FFCP 2014 : LE BILAN

Posté le 2 décembre 2014 par

Plus de trois semaines après la clôture du Festival du Film Coréen à Paris, le temps de digérer la vingtaine de long-métrages avalée pour l’occasion, voici le bilan de ce plutôt bon cru 2014.

LE COUP DE CŒUR

S’il fallait citer un seul film qui se démarque de la sélection, ce serait The Terror Live de Kim Byung-woo. Le pitch est simple mais redoutablement efficace : un ancien journaliste vedette devenu animateur radio, est confronté à un auditeur terroriste, qui menace de faire exploser le pont Mapo si on ne prend pas en compte ses revendications. Le tour de force du réalisateur est d’avoir réussi à rendre son thriller en huis-clos aussi haletant et rythmé qu’un épisode de la série 24 heures chrono. S’appuyant sur un découpage d’une précision diabolique, sur un scénario remarquablement écrit, qui distille ses rebondissements et ses retournements de situation à la perfection, et sur son acteur principal, Ha Jung-woo (The Chaser), brillant d’intensité, Kim Byung-woo nous plonge dans une course contre la montre ultra-spectaculaire, constamment sur le vif, qui va jusqu’au bout de son sujet en transcendant les limites du genre. The Terror Live est une petite bombe de suspense, une descente aux enfers effrayante, doublée d’une charge violente contre la politique et les médias coréens, tout juste amoindrie par quelques effets spéciaux ratés qui n’entachent en rien le résultat final.

LES DECEPTIONS

Habituellement, le film d’ouverture lance le festival coréen en fanfare, tandis que le film de clôture referme la sélection avec panache. Ce n’est pas vraiment le cas cette année malheureusement, puisque les deux films en question, sans être véritablement mauvais, ne parviennent pas à atteindre la hauteur de leurs louables ambitions.

Pourtant, Haemoo, le premier film de Shim Sung-bo, co-scénarisé et produit par Bong Joon-ho, avec qui il avait écrit Memories of Murder, suscitait énormément d’attente auprès des festivaliers, à en croire le nombre de personnes qui s’amassaient dans la salle lors de la soirée d’ouverture. Les promesses d’un grand film tragique étaient bien là, puisqu’en plus de son producteur et scénariste prestigieux, Haemoo pouvait se targuer d’avoir un casting cinq étoiles, dominé par le toujours excellent Kim Yun-seok. Adapté d’une pièce, elle-même adaptée d’un fait divers qui eut lieu en 2001 en Corée du Sud, Haemoo raconte l’histoire d’un équipage de pêcheurs qui décide de transporter des clandestins pour éviter la faillite, et dont la vie va basculer suite à un évènement dramatique. La première partie, à mi-chemin entre la comédie populaire et le drame social, fonctionne parfaitement. On s’attache facilement aux personnages et on s’immerge agréablement dans les couloirs du bateau. Suite à l’évènement central de l’intrigue, le film prend un virage à 180° et Shim Sung-bo met en exergue la violence et les sentiments refoulés par les personnages. A cheval entre le film catastrophe et le film d’horreur, Haemoo devient trop vite caricatural et grand-guignolesque pour convaincre totalement. Malgré la magnifique photographie de Hong Kyung-pyo et la mise en scène élégante de Shim Sung-bo, le mélange des genres ne marche pas vraiment et la musique insupportable n’arrange pas les choses. Heureusement, l’interprétation monstrueuse de Kim Yun-seok et l’histoire d’amour entre le plus jeune membre de l’équipage et une clandestine, empêchent Haemoo de sombrer dans la médiocrité.

De son côté, The Divine Move, réalisé par Jo Bum-gu, avait tout pour dynamiter la soirée de clôture : des scènes de baston bien violentes mélangées à du jeu de go, un héros injustement condamné qui veut venger la mort de son frère, un bad guy au regard effrayant et sans pitié… Le réalisateur, spécialiste du genre, déploie son intrigue très programmatique en cherchant à combiner avec efficacité humour et action, pour ce qui semble être le premier opus d’une franchise en devenir. Les combats sont plutôt bien chorégraphiés et filmés sans être non-plus exceptionnels (difficile de passer après The Raid 2), les acteurs y mettent du leur et Jo Bum-gu ne lésine pas sur les effets gores pour remuer son spectateur. Malgré tout, le film devient très vite répétitif et lassant, surtout si l’on n’a que très peu de connaissances des règles du jeu de go. On passe un moment agréable mais The Divine Move reste un film oubliable, qui peut se révéler très drôle et efficace par moment, mais qui manque un peu de relief et de variété.

SECTION FOCUS : KIM YUN-SEOK

Cette année, Kim Yun-seok, l’un des plus grands acteurs coréens, nous a fait l’honneur de sa présence au FFCP dans le cadre de l’avant-première de Haemoo, d’une master-class, et de la présentation de trois autres films dans lesquels il a pu démontrer son immense talent. Il faut savoir que Kim Yun-seok a acquis sa notoriété en jouant principalement des rôles ambigus, souvent de méchants. Mais il s’est surtout fait connaître du grand public en interprétant un anti-héros proxénète dans The Chaser de Na Hong-jin. Le film était d’ailleurs présenté dans une très belle copie 35mm, et ce nouveau visionnage confirme son statut de grand thriller terrifiant au suspense implacable et à la mise en scène virtuose. La sortie en DTV fin octobre de Monster Boy: Hwayi a également permis la projection de ce film d’action survitaminé réalisé par Jang Joon-hwan, où Kim Yun-seok joue un méchant très charismatique. On a déjà pu voir l’an dernier, dans l’excellent South Bound de Yim Soon-rye, que l’acteur est aussi très à l’aise dans le genre comique, le sympathique Running Turtle réalisé par Lee Yeon-woo en 2009, est venu nous le confirmer.

BILAN GENERAL : UNE SELECTION VARIEE, DES THEMES FORTS

Même si The Terror Live est un excellent film, il n’y a pas eu, cette année, de véritable claque comme pouvait l’être le bouleversant Hope durant l’édition précédente. Néanmoins, la sélection des long-métrages présentés dans les différentes sections était de bonne qualité, avec pas mal de films réussis dans des genres complètement différents. Ainsi, on a eu le droit à un panel assez complet du cinéma coréen contemporain, avec des drames sociaux, des comédies, des documentaires, des gros films d’action et quelques films d’horreur. Cette dernière catégorie était notamment représentée dans la section classique, avec un assortiment de long-métrages pour la plupart inconnus et malheureusement assez faibles, mais aussi dans la section paysage avec Intruders de Noh Young-seok, un petit film très efficace qui détourne habilement les codes des redneck movies et nous mène par le bout du nez jusqu’à son final certes discutable mais qui s’assume tel quel. Côté grand spectacle, le nouveau film de Kim Han-min, Roaring Currents, fort de ses 17 millions d’entrées au box-office coréen, s’impose comme un très bon divertissement, certes un peu patriotique sur les bords, mais qui ne lésine pas sur les moments de bravoure pendant l’intense bataille navale qui s’étale sur la dernière heure, sublimés par le sens de la mise en scène du réalisateur. La preuve, s’il en fallait une, que le festival n’est pas uniquement axé sur les films sombres et dramatiques, mais sait aussi varier les plaisirs, à l’image de la très bonne comédie My Dear Girl, Jin-Young de Lee Sung-eun, et son trio d’actrices formidable, ou de l’électrisant Hard Day de Kim Seong-bun, qui voit son héros accumuler les problèmes avec un sens de l’absurde absolument hilarant. Le nouveau film de Kim Kyung-mook, Futureless Things, aurait pu être aussi drôle s’il ne tournait pas à vide au bout de vingt minutes, en se vautrant dans les pires clichés du genre.

Cette édition du FFCP était aussi l’occasion d’avoir une idée globale du regard des cinéastes coréens sur leur propre société, avec des films percutants, qui nous remuent, nous interrogent, et qui ne donnent pas forcément une image positive de la vie en Corée du Sud. C’est le cas des deux films sortis sur nos écrans ces dernières semaines, A Girl At My Door de July Jung, et A Cappella de Lee Su-jin. Le premier met en avant le conservatisme et la cruauté qui règnent dans certaines petites provinces coréennes tandis que l’autre s’ajoute à la série de long-métrages qui parlent de viol et de violence en milieu lycéen. Les deux cinéastes partagent beaucoup de thèmes communs (la place de la femme dans la société coréenne, l’identité sexuelle, l’oppression du système, la violence morale et physique qui en découle…) et se rangent derrière une démarche profondément féministe. Les autres films dramatiques de la section paysage sont dans la même lignée : le film d’animation hyperactif de Yeon Sang-ho, The Fake, dénonce, à travers l’implantation d’une secte dans un petit village, la manipulation insidieuse qui gangrène certaines populations, le très joli et très juste Night Flight, de Leesong Hee-il, nous montre que l’homosexualité est encore très mal acceptée en milieu scolaire, le poignant « rape and revenge » de Lee Jeong-ho, Broken, comme tant d’autres films avant lui, pointe les dérives de la jeunesse et de la justice coréenne, et 10 Minutes, film de fin d’études réalisé par le prometteur Lee Yong-seung, raconte les désillusions d’un jeune employé soumis aux perversités de la vie en entreprise. Une vision générale pas très rose de la Corée du Sud, heureusement contrebalancée par les autres films de la sélection. Côté documentaires, il fallait surtout retenir A Dream of Iron de Kelvin Kyung Kun Park, merveilleuse symphonie sensorielle et poétique en milieu industriel et naval et surtout véritable film de cinéma, contrairement aux deux autres documentaires proposés, Non-Fiction Diary de Jung Yoon-suk et Manshin: Ten Thousand Spirits de Park Chan-kyong, qui ont plutôt leur place à la télévision.

Cette année encore, le FFCP a tenu toutes ses promesses, et devient au fil des éditions, de plus en plus prestigieux. La sélection variée donne une idée assez précise de la richesse du cinéma coréen, le cadre du Publicis est toujours aussi agréable, et le staff très sympathique. Ce festival est un rendez-vous incontournable pour tous les cinéphiles passionnés et une véritable tribune pour promouvoir les films coréens en France. On a déjà hâte d’être en 2015 pour l’anniversaire des 10 ans.

 Nicolas Lemerle.