of Freedom

Mineur en apparence (ne serait-ce que par sa durée extrêmement courte), Hill of Freedom apparaît pourtant, durant la projection et après-coup, comme l’un des films les plus francs et aboutis du cinéaste dans le dessin de ses enjeux. Nous n’avions pas encore précisé que c’est par l’œil de Kwon que se déroule l’aventure de Mori, celle-ci, fraîchement revenue d’une cure de santé, découvrant, peut-être trop tard, une longue lettre de ce dernier lui faisant partager ses jours de divagation. Franchise d’un dispositif de flash-back via le support épistolaire témoignant d’une velléité humblement romanesque de ce dernier film. Romanesque n’empêchant jamais chaque scène de reprendre le pouvoir à l’usure.

Sidy Sakho.

Sunhi & Hill of Freedom de Hong Sang-soo. Corée. En DVD le 06/09/2016.

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À écouter : notre Podcast spécial Hong Sang-soo.