Dernière interview réalisée au FFCP 2015, et pas des moindres, puisque nous avons eu l’honneur et le privilège de rencontrer Choi Dong-hoon, réalisateur du très réussi Assassination. Découvert lors de la 7ème édition avec son film The Thieves projeté en clôture du festival, nous étions sortis de cette séance enthousiastes devant la qualité du spectacle. Cette année, le talentueux cinéaste remet le couvert ! Il bat son propre record au box-office en attirant pas moins de 13 millions de spectateurs dans les salles coréennes, et en plus il réalise cet exploit avec un film de divertissement de grande qualité qui explore une époque trouble de l’histoire de Corée, rarement traitée dans le cinéma contemporain.
Comment vous est venue l’idée du film Assassination ?
Il y a neuf ans, alors que je venais de terminer mon deuxième long métrage m’est venue l’envie de réaliser ce film. Étant donné l’ampleur du projet, le budget conséquent qu’il requiert et les faits historiques sur lesquels repose l’intrigue, le film demandait un travail d’écriture particulièrement fastidieux. Il est resté ainsi pendant pas mal de temps en gestation. J’ai dû faire de nombreuses recherches sur les années 30 en Corée, et je suis tombé sur des photos que j’ai trouvé fort intéressantes. Parmi ces témoignages photographiques, on trouvait non seulement des traces de personnages célèbres mais aussi de gens ordinaires de l’époque. Et c’est justement sur eux que s’est porté mon intérêt. Je me suis demandé quels furent leurs parcours et expériences de vie. Parmi ces personnes photographiées on pouvait voir des soldats en uniforme, et je me suis fait la réflexion suivante : comme tout un chacun, ils n’aspiraient qu’au bonheur, mais en raison de l’époque, ils n’ont pu accéder à leurs espoirs. C’est ce qui m’a motivé dans cette histoire.
La Corée sous l’occupation japonaise est une époque peu traitée dans le cinéma contemporain. Sur quels faits historiques repose le scénario?
Il est difficile de traiter un tel sujet en Corée. Quand j’ai annoncé que je souhaitais réaliser un film sur cette période, on a tenté de m’en dissuader. Je souhaitais avant tout raconter le parcours individuel de personnages dans ce contexte d’occupation. Si l’on prend par exemple celui de An Ok-Yoon interprété par Gianna Jun, il s’agit d’un membre de la résistance. Je m’intéresse essentiellement à sa quête personnelle, et bien qu’elle ne fasse pas étalage de ses motivations, on comprend bien qu’il s’agit pour elle d’un devoir, un combat qu’elle mène seule au quotidien.
Vous faites référence à des personnages historiques dans votre film. Quelle est la part de fiction et de réalité ?
Il y a en effet dans le récit d’Assassination deux personnages historiques : Kim Koo et Kim Won-bong qui sont deux figures emblématique de la résistance coréenne. Il était primordiale pour moi de les intégrer afin de crédibiliser mon histoire auprès des spectateurs.
Comment êtes-vous parvenu à éviter de glisser dans la révision nationaliste en traitant une période aussi trouble de l’histoire de Corée ?
Je craignais que mon film ressemble aux films de guerre propagandistes comme la Corée en produisait autrefois. Je voulais faire une œuvre de facture classique. Afin d’apporter un peu de modernité à ce type de récit, j’ai concentré mon attention sur mes personnages. Si le rythme au début du film est assez soutenu, c’est pour capter l’attention du spectateur et il décélère par la suite pour se concentrer au final sur le sort de chacun des personnages.
N’aviez-vous pas peur que le thème des jumeaux fasse un peu cliché dans un film d’action ?
Je m’intéresse beaucoup au sujet de la gémellité. Mon premier film The Big Swindle (2004) parlait entre autre de la relation de deux frères jumeaux. Dans The Thieves, il y a aussi l’idée de ce personnage qui se transforme pour jouer un double rôle. Je craignais d’être redondant en utilisant des personnages de jumelles et je voulais éviter qu’en raison de son approche féminine le film bascule dans la mièvrerie sentimentale.
Le personnage de Yeom Seok-jin (Lee Jung-jae) est un très bon méchant de cinéma. On regrette cependant que vous n’exploriez pas suffisamment ses motivations. Ne pensez-vous pas que cela aurait renforcé la dimension tragique de ce personnage ?
Cela me paraissait inutile. Les Coréens sont familiers de ce type de personnage. Dans ce contexte d’occupation japonaise, les spectateurs connaissent déjà les histoires de traîtres qui ont travaillé comme indic pour le camp ennemi. Je ne souhaitais pas épiloguer là-dessus. Il y par exemple cette scène, au début du film, durant laquelle Yeom Seok-jin partage des informations avec d’autres membres de la résistance et, par un tour de passe passe, fait semblant de détruire ces documents compromettants. Sur le chemin du retour, il s’arrête dans un endroit à l’abri des regards indiscrets, où il rejoint des membres de la police secrète japonaise et leurs livre les détails de l’opération. Je voulais afficher dès le départ la véritable nature de ce personnage : c’est un traître!
Il y a un aspect dans votre cinéma que je trouve frappant : vous parvenez en l’espace de deux ou trois plans à iconiser vos personnages. Quelle est votre recette ?
C’est très simple, il suffit de présenter dans un environnement banal un personnage avec une particularité qui attire l’attention du spectateur, ou l’inverse. Et cela me demande aussi de nombreuses réécritures pour trouver cette caractéristique unique qui va personnifier le protagoniste (rires). En l’espace d’un an et demi, j’ai modifié le scénario une bonne quinzaine de fois. J’attache beaucoup d’importance à la façon dont je vais introduire mes personnages dans le film.
Avec un tel casting, n’est-il pas difficile de gérer tous ces égos sur un plateau?
Pas du tout (rires) ! Les acteurs sont des gens hypersensibles. On les imagine très bien en train de concourir entre eux, mais ce n’est pas le cas. Ils avaient peut-être la crainte de voir un autre comédien être plus performant qu’eux sur le plateau mais j’ai plus l’impression qu’ils s’entraidaient, ils s’encourageaient. Il y avait entre eux une sorte une sorte d’auto-émulation. Non seulement ils se connaissent déjà depuis un certain temps, mais ils étaient aussi au courant de mes méthodes de travail, donc il n’y a pas eu de soucis sur le tournage.
En parlant de vos méthodes de travail, vous apportez un grand soin à la reconstitution historique. Comment, en fonction du budget alloué, êtes-vous parvenu à un tel résultat ?
J’en parle au jour le jour avec les équipes concernées. Nous avons passé huit mois en pré-production. Nous ne savions pas à quoi pouvait vraiment ressembler le Séoul des années 30 malgré nos recherches. Nous avions pourtant travaillé très en amont pour mettre en scène le décors de cette époque. Je souhaitais, pour mes décors, mêler un côté très moderne à des éléments très anciens. Je trouve le contraste intéressant. Le danger est que, quand on se focalise trop sur les décors, les spectateurs finissent par oublier les personnages.
Il y a beaucoup de références à la France dans votre film. Quelles en sont les significations ?
A Shanghaï, il existait autrefois des quartiers français, mais je n’avais suffisamment de budget pour les représenter à l’écran, donc j’y fais référence grâce à des astuces en forme de clins d’œil. Les années 30 étaient une période très obscure, et je pense que malgré les difficultés, les gens avaient envie de profiter de la vie et de danser. J’ai souhaité comme accompagnement musical pour ces scènes quelques de chose différent de ce que l’on a habitude d’entendre, tel que le jazz. Durant la période d’écriture du scénario, j’écoutais beaucoup de chansons françaises, allant au fil du temps vers des standards de plus en plus anciens jusqu’à arriver à des musiques datant de la période correspondant à celle du film. J’ai fini par les intégrer dans ces scènes.
Dans votre précédent film The Thieves, vous rendiez un hommage assez flagrant à Time and Tide de Tsui Hark. Dans Assassination on sent plus l’influence d’un cinéaste comme John Woo, notamment dans les scènes d’action. Qu’est-ce que ce cinéma représente pour vous ?
Quand j’étais lycéen, mes camarades et moi étions des fondus du cinéma de Hong-Kong, pas seulement de John Woo mais de toute cette vague de cinéastes. Ils étaient très populaires auprès des adolescents. Et pourtant, je n’ai pas tout de suite adhéré au cinéma de John Woo. Je trouvais les situations trop exagérées, notamment avec son héros invincible. Et l’ironie est qu’aujourd’hui je fais un film dont les héros n’ont pas peur de mourir. Il y a même un personnage qui tire avec un pistolet dans chaque main comme chez John Woo (rires).
Vos scènes d’action sont particulièrement réussies. Je pense notamment au gunfight final durant la cérémonie de mariage. Comment avez-vous conçu ces scènes?
Dans le cinéma d’action, les gunfights sont des scènes assez basiques sur le plan de la réalisation. Afin de palier le manque d’originalité, j’ai mis au cœur de la scène des personnages et j’ai traité leur point de vue et leur ressenti au milieu de ce conflit armé. Et puis, nous avions construit de toutes pièces le décors de cette scène, donc je me suis lâché, et j’ai décidé de tout détruire ! Et le résultat est plutôt convaincant (rires). Pour que ce type de scène fonctionne, il faut faire monter l’adrénaline. Mais par contre l’action doit être plus courte. Je dirai plutôt qu’il faut qu’on la ressente comme si elle était courte.
Vous êtes depuis quelques films le champion du box-office coréen. Ce statut vous oblige-t-il à faire des concessions artistiques auprès des studios afin de réitérer les succès ?
Je pense qu’il s’agit plus du contraire. Cette position me force à me remettre sans cesse en question. Je me demande ce que j’aime vraiment. Je pense que si j’annonce une jour que je réalise une suite à The Thieves, mes partenaires seront sereins. Au contraire, si j’annonce que je fais quelque chose de différent, ils vont se révéler inquiets. Ce qui m’importe est ce que je souhaite faire maintenant. Seulement je l’ignore pour l’instant (rires). Si, en ce moment, je profite de mes vacances !
Propos recueillis le 02/11/2015 à Paris par Martin Debat et Nicolas Lemerle et retranscris par Martin Debat.
Photos : Martin Debat.
Traduction : Ah-Ram Kim.
Merci à Marion Delmas et à toute l’équipe du FFCP ainsi qu’à Cinéma coréen.fr.
The Big Swindle est sorti en DVD chez Pathé dans la collection Asian Star, Woochi en combo Blu-ray/DVD chez Emylia et Les Braqueurs (The Thieves) en Blu-ray chez Metropolitan.