Une fable provinciale subtile, proche dans sa facture réaliste des premiers films d’un Jia Zhang-ke.
La facture semi-documentaire des premiers plans annonce un film dans la mouvance d’un cinéma chinois épris de réel, fin observateur de la vie provinciale. Proche en cela du Jia Zhang-ke des débuts, Zhao Dayong parvient vite à introduire une fiction en mineur, à vocation réaliste. Renwei (Liang Ming) revient à Zhiziluo, son village natal, accompagné de Shiliu (Li Ziqian), sa copine enceinte. Son oncle, maire du village (Liu Yu), se charge de leur hébergement tout en lui trouvant un emploi au planning familial, celui d’intervenant – on peut aussi dire homme de main – dans des foyers suspectés de ne pas respecter la loi de l’enfant unique. Les séquences le montrant dans la brutalité de sa fonction sont parmi les plus fortes, le cinéaste osant la frontalité. Le jeune homme, au préalable assez sympathique, apparaît bientôt, à l’instar de ses « collègues », comme un exécutant cynique, déconnecté de la violence de ses actes. Ce petit pouvoir qui lui est donné lui ferait presque oublier la précarité de sa propre situation.
Ce n’est pourtant pas lui, le personnage le plus intéressant du film, mais Shiliu. Là où Renwei, sous l’influence imperceptible mais bien réelle de son oncle, abandonne progressivement ses idéaux, la jeune femme, pas seulement en raison de son état, demeure fidèle à ce qu’ils étaient au départ. L’enfant qu’elle porte est pour elle le plus fort symbole de leur lien, leur histoire. Et si elle consent à laisser Renwei travailler, vivre sa vie hors du couple, sa progressive indifférence devient un poids. Dans une scène terrible, digne d’un film de Pialat, il lui demande froidement si l’enfant est bien de lui, alors qu’ils partagent un instant d’intimité. Furie de cette dernière, choquée de découvrir le regard qu’il porte encore sur son passé de fille un peu légère. C’est par elle, plus que par les séquences montrant les actions de Renwei, que l’on mesure le mouvement dramatique de Shadow Days.
L’option scénographique de Zhao Dayong consiste à privilégier la durée des plans au point d’en dilater les enjeux. Mille choses se disent dans une scène sans que l’on en mesure tout de suite l’éventuelle importance. Alors qu’il répond à sa demande de fabrication d’un passeport, l’oncle demande à Renwei s’il est en fuite, au vu des bruits qui courent. Le garçon reste évasif et le film avec lui, cette insinuation ne s’imposant pas – du moins pas encore – comme un élément clé pour la lecture du récit. Aussi, lorsque dans la dernière partie tout explose, le sang venant à couler dans deux scènes d’une brutalité glaçante, la dimension tragique de Shadow Days s’affirme-t-elle rétrospectivement. Comme les personnages, c’est quand il est déjà trop tard que l’on mesure que tout geste, toute réplique, toute initiative avaient un prix. Et quel prix.
Sidy Sakho.
Shadow Days de Zhao Dayong. Chine. 2015. En salles le 30/03/2016.