La 10ème edition du festival Court Métrange s’est déroulé du 17 au 20 octobre et il est venu le temps du bilan.
Pour cette dixième édition anniversaire, Court Métrange a vu les choses en grand. Jury et président de jury prestigieux, ajouts de séances risqués le samedi après-midi, avant-première mondiale, nombreux à-côtés (expositions, parcours Métrange, scolaire), les paris étaient osés et tous furent honorés avec la manière. Dans la peau d’un spectateur de festival, il n’y pas eu en apparence de problèmes d’organisation notables tant en dehors (files d’attente, échanges avec le staff) que dans les salles de cinéma. D’une joie non simulée, Tchéky Karyo a remplit haut la main son rôle de président en communiant avec un public ravis de toutes générations, en slamant ou en poussant même la chansonnette lors de la cérémonie de clôture.
Celle-ci s’est vu decernée des prix qui rentrent en adéquation avec les organisateurs et celui d’East Asia. Deux d’entre eux sortent nettement du lot par leur maîtrise cinématographique et dimension politique. Misterio de l’espagnol Chema Garcia Ibarra et Grand prix du festival ne laisse rien au hasard avec chacun de ses plans symboliques. Une mère avec deux enfants fascistes à charge (son mari et son fils) vit dans un système tayloriste où l’imaginaire est l’unique échappatoire. Elle a alors l’illumination d’aller dans l’espace et prend la rupture totale de son quotidien. Tchéky Karyo avait annoncé qu’il voulait un Grand prix qui lui « retournerait les neurones ». Jusqu’à son titre, Misterio frôle l’objet cinématographique non identifié tant son concept apparaît abstrait. Peau de chien de Nicolas Jacquet est plus perceptible mais tout aussi épais. Le cinéaste revient sur la crise identitaire des années 30 avec la rencontre de deux monstres, l’un humain à l’instinct de survie bestial et l’autre animal, ayant l’humanité comme espoir. La technique du photo découpage de ces matières corporelles permet de mieux appréhender le rapport au dégoût. En filigrane, le cinéaste interroge sur la question de l’extrême droite en prenant une simple photo en noir et blanc, sans avoir la prétention d’apporter des éléments de réponses.
La plupart des séances étaient regroupées par catégorie : fiction, animation, cartes blanches. Il est difficile de régrouper ces quelques 70 courts-métrages autour de thématiques précises. Hormis les courts à but uniquement divertissants (une dizaine, de Batz à Perfect Drug en passant par la bande-annonce Bio-cop), la thématique de l’acceptation semble à première vue être le noyau central de la programmation avec deux simples choix. La prise de conscience de la réalité aboutissant à son acceptation ou bien son refus par divers moyens. Caterwaul de Ian Samuels est la parfaite illustration de cette évolution par son glissement du refus vers l’acceptation. Un vieil homme dont la femme est décédée s’éprend d’un crabe pêché en pleine mer. Au fil des jours, la créature grandit jusqu’à atteindre la taille d’une femme adulte. C’est à l’apogée de cette relation « d’amour » que le vieil homme prend conscience psychologiquement qu’il est allé trop loin, qu’il est temps non pas d’oublier mais d’accepter. La remise à la mer du crabe en sera la double métaphore. On retrouve ce même glissement du côté de Vienna Waits For You de Dominik Hartl où un appartement se nourrit de la jeunesse de sa résidente qui finira par accepter sa situation. Dans la même veine, l’excellent Howl de Natalie Betellheim avec une mère qui acceptera après nombreuses difficultés à s’affranchir de l’apparence animalière de sa fille (qui renvoie elle-même au long métrage d’Hosoda Ame & Yuki, les enfants loups) et inversement dans Elefante de Pablo Larcuen.
Bien évidemment, il y a plus de refus que d’acceptation. Si le futuriste Last of You de Dan Sachar est hésitant entre l’avenir et le passé jusque dans son dernier plan, l’anti-héros d’Un monde meilleur de Sacha Faiener, agaçant au possible , s’insurge vulgairement contre ce monde qui navigue à contrario de son idéologie. La ravaudeuse de Simon Filliot suit quant à lui un chemin plus dramatique avec la perte de frères siamois à cause de l’égoisme de leur mère qui les voulait absolument séparés. Record / Play de Jesse Atlas, l’un des prix du public du festival, joue sur un entre-deux qui mérite quelques approfondissements. Le récit narre l’histoire d’un homme qui se repasse en boucle sur cassette les dernières paroles de sa femme. Suite à l’échange d’une pièce défectueuse du magnétophone, il est projeté directement dans le temps aux derniers instants de sa dulcinée. A force de détermination, il arrivera à envoyer sa femme à son époque quant lui se sacrifiera à sa place. Record / Play puise sa force dans l’interprétation des deux acteurs principaux où il se dégage une forme d’amour incompressible intemporelle.
Le court est également une transition idéale vers l’une des dualités du festival au niveau de l’étrange. En effet, on peut distinguer deux utilisations différentes de la thématique de l’étrange. Il y a ceux qui s’en servent comme catalyseur du film en lui-même à l’instar d’Omega, The Origin of Creatures, Merry Go Round ou encore le très morbide Morgue Street. Dans ces exemples, l’étrange ne sert pas au récit, il est le récit. À contrario certains courts-métrages prennent l’étrange comme outil et leur permet de porter plus haute leurs vrais thématiques. La séance carte blanche format court est l’exemple le plus criant et Fuga de Juan Antonio Espigares le plus marquant avec ce double graphisme (voire triple) servant idéalement un récit haletant.
Il faut saluer pendant ses trois jours la mobilisation du public rennais qui a comme chaque année répondu présent à l’événement, l’organisation au poil du festival et nous sommes très content d’avoir pu être convié à cet édition anniversaire. Vivement la 20ème !
Le top 5 d’East Asia :
1 – True Skin de Stephan Zlotescu
2 – Peau de chien de Nicolas Jacquet
3 – 9m² de Sandy Seneschal
4 – Cebu de Pablo Belaubre
5 – Rêverie de Valentin Gagain, Shujun Wong, Robert Wincierz
Merci à toute l’équipe de Court Métrange.
Julien Thialon
À lire :
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Court Métrange : Interview de Sandy Seneschal, réalisatrice de 9m²
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