Dossier : L’histoire du Studio Ghibli

Posté le 27 septembre 2014 par

La nouvelle est tombée cet été, le studio Ghibli arrête la production de films après le succès mitigé de ses dernières productions, Le vent se lève, Le Conte de la princesse Kaguya et Souvenirs de Marnie. La nouvelle dut d’ailleurs être précisée dans la foulée, Ghibli ne fermait pas ses portes mais allait se réorienter vers la télévision et la publicité avant de repenser éventuellement son mode opératoire pour le cinéma, momentanément en suspens. Une évolution somme toute logique au vu de la retraite annoncée de ses deux cofondateurs Miyazaki Hayao et Takahata Isao. Ghibli doit en fait se trouver une nouvelle raison d’être puisque le studio n’aura été, de ses débuts à son ralentissement actuel, pour le meilleur et pour le pire, que l’instrument des élans créatifs de Miyazaki et Takahata.

I. Rencontre et apprentissage

Miyazaki Hayao et Takahata Isao se rencontrent au début des années 60 au sein de la Toei. Takahata a intégré la Toei depuis 1959 quand Miyazaki y entre en 1963 et les deux noueront une amitié immédiate, se reconnaissant un attrait commun pour la culture occidentale et se plaçant déjà en opposition au système studio. Miyazaki n’aura de cesse de se plaindre par la suite des standards qualitatifs médiocres de l’animation de l’époque et notamment télévisée, ainsi que des rythmes frénétiques qui y sont imposés. Il fera ainsi partie des manifestants d’une révolte syndicale au sein des studios en 1964, devenant le secrétaire du syndicat alors que Takahata en est le président. Les deux feront leur chemin en parallèle, Miyazaki prenant du galon (intervalliste puis animateur) et souvent sollicité par Takahata réalisateur, notamment sur le tournage difficile de Horus, prince du Soleil (1968) qui signe une première tentative de prise de pouvoir par les créateurs mais qui se soldera par un échec commercial. Imparfait mais attachant et ambitieux, le film pose les bases des grandes œuvres à venir avec paradoxalement un Takahata à l’avenir plus porté sur les atmosphères intimistes qui signe un opus dans le plus pur style épique miyazakien en devenir.

horus_prince_du_soleil_1

L’apprentissage devra ainsi se poursuivre, toujours côte à côte (Takahata à la réalisation et Miyazaki à la conception) notamment au sein des studios A-Pro puis Zuiyo Pictures (une filiale de Nippon Animation), où ils façonneront l’esthétique sous influence occidentale de certains grands Ghibli dans des séries adaptant des classiques littéraires européens comme Heidi. Ce sera notamment pour Miyazaki l’occasion d’effectuer ses premiers voyages en Europe où s’il se heurte au refus de l’auteur suédoise Astrid Lindgren d’adapter sa Fifi Brindacier, et pendant lesquels il s’imprégnera des paysages traversés. Miyazaki démissionnera pour s’atteler (toujours épaulé par Takahata) à son premier vrai projet personnel, la série de 26 épisodes Conan, le fils du futur en 1978 et brouillon du Château dans le ciel. Après la fin de la série, Miyazaki fera profiter de ses compétences diverses productions à des postes importants comme le film d’animation Cobra (1982), la série Sherlock Holmes et évidemment Le Château de Cagliostro (1979) une commande qu’il s’approprie et élève à des hauteurs insoupçonnée pour son premier chef d’œuvre. Au début des 80’s, ce sera au tour de Takahata de figer son imaginaire entre féerie, nostalgie, comédie et réalisme du quotidien dans les deux films Kié la petite peste (1981) et Goshu le violoncelliste (1982).

II Eclosion et apogée

En dépit de son échec commercial, la tentative d’Horus, le prince du soleil avait fait sensation dans le monde de l’animation. C’est dans cette idée que se fera la première rencontre avec Suzuki Toshio, journaliste au magazine Animage et souhaitant évoquer le film à la fin des 70’s avec Miyazaki et Takahata dans un article sur les classiques de l’animation. Les deux, accaparés par leur projet du moment et peu enclins à reparler d’un souvenir douloureux, le rabroueront dans un premier temps. Suzuki poursuit pourtant son soutien à Miyazaki dans la revue, enjoignant notamment celui-ci à façonner son propre manga qui donnera plus tard Nausicaä de la vallée du vent. Les articles dithyrambiques sur le manga dans Animage (mais aussi d’autres publication comme Yomiuri shinbun, Tokyo Shinbun) finissent par attirer l’attention des producteurs et après avoir hésité entre une OAV et une série télévisée, un projet de long-métrage voit le jour grâce à l’alliance de l’éditeur Tokuma Shoten et de l’agence de publicité Hakuhodo qui vont coproduire le film. Ghibli n’existe pas encore mais sa structure si, puisque Miyazaki va faire appel à son ami Takahata pour être son producteur et va solliciter nombre d’animateurs qui seront des futurs piliers du studio. Le tournage sera épique, le perfectionnisme de Miyazaki étant peu en adéquation avec le budget limité et occasionnant quelques défauts, tant dans l’intrigue touffue resserrée par rapport au manga que formels dûs à une sous-traitance moins exigeante à laquelle il ne cédera plus par la suite. Epique, onirique et envoûtant, le résultat est pourtant prodigieux et le triomphe au box-office permettra la création d’une structure pouvant conserver tous les fidèles collaborateurs, le Studio Ghibli. Un triumvirat s’impose alors, Miyazaki et Takahata se chargeant d’alimenter le studio en film tandis que Toshio Suzuki est nommé président et se charge des finances et de la logistique.

NAUSICAA

Le premier film du studio sera Le Château dans le Ciel (1986) et constituera un aboutissement plutôt qu’un début, Miyazaki donnant là un tout cohérent et palpitant à toutes ses tentatives narratives et esthétiques de grand film d’aventure tout public sous influence occidentale. Un nouveau chef d’œuvre dont le succès sera cependant mitigé. C’est avec les deux projets suivants, produit en parallèle que Ghibli va s’inscrire dans l’imaginaire collectif japonais puis mondial avec Mon voisin Totoro et Le tombeau des lucioles, sortis en 1988. Deux visions de l’enfance et des premiers émois douloureux en découlent  à travers une approche toute différente. L’absence de la mère s’exprime à travers un spectacle chatoyant mais non dénué de mélancolie dans l’envoûtant Mon voisin Totoro tandis que les enfants du Tombeau des lucioles seront brutalement livrés à eux-mêmes dans l’enfer d’un Japon dévasté par la guerre. Les tensions seront grandes entre les deux amis durant le tournage, chacun ne comprenant pas l’approche de l’autre (Miyazaki privilégiant la fantasy et le divertissement pour évoquer des sujets sérieux alors que Takahata préfère une approche frontale) mais ils s’avéreront complémentaires et offriront deux des plus emblématiques classiques de Ghibli. Totoro sans faire un triomphe au box-office deviendra culte au fil des rediffusions et une manne considérable de merchandising en suivra les années suivantes.

Totoro

Le parcours des deux réalisateurs se fera très souvent en parallèle lors des années suivantes. Le désenchantement et une tonalité plus adulte prennent de nouveau un tour différent chez chacun d’eux avec le touchant et nostalgique Souvenir goutte à goutte (1991) de Takahata (dont l’atmosphère rurale et documentaire ainsi que la nostalgie aura une influence incroyable et illustrera la thématique du furusato/retour au pays natal alors au cœur de la société japonaise) tandis que l’aventure, la magie et les avions ne sont qu’un arrière-plan où se masque la vraie mélancolie de Porco Rosso (1992). De même, les préoccupations écologiques et l’évocation du folklore fantastique japonais ne peuvent s’exprimer que dans une veine sombre et épique pour Miyazaki avec le somptueux Princesse Mononoké (1997) alors que Takahata use d’une approche tragi-comique et finalement bouleversante sur la question avec Pompoko (1994). Toute la magie et la réussite de Ghibli tient dans l’opposition de ton et de style de deux génies aux préoccupations commune. Un équilibre délicat que saura condenser le successeur désigné Kondō Yoshifumi qui égale ses sensei dès son premier film (et premier du studio non signé des fondateurs) avec le merveilleux Si tu tends l’oreille (1995). La mort prématurée de Kondō Yoshifumi en 1998 va pourtant casser toute cette dynamique, obligeant un Miyazaki qui envisageait la retraite à remettre le couvert, puisqu’après l’échec du génial et expérimental Mes voisins, les Yamada (1999), Takahata se retirera de longues années.

III Reconnaissance et déclin

Avec Le voyage de Chihiro (2002), Miyazaki Hayao accède à la reconnaissance internationale (Ours d’Or en Berlin, Oscar du meilleur film d’animation et succès mondial), faisant de Ghibli une « marque » reconnue à l’égal de Disney et synonyme d’imaginaire et de dépaysement. Malheureusement, le studio vit désormais sous perfusion des projets du seul Miyazaki depuis le retrait de Takahata. La fin possible imprègne chaque sortie puisque Miyazaki fait de chaque nouveau projet son possible dernier avec Le château ambulant (2005), qui retrouve les ambiances médiévales et occidentales d’antan, et le virevoltant Ponyo (2008), qui ramène lui à ses grands récits d’enfance. Les successeurs de talents possibles sont bridés par l’autoritarisme de Miyazaki (Hosoda Mamoru parti triompher ailleurs alors qu’il devait initialement réaliser Le château ambulant) et ne reste donc que les faiseurs malléables pour au mieux un résultat sympathique avec Le Royaume des chats (2002) de Morita Hiroyuki, et au pire anecdotique et sous influence, avec Arriety (2010) de Yonebayashi Hiromasa ou Les Contes de Terremer (2006) de Miyazaki Goro. Ce dernier, malgré la dureté de son père qui chapeaute La Colline aux coquelicots (2012), saura faire de cette adversité une arme avec un inattendu soubresaut qualitatif plaçant le conflit tradition/modernité faisant rage à Ghibli au cœur du film. En 2014, Miyazaki père semble tirer définitivement sa révérence avec le trop consciemment pesant Le Vent se lève et Takahata refait surface pour l’ultime chef d’œuvre du studio, Le Conte de la princesse Kaguya. Le grand public n’ayant toujours pas été convaincu par un film non signé des deux icônes (dont Ghibli est définitivement dépendant) en l’occurrence Marnie, l’heure était donc venue de tirer un trait provisoire sur l’un des plus grands pourvoyeurs de rêve des 3 dernières décennies. Peut-être qu’avec le départ de ses deux fondateurs emblématiques, Ghibli réussira là où il a toujours échoué, se réinventer. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.

Justin Kwedi.