Le Film de la semaine – L’étudiant de Darejan Omirbaev : Crime et châtiment

Posté le 4 mars 2014 par

Le dernier film de Darejan Omirbaev, L’étudiant, arrive enfin en salles près de deux ans après son passage au festival de Cannes.

Dans une ville kazakh, dont on ne connaît le nom, mais que l’on devine en deux plans morne et froide, un jeune étudiant voit sa condition devenir de plus en plus intenable. Omirbaev, dans les grandes lignes s’inspire de Crime et châtiment de Dostoievski. Pourtant, au fur et à mesure que les séquences s’enchaînent, l’ampleur et la complexité de l’œuvre russe ne transparaissent aucunement.

Omirbaev filme avec la rigueur toute bressonienne qu’on lui connaît. Direction d’acteur minimaliste, grammaire cinématographique réduite au strict minimum, il n’y a rien qui déborde de L’étudiant. Cette froideur donnant un aspect désincarné à l’ensemble colle bien avec ce que le cinéaste essaie de faire passer. Le Kazakhstan dans lequel évolue ce personnage perdu est cruel, pauvre, presque sans issue. La jeunesse n’a aucun repère, l’éducation plus occupée à faire de la propagande qu’à réellement éduquer. Omirbaev montre donc une prison à ciel ouvert. L’effet anxiogène est réussi.

l'étudiant

Quand Omirbaev veut filmer les affres d’un jeune homme après qu’il ait commis un acte horrible, il le fait avec la même rigueur presque mathématique que pour sa mise en place. En résulte une mise à distance qui ne fonctionne jamais vraiment. Il n’y a aucun moyen de ressentir de l’empathie pour cet étudiant, légèrement autiste et au comportement erratique. Il fait un piètre Raskolnikov : gauche, semblant toujours déconnecté sans pour autant transpirer l’intelligence et l’engagement. L’étudiant d’Omirbaev est un raté, échouant même à devenir un Raskolnikov décent. Celui qui aurait dû avoir ce rôle est montré par petites bribes : un ami de l’étudiant gravitant autour de lui et lui infligeant sans discontinuer des leçons d’engagement politique un peu idéalistes. Ce protagoniste principal perdu et meurtri ne parvient donc pas à toucher et finit même par provoquer un certain désintérêt. Tant pis si cet homme paie pour ses crimes, tant pis s’il souffre, d’ailleurs la réalisation laisse à penser que le cinéaste ne s’y intéresse pas tellement non plus.

l'étudiant

Omirbaev n’a semble-t-il d’yeux que pour la peinture sociale qu’il fait du Kazakhstan et qui semble déjà vue dans une dizaine d’autres films. Dans cette ville kazakh, tout est régi par l’argent, les biens que l’on possède. Les mafieux roulent en grosses berlines, femmes objets à leurs côtés. Dans cette société gangrenée par le matérialisme, l’étudiant est tiraillé entre son désir purement égoïste et son envie de réparer les torts, de faire ce qu’il faut. C’est un aspect, bien que déjà vu bien traité par Omirbaev qui filme en creux les changements de la société kazakh, l’empoisement du capitalisme sauvage. De la télévision omniprésente aux rêves de gloires et d’argent de jeunes gens perdus, le cinéaste, par petites touches, montre cette contradiction. Jia Zhang-Ke avec A Touch of Sin, n’en n’oubliait pas forcément l’empathie pour ses personnages.

Le film n’a également pas la force et la pertinence d’un Norte par exemple qui lui aussi s’inspirait de l’œuvre de Fiodor Dostoievski et était une œuvre autrement plus perturbante et intelligente. L’étudiant est un film plein d’érudition, de rigueur mais le manque d’intensité se révèle problématique.

Il y a de belles choses quand même, notamment dans la manière de figurer les songes de l’étudiant. Cet « entre deux réalités » est bien pensé et sa mise en image, toujours très carrée, tranche avec les codes habituels. L’étudiant loupe cependant le coche dans presque tous les domaines, laissant au final une drôle d’impression. On a le sentiment durable d’être passé pas loin d’un grand film.

Jérémy Coifman.

L’étudiant, de Darejan Omirbaev, en salles le 05/03/2014.

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