KINOTAYO 2015 : ENTRETIEN AVEC MIKAMI CHIE (WE SHALL OVERCOME)

Posté le 30 janvier 2016 par

A l’occasion du festival Kinotayo, nous avons eu l’opportunité de nous entretenir avec la documentariste Mikami Chie, réalisatrice de We Shall Overcome. Nous sommes revenus sur son parcours de journaliste et sur sa passion pour l’île d’Okinawa, sa culture et ses habitants. Elle a pu ainsi nous donner un complément d’informations afin de mieux comprendre son engagement et le contexte de cette lutte inégale entre la population et l’armée américaine dans le projet de construction d’une nouvelle base à Henoko.

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Pouvez-vous nous raconter votre parcours ? Comment êtes-vous venue au documentaire ?

Après mes études en faculté, j’ai intégré une chaîne de télévision pour un poste d’animatrice. J’ai par la suite réalisé des reportages. Depuis toute jeune je m’intéresse à l’île d’Okinawa, et ce fut même l’un de mes sujets d’études. J’ai ensuite changé de chaîne pour m’installer là-bas, et depuis 19 ans j’ai réalisé une vingtaine de reportages. Ils n’ont malheureusement jamais été diffusés sur les chaînes nationales. Cette situation m’a frustrée et pour y remédier et traiter des problèmes d’Okinawa, le cinéma s’est imposé comme moyen d’expression idéal. C’est ainsi que j’ai réalisé mon premier documentaire The Target Village qui a eu un beau succès, et rapporté pas mal de recettes à la chaîne qui m’employait. Cependant les dirigeants n’étaient pas satisfaits, me reprochant d’avoir utilisé d’autres réseaux de diffusion que les leurs. Je les ai donc quittés, et j’ai réalisé mon deuxième film.

L’île d’Okinawa a toujours eu un statut particulier en raison de son passé historique, sa culture. Quelle est la particularité de cette île ?

Il s’agit d’un avis bien suggestif. J’ai bien étudié la population d’Okinawa. Il ne s’agit pas d’un pays à part entière. Les Japonais et les habitants d’Okinawa parlent la même langue, bien que les habitants de l’île emploient un dialecte qui est facilement compréhensible, contrairement à celui des Taïwanais par exemple. Okinawa, autrefois appelée Ryuku comme le nom du roi, a une culture à part. Les habitants sont plus gentils, plus indulgents et plus hospitaliers. Ils aiment beaucoup chanter et danser, contrairement aux Japonais qui sont plus distants et ont tendance à retenir les émotions.

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La bataille d’Okinawa fut l’une des plus dures et des plus cruelles de la guerre du Pacifique. Plus de la moitié des pertes étaient civiles. On voit bien que les survivants tels que Mamie Fumiko, tout comme l’île, gardent les cicatrices de ce terrible conflit. Comment ce traumatisme résonne-t-il encore dans l’esprit des habitants de l’île ?

Près de 30% des habitants de l’île furent massacrés durant la guerre du Pacifique. Ces dernières années, on parle de syndrome post-traumatique pour les survivants de la bataille dont Fumiko – que l’on voit dans le film – fait partie. Ils ont des séquelles psychologiques, mais ce n’est que récemment que l’on parle de ces problèmes. Beaucoup de Japonais pensent que la Seconde Guerre Mondiale fait partie du passé. Ce n’est pas ressenti comme tel par les habitants d’Okinawa. Chaque année, le 23 juin, les habitants fêtent la fin du conflit sur l’île, date qui n’est pas célébrée dans le reste du Japon. Et durant cette date commémorative, on parle de la guerre aux enfants, ce qui ne se fait pas dans le reste du pays. Les blessures de la guerre n’ont pas encore cicatrisé, raison pour laquelle ils y portent un plus grand intérêt. Mais leur point de vue est différent, ils se considèrent comme victimes de la guerre. Okinawa fut le seul endroit au Japon où il y eut un conflit terrestre. A Iwo Jima, les habitants furent évacués avant la bataille. Les habitants sont ceux qui ont assisté à la défaite de l’armée impériale japonaise. Du coup, les habitants ont l’idée que l’armée ne les protège pas, mais bien au contraire qu’elle attire l’ennemi. C’est la raison pour laquelle la présence de l’armée américaine attise les haines et les rancœurs. Les habitants d’Okinawa en sont pleinement conscients. Sans oublier que durant la guerre beaucoup de civils furent tués en raison des suspicions d’espionnage, et il y a eu aussi des suicides collectifs.

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Mamie Fumiko

Les Américains ont occupé le Japon jusqu’en 1952, et Okinawa jusqu’en 1972. La majorité des bases militaires américaines sont sur l’île. Comment se passe cette cohabitation forcée entre les habitants et les soldats ?

Depuis 70 ans, il y a des bases militaires à Okinawa. Mais les mouvements contestataires ne datent pas d’aussi longtemps. Il y en a actuellement. Autrefois les bases militaires apportaient un souffle économique à l’île. Beaucoup de Japonais pensent que les habitants d’Okinawa dépendent financièrement de l’armée américaine. Ce n’est plus vrai maintenant. Aujourd’hui on ne recense que 5% des recettes de la préfecture en provenance de l’armée US contre 30% autrefois. On sait à présent que l’on peut vivre sans leur aide. Certaines bases sont installées depuis un certain temps et on cohabite. Beaucoup de familles sont employées dans les bases. Par contre la majorité des habitants de l’île sont contre la construction de la nouvelle base. L’opinion est plus partagée à propos des bases déjà existantes. Ils ne souhaitent pas la suppression de toutes. Personnellement je préférerais qu’elles ferment toutes.

Le projet de cette nouvelle base a débuté il y bien 15 ans de cela. Pouvez-vous nous raconter l’histoire de cette lutte ?

En 1995, une fillette en classe de sixième a été violée par trois soldats américains. Cela a entraîné le soulèvement de la population avec d’abord une manifestation de 85000 habitants contre l’occupation américaine. En 1996 les gouvernements américains et japonais se mettent d’accord pour la suppression de la base de Futenma. Cet accord du nom de SACO était en fait un prétexte pour construire une nouvelle base plus moderne à Henoko. Ils disaient qu’ils souhaitaient juste déplacer la base à un autre emplacement stratégique, or nous nous sommes rendu compte qu’il existait déjà un projet initié en 1966. Henoko étant situé sur la côte, la base va se transformer en un port militaire. Le projet a été annoncé officiellement en 1997, mais il était mis en chantier depuis bien longtemps. Le gouvernement japonais, pour dédommager les Américains du déménagement, finance le déplacement des matériels à cette nouvelle base.

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Comment avez-vous abordé votre documentaire ? L’utilisation d’images d’archives, l’emploi carte, qui donnent une forme très télévisuelle au travail. Vers quelle audience était-il destiné à la base ?

Je visais en priorité les habitants d’Okinwa et le peuple de Japon. En tant que journaliste et suite à ma longue expérience sur une chaîne locale, je souhaitais que les Japonais prennent connaissance de la situation des habitants de l’île. Je voulais aussi sensibiliser les habitants d’Henoko qui n’osent pas encore s’opposer au projet parce qu’ils touchent des subventions. Et cette situation leur est souvent reprochée par les opposants au projet. Ils se retrouvent ainsi dans une situation délicate. Dans ce film je voulais montrer qu’il s’agit d’un combat qui concerne tous les habitants des îles d’Okinawa. C’est la raison pour laquelle j’ai gardé au montage certaines séquences que l’on peut juger anodines, pour sensibiliser le public japonais à la cause. En revanche je n’ai pas pensé au public étranger, bien que je souhaite faire basculer l’opinion américaine en notre faveur grâce à ce film.

Propos recueillis le 03/12/2015 à Paris par Martin Debat.

Traduction : Megumi Kobayashi.

Merci à Karine Jean et à toute l’équipe de Kinotayo.

We Shall Overcome. Japon. 2015. Présenté au festival Kinotayo en 2015. Plus d’informations ici. 

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