L’un des événements de Cannes 2011 sera certainement la présence de Kore-eda Hirokazu, un cinéaste discret mais ô combien indispensable, que nous avons eu l’honneur de rencontrer au FICA de Vesoul l’an passé. retour sur une belle interview en attendant la découverte de Like Father Like Son en compétition officielle. Par Victor Lopez.
I Wish est sans doute avec Hanna votre film le plus léger, en ce sens qu’il ne traite ni de perte, de mort, de deuil, de problèmes sociaux… Qu’est-ce qui vous a attiré vers un sujet en apparence plus anecdotique que ceux de vos précédents films ?
Oui, vous avez raison, le film ne parle pas directement de la mort. Dans I Wish, c’est l’énergie des enfants qui nous emporte dans leur univers. Il y a donc une touche assez légère. C’est un film qui parle de leur aventure, qui se focalise sur leur point de vue, sur leur innocence et je voulais raconter cette histoire sur un ton à la fois pop et léger.
Comment avez-vous choisi les acteurs qui incarnent les deux frères de I Wish et qu’ont-ils apporté à votre vision de l’histoire ?
J’ai rencontré les deux enfants qui jouent les frères grace aux auditions que j’avais organisées pour trouver tous les jeunes personnages du film. J’ai vu plus de 900 enfants, mais quand j’ai vu Maeda Koki, qui joue le grand frère, j’ai tout de suite été frappé par sa présence. À l’origine, l’histoire se concentrait sur une histoire d’amour entre un garçon et une fille qui habitaient dans des lieux différents, l’un à kagoshima et l’autre à hakata. Mais en rencontrant Koki et son petit frère Oshiro, j’ai décidé de modifier le scénario pour créer une histoire de deux frères dont les parents sont séparés et qui vivent dans deux villes différentes.
Y avait-il une grande improvisation durant le tournage, ou au contraire, est-ce que tout était prédéfini comme sur Still Walking ?
Le scénario était très écrit et détaillé, mais j’ai mis beaucoup de temps pour l’écrire, car j’ai énormément discuté avec les enfants, pour intégrer leurs idées et leurs souhaits dans le film.
Normalement, on écrit le scénario et on choisit ensuite les acteurs. Là, j’ai d’abord choisi les enfants, et, pour faire vivre la personnalité de chaque enfants, j’ai écrit le scénario. L’ordre traditionnel était inversé.
Dans Still Walking, on voit 3 générations qui ont des valeurs différentes et qui se retrouvent au même endroit. Dans I Wish, c’est l’inverse : les distinctions de pensées entre les enfants, les parents et même les grands-parents sont abolis, mais malgré tout, personne n’arrive à vivre ensemble. Pensez-vous que c’est le signe d’une évolution de votre regard sur la famille japonaise ?
Dans I Wish, je ne pense pas que les trois générations partagent vraiment le même sens des valeurs. Mais tous les personnages du film sont liés par leurs vœux.
Il est important d’observer, comme si l’on regardait en plongée, la société japonaise contemporaine et les problématiques liées à la famille. Mais pour moi, le plus important est de montrer les humains, en se mettant à leur hauteur, afin de les observer sans s’éloigner de ses personnages. En ce sens, ce film n’est pas un reflet des changements de la société japonaise.
Quand on décrit un personnage, il y a deux manières de faire : soit de manière concrète, soit de manière plus abstraite ou universelle. Et c’est la même chose lorsqu’on décrit un individu ou une société. Dans I Wish, je voulais montrer de manière très concrète la réalité. À l’inverse, Air Doll est plus abstrait, son univers est moins réaliste.
Que recherchez-vous en scrutant la quotidienneté que vous décrivez dans vos films ?
Pourquoi je scrute le quotidien… Hum, c’est parce que c’est avec des choses très concrètes de la vie quotidienne que la vie est composée…
Vous avez dit être dans la tradition du cinéma de Naruse, notamment parce que vous ne condamnez pas vos personnages, même quand ils n’arrivent pas à grandir. Pouvez-vous nous parler de vos influences ?
Ce n’est pas moi qui ai dit être dans la tradition de Naruse, c’est un journaliste. Il m’a dit que mes films étaient proches de ceux de Naruse car nous ne jugions pas nos personnages dans nos films. C’était lors d’une interview au Festival de Cannes en 2004. Ça m’a convaincu car c’est finalement ça que je veux faire, et c’est en écoutant les propos de ce journaliste que j’ai compris pourquoi j’appréciais tant les films de Naruse.
Je ne prétends pas ressembler à Naruse, mais je souhaite être dans la continuité de son cinéma, car Naruse fait partie des réalisateurs pour qui j’ai du respect. Sinon, en dehors des réalisateurs japonais, j’apprécie beaucoup Ken Loach, les frères Dardenne ou Hou Hsia Hsien.
Une scène de I Wish m’a particulièrement intriguée, celle de la vielle femme qui disparaît derrière le train. Que vouliez-vous montrer ?
Dans cette scène, en réalité, la grand-mère retourne chez elle car elle s’est rendu compte qu’elle a oublié son portefeuille. Mais aux yeux des enfants, comme elle disparaît soudainement, c’est comme si un miracle s’était produit. Cela montre qu’aux yeux des enfants, ce type de petites choses peut devenir un miracle… comme le fait de croire que lorsque deux TGV se croisent, les vœux vont se réaliser.
Quel est pour vous, en restant dans le domaine de votre vie professionnelle, le souvenir que vous retiendrez si on vous posait la question d’After life ?
Depuis que j’ai réalisé After Life, on me pose souvent cette question, et j’ai décidé d’y répondre de la même manière à chaque fois. Je vous dis donc que comme je voudrais continuer à réaliser des films, je veux attendre pour choisir ce moment. C’est peut-être aussi une réponse qui me permet de ne pas répondre…
Pensez-vous, comme on le voit dans After Life, que le cinéma a le pouvoir de capturer des émotions, des souvenirs, des bribes du réel ?
Dans After Life, le mot « rêve éveillé » est utilisé. Et à travers le cinéma, on transforme quelque chose d’immobile en quelque chose de mobile. Ce médium permet de réveiller quelque chose.
Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui l’a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.
Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?
Il y a un film qui s’appelle Madame X. C’est un film hollywoodien que j’ai vu à la télévision quand j’étais en primaire ! Je me souviens à peu près de l’histoire. Ça parle d’une mère qui est devenue prostituée et qui est finalement séparée de son fils. Il réussit malgré tout dans sa vie, et devient avocat. Mais un jour, une dame, qui est accusée d’un crime fait appel à lui. C’est sa mère, mais elle ne sait pas qu’il s’agit de son fils. Le film tourne autour du procès, alors que la mère essaye de cacher son passé de prostituée pour protéger son fils…
On voit dans ce film toute la souffrance de la mère dans ce procès. J’ai vu ce film une unique fois, enfant, à la télévision, avec ma mère, et j’ai énormément pleuré. J’ai été très touché par cette femme qui fait tout pour protéger son propre fils. Le film n’est pas sorti en DVD au Japon, donc je ne l’ai pas revu depuis, mais il m’a beaucoup marqué.
Avez-vous un dernier mot pour les lecteurs d’East Asia ?
Je suis très content que I Wish puisse être vu par le public français. Ce film parle de l’énergie des sept enfants, et je pense que ses thématiques seront bien comprises, même en franchissant les frontières. Je pense que ce film va vous mettre dans un esprit positif, et que le monde entier peut le ressentir. Je vous invite donc à aller rencontrer ces sept enfants.
Propos recueillis à Vesoul (FICA) par Victor Lopez le 17/02/2012
Vidéo : Flavien Bellevue
Traduction : Shoko Takahashi
Photos : Jérémy Coifman et Julien Thialon
Un GARGANTUESQUE merci à Bastian Meiresonne, Wafa Ghermani et à toute à toute l’équipe du FICA, ainsi qu’à M. Kore-eda pour sa gentillesse !
Critique : I Wish de Kore-eda Hirozaku (Vesoul)
Like Father Like Son de Kore-eda sera projeté au 66ème Festival de Cannes, en Compétition officielle.
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