L’envie d’East Asia d’inscrire le cinéma asiatique dans un paysage mondial l’a conduit à, ponctuellement, parler de films non asiatiques. Ce fut le cas de Les Secrets ou encore de Man Of Steel. A présent, nous avons décidé de porter notre regard sur une co-production franco-belge : L’étrange couleur des larmes de ton corps.
Hélène Cattet et Bruno Forzani avaient marqué les spectateurs qui avaient pu découvrir Amer. Leur segment du film collégial The ABC Of Death, O Comme Orgasme, avait de son côté prouvé non seulement que leur souci de l’esthétisme était prodigieux, tant les images, les couleurs, ou encore le jeu sur les sons, marquaient les sens du spectateur, mais aussi qu’ils savaient comment distiller une sensualité moite, qui s’écoulait sur les images jusqu’à fasciner, marquer au fer rouge.
L’étrange couleur des larmes de ton corps ne fait que confirmer cette impression, tout en soulignant les influences des réalisateurs. Le spectateur, en assistant à cette projection, pense ainsi indéniablement à David Lynch, Mario Bava ou encore Dario Argento, mais toutes ces références s’inscrivent dans un univers aussi personnel que passionnant et, soyons clairs, difficile d’accès.
Ce métrage raconte l’histoire d’un homme, rentrant chez lui après un voyage d’affaires et découvrant que sa femme a disparu. Ses recherches de la jeune femme vont le conduire au-delà des limites de la réalité, entre folie, rêve et étrangeté, l’immeuble devenant une boîte de Pandore qu’il ne faut surtout pas ouvrir au risque de se perdre, ou encore une matriochka, chaque nouvelle poupée dévoilant une nouvelle facette du film, une nouvelle facette du mystère, chaque couche plus étrange que la précédente.
L’étrange couleur des larmes de ton corps n’est clairement pas aisément accessible, ne serait-ce que de par son scénario, qui le conduit à être plus une expérience, une plongée onirique dans cet univers, où le spectateur doit se laisser porter, plutôt qu’un métrage qu’on comprend avec son intellect. Il faut ressentir ce film, le laisser entrer en soi, et sa forme contribue tout autant à rendre ce voyage unique, qu’à compliquer l’implication du spectateur. Le métrage de Bruno Forzani et d’Hélène Cattet est tout autant expérimental dans sa réalisation que léché, esthétique et passionnant. Chaque plan, chaque image a son importance. Les réalisateurs jouent sur les couleurs, plongeant parfois dans un noir et blanc tranché et magnifique, ou nous emmenant parfois dans un bleu et rouge argentesque, en un voyage où le son jaillit, puissant, agressant les oreilles des spectateurs. Que ce soit la musique qui envahit l’écran façon Goblins, ou Ennio Moricone qui nous envoûte, ou encore le crissement du cuir, le bruit d’une clé qui tourne dans une serrure, violent, assourdissant, le spectateur voit ainsi ses sens toujours sollicités, sa perception bouleversée.
Ainsi, la vision de l’étrange couleur des larmes de ton corps laisse le spectateur épuisé. Entre voyage onirique complexe, et réalisation époustouflante, on ne ressort vraiment pas indemne de ce métrage.
La caméra de Bruno Forzani et d’Hélène Cattet caresse les visages, les corps, en des gros plans fascinants et d’une sensualité phénoménale. Rarement les femmes ont été plus belles sur un écran, rarement une aura érotique aussi puissante n’a été distillée, du début à la fin du métrage, engluant le spectateur dans une ambiance giallesque où la sensualité et la beauté féminine se mêlent à la violence sanglante des couteaux et à la beauté du cuir. Chaque décor y est étudié, chaque détail important, faisant penser au souci de la perfection des décors de Mario Bava pour son Opération peur, et le résultat est d’une puissance absolument prodigieuse. Nécessitant plusieurs visions pour livrer tous ses secrets, tant L’étrange couleur des larmes de ton corps est un film dense, le métrage ne peut laisser indifférent. Et, si le spectateur accepte de se laisser porter, il ne pourra qu’en ressortir épuisé mais certain d’avoir vécu une expérience unique, un coup de maître magnifique.
Yannik Vanesse.
L’étrange couleur des larmes de ton corps, de Bruno Forzani et d’Hélène Cattet. Belgique/France. 2013. En salles le 12/03/2014.