A Touch Of King Hu

Posté le 31 juillet 2015 par

A Touch Of Zen et Dragon Inn : deux chefs-d’oeuvre essentiel de King Hu resortent cet été en salles en versions restaurées grace à Carlotta. L’occasion pour Samir Ardjoum de revenir de manière subjective sur ces deux oeuvres. 

Inutile d’en faire des tonnes sur King Hu, sur sa biographie, sur sa filmo, nous en avons suffisamment et judicieusement parlé dans nos colonnes. Non, faut aller directement dans le noyau d’un de ses films, le plus connu, le plus primé, le plus beau et le plus long. A Touch Of Zen, c’est pour le néophyte que je suis, une claque. Pas forcément au niveau des images, maîtrisées, belles en soi, violentes, charnelles, non plutôt à l’intérieur des plans, le je-ne-sais-quoi qui émeut, qui renvoie la balle, et surtout, oui surtout, qui fixe le désir sans jamais l’amoindrir. Car, et nous le voyons rapidement, tout est affaire de sexe dans ce film de  trois heures. Chaque geste, travelling, demi-travelling, chaque pas de danse crée une logique plastique qui n’a qu’un seul but, jouir.

 A Touch Of Zen

A Touch Of Zen est un film qui parle beaucoup. Les préliminaires sont longues, lentes parfois, et touche la sensualité de tous ces personnages en quête d’existence sexuelle. On regarde plus qu’on ne l’on touche. On savoure plus que l’on n’insiste. On frémit plus que l’on ne violente. C’est tout l’art d’un cinéaste qui n’a jamais tourné la tête devant le détail.

Introduction verbale passée, on passe à l’étape du croisement. Et là, le film prend une tournure quasi kafkaienne. La question est posée : « Comment te toucher sans te faire du mal » ? La réponse ne sera jamais dite, juste montrée. On s’approche, on s’évite parfois, on revient à la charge, on finit par pénétrer et l’un des deux mourra. C’est la loi de la jungle, de la mante religieuse, sauf qu’ici, elles sont légions.

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Plus le film avance, plus l’action se transforme. Nous virons de bord, en laissant de côté les séquences de présentation, pour aller droit à l’art martial, le fameux « Wu Xia Pian » où les codes de l’opéra se conjuguent de façon jubilatoire avec l’espace de la castagne. Et là, nous sommes dans l’éclosion sexuelle. Les corps deviennent impatients, le regard jamais fuyant, le geste totalement subversif et enfin le rapprochement finit par se mouvoir en un grand maelström de chorégraphie érotique. Car et là, faut oser, King Hu ne filme pas pour perturber le plan, mieux que ça, il offre aux sens du spectateur, un remarquable réquisitoire contre l’abstinence.

 Ein Hauch von Zen

Exemple. Lors d’un duel entre Yang Hui-chen (interprétée par l’actrice fétiche de King Hu, l’intrépide Xu Feng) et l’un des sbires du Général, le cinéaste use malicieusement de plans courts, de travellings aussi intenses qu’une foudre, et surtout cadre toujours de manière à ce que le décor, en toile de fond, soit le troisième personnage. Car l’espace renforce les sentiments des personnages, les malmène, et surtout les encadrent pour ne jamais les séparer. Il les oblige à se voir, rien que se voir, quitte à se toucher. Et chacun se bat comme si le désir ne devait jamais s’estomper. Il y a là un combat purement érotique traduit par l’érogène des corps. D’où l’impossibilité de voir en A Touch Of Zen qu’un simple film d’arts martiaux. C’est beaucoup plus perfide, beaucoup plus tentant, juste intelligent.

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Réalisé trois avant A Touch Of Zen, Dragon Inn n’en est pas moins intéressant. Moins fouillé peut-être, mais continuellement dans l’étude, simple et ludique, de l’espace. Toujours une question de décor dans ce film basé sur une histoire d’intrigues, d’assassinat et de huis-clos. Pratiquement tout le film se déroule dans un espace fermé où les sentiments sont exacerbés au possible. King Hu, comme à son habitude, plonge l’histoire dans une myriade de séquences qui servent les personnages. Chacun à son histoire, ses raisons, et le tout transforme le film en quelque chose qui oscillerait Histoire d’un pays et intimité. Là où tout brille, c’est dans la manière qu’a King Hu de travailler le hors-champ. On devine ses suggestions, on imagine comment ses personnages sont devenus ce qu’ils sont à l’écran. Il y a de la magie dans le canevas, dans cette construction scénaristique et à aucun moment, l’on sent un relâchement, voire une pause narrative. Tout va vite, très vite, et paradoxalement , le temps est respecté dans chaque plan, afin d’en cerner les enjeux.

 Dragon Inn

Deux films. Deux temps. Deux manières de travailler le cadre. Et un cinéaste aussi polisson que bruyant.

Samir Ardjoum.

A Touch Of Zen de King Hu. Taïwan. 1970. En salles le 29/07/2015.

Dragon Inn de King Hu. Taïwan. 1967. En salles le 12/08/2015.

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