Blu-ray – Coffret La Guerre des Yokai : à la découverte des lutins japonais

Posté le 8 avril 2014 par

Depuis 2005 était attendu La Guerre des Yokai, de Miike Takashi. Le voilà enfin, dans une superbe édition Blu-ray, grâce à Metropolitan, accompagné, pour se faire une bonne idée des changements, de la trilogie originelle.

Miike Takashi, porte-parole du V-Cinéma, est connu dans nos contrées depuis Audition, qui avait marqué, en son temps, pour son mélange de comédie sentimentale virant au gore le plus traumatisant dans son dernier acte. Réalisateur prolifique en diable, il a su œuvrer dans tous les genres populaires japonais, livrant ainsi nombre de yakuza eiga, films d’horreur, ou autre bisseries souvent emplies de folie et de sang. On le trouve derrière la caméra de films tous plus surprenants les uns que les autres. Birds People In China et son onirisme déstabilisant, une adaptation de super-héros fascinante (Zebraman et sa suite), une variation sur le thème de Ring (La Mort en ligne, sobre, classique mais très efficace), un western (Sukyiaki Western Django) sont quelques exemples des nombreux genres qu’a exploré le réalisateur. Sachant se reconvertir, il s’est ensuite plongé dans les remakes de grands classiques (13 Assassins, Hara-Kiri), et son Shield Of Straw fait actuellement le tour des festivals, prouvant que le réalisateur s’est éloigné de l’engouement de bisseux fans de folie pelliculée, pour être véritablement reconnu par le plus grand public cinéphile.

la guerre des yokai

Il est donc amusant et très intéressant de découvrir son remake de La Guerre des Yokai, qui date de près de dix ans, et se tourne vers un genre que le réalisateur exploite moins : le film pour enfants. On le trouve certes aux commande d’un Ninja Kids, et son premier Zebraman tendait vers ce style (même s’il osait mettre en scène un super-héros de sentai luttant contre un clone de Sadako).

De plus, La Guerre des Yokai semble être à un tournant de sa carrière. Il arrive juste avant qu’il ne s’attache à remaker plusieurs classiques, et pourtant le métrage contient toute la folie dont sait faire preuve le réalisateur. Car ce dernier a toujours su adapter son style à son matériau, optant pour une réalisation sobre pour La Mort en ligne, ou réalisant un hommage avec son remake d’Hara-Kiri, qui collait énormément à l’original, se voulant une œuvre respectueuse. Ici, bien que réécriture d’un autre film, Miike Takashi prend un chemin complètement différent, ne conservant que le postulat de base, à savoir le combat entre les Yokai et une créature bien plus puissante qu’eux. Sa réalisation est ainsi plus proche de celle de ses V-Cinéma, se laissant aller à de jolis mouvements de caméras, des gros plans sur ses monstres, ou sur les jolies fesses de la servante du démon. Il pose cependant sa caméra lors des dialogues, de phases plus introspectives, mais il est clair qu’il prend grand plaisir à montrer ses créatures dans toute leur étrange splendeur.

Il s’en sort plutôt bien, dans le film qui nous concerne, sachant lisser son univers plutôt sanglant d’habitude, pour le rendre abordable par nos chères têtes blondes. Certes, quelques petits moments gores ou légèrement érotiques apparaissent, ici ou là, mais rien de vraiment choquant finalement.

Ceci prévenu, La Guerre des Yokai possède tous les éléments que l’on retrouve dans un film pour enfant. Le héros a leur âge, et doit affronter un grand danger, trouvant amis et compagnons dans l’imaginaire. Cependant, il y adjoint les thématiques chères à beaucoup de réalisateurs japonais – dont Miike Takashi, mais il n’est pas le seul. Nakata Hideo, ou encore Koreeda Hirokazu, aiment se pencher sur la famille et sa déliquescence. La séparation des parents, et ce que doivent endurer les enfants dans ce genre de situation, est en effet très souvent présent dans leur cinéma, et La Guerre des Yokai est l’occasion idéale de le mettre en avant. Le personnage principal est donc un enfant, qui doit supporter la déliquescence de sa famille. Ses parents se sont séparés, et son père n’a plus le droit de le revoir. Il a quitté Tokyo pour la campagne, résidant chez son grand-père. Entre sa mère alcoolique et son grand-père presque sénile, il a bien du mal à se sentir bien et accepté.

Son positionnement dans ce monde qui semble le rejeter viendra d’ailleurs. Alors qu’un démon, aidé par une yokai particulièrement sexy, prépare la destruction du monde, notre jeune héros se retrouve nommé chevalier, lors d’une cérémonie folklorique. Bien que ne croyant pas vraiment à tout cela, il décide de se rendre dans la montagne où son rôle de chevalier est censé le conduire, pour se prouver à lui même qu’il n’est pas un peureux petit citadin, comme le pensent ses camarades de classe. Dans cette montagne, il va découvrir une vie, une faune, qu’il était loin d’imaginer, car l’endroit est envahi de Yokai, ces esprits japonais des contes folkloriques, qui reconnaissent notre jeune héros comme leur sauveur.

L’enfant, sans surprise, va surmonter sa peur, accepter son rôle et récupérer une épée magique pour aller lutter, avec ses amis Yokai, contre le démon et ses troupes. Ce dernier enlève des esprits et les mélange avec des objets abandonnés par les humains, créant des mechas plein de haine.

Certains effets d’animatroniques ou digitaux sont quelque peu ratés, mais Miike Takashi, emporté par son envie de générosité, montre des quantités absolument impressionnantes de Yokai, chacun étant unique. Seuls certains ont une importance primordiale, et sont décrits complètement, mais quelques séquences de foule montrent des attroupements forçant le respect, par l’inventivité et la surprise que représentent l’apparence des créatures. Les méchas, en face, sont amusants, et les combats essaient de mélanger folie et épique. Les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des attentes, mais ne pourront que plaire aux enfants.

Le résultat est ainsi plein de qualités, que ce soit pour des jeunes yeux ou pour un regard plus analytique, grâce à l’envie du réalisateur d’offrir un spectacle généreux. Le déroulement du film est prévisible, mais apporte tous les éléments qu’il est possible de désirer dans un métrage de ce genre. En effet, comme de juste, l’enfant surmontera ses craintes, et acceptera son statut de héros, pour défendre sa ville, et ses amis. Car, solitaire de nature, il trouvera dans la compagnie des créatures imaginaires ce qu’il a toujours désiré : une famille, des amis. Il affrontera de nombreux périples, lors de cette quête initiatique qui le fera passer du stade d’enfant à celui de jeune adulte.

L’écart entre le film de Miike Takashi et l’original est tel qu’on ne peut que parler de relecture, les deux réalisateurs ne gardant que l’aspect combat des yokai face à une créature bien plus puissante qu’eux. L’original se passe au temps des samouraïs. Un démon babylonien est libéré par des pilleurs de tombes et, après avoir puni les impudents, s’en va eu-delà des mers. Arrivant dans un petit fief japonais, il tue le seigneur local et prend sa place, agissant, pour ce faire, tel un vampire. Un kappa, se sentant, avec raison, menacé, s’en va quérir l’aide de ses comparses yokai.

Bien que daté, les effets spéciaux restent très bien faits. Des maquillages de qualité (sauf peut-être le démon, ayant un aspect quelque peu caoutchouteux), des apparitions ou disparitions des créatures, ainsi que l’utilisation de pouvoirs divers, plongent immédiatement La Guerre des yokai dans une ambiance aussi désuète qu’emplie d’onirisme, de spiritualité et de magie. Il y a peu de personnages, et les dialogues n’apportent pas grand chose, mais l’effet donne un côté isolé au fief prit d’assaut par le démon. Entre cela, et les marais où résident les yokai, ainsi que le fait qu’une grande partie de l’action se déroule de nuit, et le film possède une ambiance très sombre qui s’ajoute à cette histoire très simple de lutte du bien et du mal.

Ici, fi d’ambiance enfantine ou de thématiques centrées sur la famille, mais un divertissement mélangeant samouraïs, démons et créatures étranges. Là encore, de nombreuses créatures, très originales elles-aussi, apportent leur lot d’originalité, donnant une véritable vie à la faune des créatures mythologiques asiatiques.

Même s’il est possible de raconter le film dès le départ (nous devinons tout de suite que les yokai vont s’allier aux humains pour défaire les troupes du démon (des clones de lui)), La Guerre des yokai n’en perd pas de son intérêt, et il est ainsi des plus passionnant de découvrir ce qui a amené Miike Takashi à se pencher sur cet univers foisonnant.

la guerre des yokai 2

La suite s’appelle La Malédiction des yokai, avec toujours la même personne à la réalisation. Cette fois-ci cependant, le métrage part dans une direction toute autre, bien que restant centré sur la même époque, à tel point qu’on peut plus facilement parler de variation sur le même thème que de suite. Ici, point d’alliance avec les yokai pour lutter contre une créature, mais un véritable film d’horreur, par moment assez sinistre.

Dans une petite ville, un vil promoteur cherche en effet à raser tout un quartier, détruisant les petits temples adressés à d’obscures divinités. Entre les habitants, et en particulier un mystérieux samouraï, qui cherchent à confondre le mécréant, et les yokai, bien décidés à se venger des impudents en les rendant fou, le métrage possède une dose de folie sinistre des plus déstabilisante. Le réalisateur parvient à trouver un juste équilibre entre humour grotesque, avec le parapluie-esprit, qui semble s’amuser à danser avec le fils simplet d’un des méchants du film, et séquences plus sinistres, quand les humains, perdant leur visage, se transforment en esprit, ou l’apparition des démons, parfois assez effrayante.

L’ambiance est ainsi assez unique, amenant lentement le métrage jusqu’à une fin certes assez prévisible (la victoire des yokai et la défaite des mécréants ne croyant plus en eux) mais à l’ambiance décalée des plus fascinante.

Guerre des yokai 3

La Légende des yokai possède une construction assez similaire à La Malédiction des yokai. Cette fois-ci, ce sont des yakuzas, qui profanent un temple sacré, au plein cœur de la forêt, en y répandant le sang. En effet, ils y fomentent une embuscade pour tuer un clan rival et récupérer un document important. Faisant fi des avertissements du gardien des lieux, ils le tuent par mégarde, et poursuivent sa petite fille, 7 ans, qui cherche à rejoindre son père, protégée par un yakuza au grand cœur.

Là encore, les esprits vont se manifester pour punir les méchants, et venger l’affront fait contre eux. Ils apparaîtront à quelques moments clés, en des séquences sinistres mais assez rares. En effet, la plus grande partie du métrage, nous suivons la progression de notre duo de héros, émaillée de quelques duels, plutôt correctement mis en scène. Derrière la réalisation, toujours la même équipe, qui essaie d’ajouter un humour second degré, déjà présent dans La Malédiction des yokai, avec l’enfant attardé et le côté grotesque de l’esprit parapluie. Mais, dans La Légende des yokai, l’humour est différent, plus proche de la comédie un peu potache, et ces tentatives sont plutôt malvenues et maladroites, dédramatisant l’ambiance sinistre lancée avec l’apparition des créatures. La Malédiction des yokai ressemble un peu à un remake du film précédent, s’achevant un peu de la même manière, avec une danse des créatures, mais il s’agit hélas de l’épisode de trop. Manquant d’originalité par rapport aux précédents, il ne restera hélas pas dans les mémoires.

Malédiction des yokai 4

Le coffret de Metropolitan ne contient aucun bonus, mais des films d’une qualité assez magnifique, qui permettent de découvrir à quel point Miike Takashi a gardé l’esprit de l’original, à savoir une alliance des yokai pour lutter contre un ennemi puissant, mais en en modifiant sensiblement le fond. Le réalisateur de cette nouvelle version le positionne ainsi dans le monde contemporain, créant une lutte entre passé (les esprits, les traditions) et présent (des créatures crées par les objets technologiques abandonnés par l’humanité) et utilisant un enfant comme porte-parole entre ces deux mondes. L’enfance, chez Miike, est le moment où l’on peut encore voir les esprits, l’esprit cartésien d’un adulte en étant incapable, et notre héros, de part sa solitude et son impossibilité à se positionner dans le monde qui l’entoure, devient l’allié idéal des yokai. Il ne connaît certes pas la nature, et se sent attaché à la civilisation menacée, mais ne demande qu’à se raccrocher à des bases, des racines, et les trouve parmi les esprits de la forêt.

La Guerre des yokai est ainsi un film pour enfant, mais bien plus profond qu’il n’y paraît, et ce coffret permet de découvrir toute l’étendue de l’exploitation de ces esprits asiatique, un coffret à découvrir.

Yannik Vanesse.

La Guerre des yokai, disponible en coffret blu-ray depuis le 12 mars 2014