Critique de Blind Detective de Johnnie To (Cannes 2013)

Posté le 22 mai 2013 par

Après Drug War, polar primé au festival de Beaune, Johnnie To s’octroie une parenthèse légère dont il a le secret. Par Jérémy Coifman.

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En France et plus généralement dans le monde, Johnnie To est célébré pour ses films de gangsters, polars virils et sombres. Le dyptique Election, Exilé, The Mission et consorts sont maintenant devenus des références du genre. Mais on sait que l’œuvre du réalisateur hongkongais ne se limite pas à ça. Il est un touche-à-tout doué, parfois roublard. Il y a le charme de Sparrow, ou de Yesterday Once More, ou l’opportunisme de My Left Eye Sees Ghosts. C’est un peu pour tout ça qu’on aime Johnnie To.

Blind Detective, histoire d’un flic devenu aveugle qui recherche une jeune fille disparue se situe dans cet « entre deux » cher à Johnnie To. C’est aussi l’occasion de reformer un duo à l’alchimie incroyable : Andy Lau et Sammi Cheng. Plusieurs fois, sous la caméra du cinéaste, les deux acteurs se sont révélés superbes, tour à tour charmants ou émouvants. C’était le cas dans Love on a Diet ou le pétillant Yesterday Once More. Ils se connaissent par cœur. Comme les nombreuses fois où l’on voit les deux personnages danser, la chorégraphie est rodée à la perfection. Leur petit jeu, pour peu que l’on ne soit pas hermétique au genre (nous y reviendrons) est irrésistible. C’est peut-être d’abord cela Blind Detective, une histoire d’amour entre Johnnie To et ses deux acteurs. Il s’amuse pendant 2 heures à les faire changer de peau (hilarantes scènes de reconstitution), de registre. Il les filme avec tendresse retomber amoureux l’un de l’autre, une énième fois, sans s’en lasser.

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Le film est une comédie cantonaise avant tout. Avec tout ce que cela comporte d’hystérie et de situations ubuesques. A la vue de certaines réactions dans la salle, beaucoup de journalistes du monde ne sont pas habitués aux joutes verbales sans fin, aux cris ou aux déguisements. Mélange de slapstick plus américain et d’humour purement Hong-Kong, Blind Detective perturbe donc les néophytes. Se pose la question d’une distribution française pour le film. L’intrigue policière pourra-t-elle suffire, quand l’aspect comique est ce qui fait l’essence du film ?

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To choisit de situer son intrigue dans le monde policier, reprenant les codes esthétiques de Mad Detective, avec Lau Ching-Wan. Photographie bleutée, monde intérieur stylisé, Blind Detective ne partage pas que des similitudes relatives au titre avec le long métrage de 2008. C’est la description de deux hommes brisés, chacun disposant à la fois d’un handicap (ici la cécité pour Johnston interprété par Lau) et d’un don (tous les deux capables de grandes choses par la force de leurs esprits).

Déjà, dans Mad Detective, il y avait ce sens de l’absurde, mais cela relevait d’une inquiétante étrangeté plutôt que de la comédie pure. Il y avait un côté totalement horrifique que l’on ne retrouve qu’à de très fugaces instants dans Blind Detective. Cette fois, To organise un véritable buddy movie, qu’on pourrait rapprocher d’Inspector Chocolate avec Michael et Ricky Hui tant les gags s’enchaînent avec limpidité et sur un rythme métronomique.

Mais le plus bel aspect du film, en dehors de la complicité entre le trio To/Lau/Cheng, réside dans sa réflexion sur le processus de mise en scène. To laisse la main au personnage de Lau qui, malgré sa cécité, n’a de cesse de (se) mettre en scène. Un film commence dans sa tête, se transforme au gré des envies, des idées. Sur cette même note, Blind Detective joue avec les souvenirs et les rêves, plongeant le film, l’espace de quelques scènes, dans des limbes où errent des fantômes, des fantasmes, des réminiscences d’un passé révolu.

Jérémy Coifman

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Blind Detective, de Johnnie To, visible au Festival de Cannes 2013