À l’issue de la projection du premier snapshot de Bastian Meiresonne, Sinema Indonésia, s’est tenue une table ronde avec les principaux réalisateurs indonésiens dont les films ont été projetés lors de la 19éme édition du Festival International des Cinémas d’Asie. Parmi les sujets abordés, l’industrie du cinéma indonésien, la censure, des propositions de solutions, le tout animé par un Bastian Meiresonne multifonctions ! Par Julien Thialon.
Bastian Meiresonne : C’est une avant-première mondiale. Outre le monteur Cédric Trommer avec lequel nous avons enchaîné plusieurs nuits blanches pour finir le documentaire. Je ne parle pas volontairement de Garin Nugroho, l’un des plus grands réalisateurs indonésiens des années 90 qui a fait énormément de choses pour assurer la promotion de ces films et pour le cinéma indonésien, car il est avec nous aujourd’hui.
Garin Nugroho : Merci infiniment pour ce film car je pense qu’il introduit l’ouverture de la nouvelle génération des réalisateurs en devenir. Je pense que cette année sera l’âge d’or du cinéma indonésien. Les années 90 étaient une période extrêmement difficile, pas non seulement au cinéma en lui-même mais par rapport à toute la situation politique qui était en plein chamboulement. Le prix du pétrole a fortement chuté et précipité la chute de l’économie et du gouvernement avec. Suharto n’a pas pu assumer cette situation, ce qui a entraîné tout une flopée de privatisations (les chaînes de télévision, etc.) que le gouvernement n’a pas pu empêcher.
En même temps, la culture locale était décimée, n’existait plus. La télévision est devenue omniprésente, surtout dans les grands centres commerciaux. Le régime de Suharto a réussi à contrôler le pouvoir militaire et l’industrie du film. Par exemple, nous n’étions pas habilités à choisir nos techniciens ni même d’envoyer nos copies aux plus grands festivals du monde. Je pense à Berlin où il fallait passer par les ambassades pour faire sortir les copies du pays. J’ai fait des films pour combattre le système avec de nombreuses problématiques. Lorsque j’ai engagé Riri Riza, le gouvernement m’a envoyé une lettre en me demandant pourquoi je n’avais pas choisi un membre officiel de la KFT (FILM MAKER ASSOCIATION). J’ai déchiré leur lettre mais cela m’a causé pas mal de problèmes par la suite. Les années 90 étaient une véritable période de transition à tous les niveaux (économique, cinématographique, lié aux arts), en tant que réalisateur il fallait se débrouiller par soi-même et dire non au gouvernement.
Lorsque j’ai commencé à faire des films et à m’opposer au gouvernement, j’ai eu énormément de pression d’eux, ce qui a amené mes 4 premiers films à être très engagés. En 1998, je n’ai même pas pu rejoindre le festival de Cannes où je devais présenter Feuille sur un oreiller parce que je faisais partie du mouvement de protestation des étudiants face au gouvernement qui a précipité la chute du régime. Mais pour moi, le cinéma c’est exactement cela, ce n’est pas seulement faire bouger les choses par le biais des films mais par rapport aux engagements politiques. Cela ne sert à rien de discuter ou d’écrire dans les journaux, il faut être engagé. Je trouve que la nouvelle génération est incroyable. Comme cela a été dit dans le documentaire, ils ont un accès à la connaissance et à l’information beaucoup plus facilement qu’à l’époque des années 90. Par exemple en 1994, j’ai été invité à un festival où il y avait parmi les membres du jury Quentin Tarantino et Pedro Almodovar et je ne savais pas qui c’étaient. Je me retrouvais face à eux mais je ne savais pas. J’ai reçu le premier prix mais j’étais incapable de savoir qui était Tarantino ou Almodovar car nous n’avions pas ces informations-là à l’époque.
Bastian : Passons justement à la nouvelle génération avec la fille de Garin Nugroho, Kamila Andini. Quel souvenir avez-vous des années 90 dans lesquelles vous avez grandi ?
Kamila Andini : Je suis un cas spécial car j’ai eu la chance d’avoir un père réalisateur qui n’est autre que Garin Nugroho, peut-être que Sammaria Simanjuntak pourrait raconter son expérience.
Garin Nugroho : Effectivement, 2 films sur 4 que j’ai réalisés à cette époque n’ont pas été sortis en salle. Il n’y a eu que ma propre famille qui ont pu voir ces 4 œuvres, films que la nouvelle génération a accès maintenant.
Kamila Andini : J’ai eu la chance d’avoir accès à beaucoup de films dans les années 90. Il y avait une tradition à la maison qui était de regarder des films étrangers. J’en profitais pour les voir avec mes proches car j’étais l’un des rares cas où quelqu’un avait accès à ces films.
Sammaria Simanjuntak : Contrairement au cas de Kamila, mon père était dans l’armée et mes parents étaient extrêmement opposés au fait que je puisse faire du cinéma. Ils me disaient que cela ne m’apporterait rien, que je n’arriverai pas à m’enrichir ni à gagner ma vie. Ils ont tout fait pour que je n’y arrive pas. Par ailleurs, j’écris, réalise et produit mes propres films, ce qui est une véritable spécificité En revanche, mes films ne sont pas assez exotiques pour être sélectionnés dans les festivals du monde entier sauf à Vesoul. Et sur un marché local, mes films ne sont pas jugés assez commerciaux pour attirer les grandes foules.
Je me trouve donc entre les deux mais après avoir vu le documentaire et Joko (Anwar) dire que les jeunes d’aujourd’hui seront les stars de demain, je ne désespère pas à devenir très très riche (rires). Je vous invite également à venir voir mon film Demi Ucok qui raconte tout sur l’industrie du film. J’y raconte l’histoire d’une jeune qui essaie de faire du cinéma malgré la vie défavorable. La mère dans le film est ma propre mère. Si Kamila a un grand papa réalisateur, j’ai une grande actrice car elle a gagné l’équivalent de l’oscar indonésien (rires).
Bastian : Pouvez-vous nous en dire plus sur votre triple fonction : scénariste/productrice/réalisatrice dans l’industrie du cinéma ?
Sammaria Simanjuntak : Mes films ne sont pas assez commerciaux, très peu de producteurs risquent à s’investir dans mes films et je ne suis pas suffisamment indépendante pour prétendre aux éventuelles subventions des pays étrangers qui verraient un certain intérêt à faire circuler mes films dans les festivals. Pour financer mes projets, j’ai fait appel au crowdfunding en passant par Internet avec d’innombrables co-producteurs que l’on peut retrouver dans l’affiche du film et les crédits. Ils ont donné naissance à mon film.
Bastian : Immergée dans les années 90 avec un renouveau dans les années 2000, Nia Dinata éprouve des difficultés à s’adapter aux évolutions. Comment la notion du film évolue ?
Nia Dinata : Le documentaire est un très bon instantané de l’industrie du cinéma indonésien. En revanche, pour surtout comprendre l’actuelle industrie cinématographique indonésienne, il faut vraiment voir le film de Sammaria Simanjuntak où il y a un vrai point de vue d’une réalisatrice de la nouvelle génération. Elle représente vraiment les difficultés du quotidien indonésien d’aujourd’hui. Le vrai coupable est notre gouvernement avec ces lois et règlements.
Nia Dinata : Bastian, as-tu contacté le gouvernement et bénéficier d’aides de leur part ?
Bastian : C’était extrêmement difficile de travailler avec l’Indonésie. On est allés très loin dans certains cas. En revanche, si on a réussi à finaliser le documentaire, c’est d’une part grâce aux réalisateurs indonésiens qui ont répondu à nos invitations et qui ont fait tout le travail pour promouvoir l’image de la vraie Indonésie. Et de l’autre, par l’incroyable travail d’une jeunesse. Si on a pu avoir les copies de la Cinémathèque, c’est grâce à un jeune, Dimas, qui a tenu tête au gouvernement jusqu’à être menacé de mort pour acheminer les copies jusqu’à Vesoul.
Nia Dinata : Merci pour ton explication très intéressante. Mon cas est un peu similaire notamment lorsque je me suis lancée dans le cinéma, je n’avais personne pour m’aider. J’ai entrepris toutes mes démarches moi-même. Je suis allée au KFT qui était le corps officiel par rapport au cinéma de l’époque et j’avais peur. Je suis extrêmement contente que la génération de Kamila ne subisse pas cette pression. Je me rappellerai toujours que j’attendais que le régime de Suharto tombe, des jours à attendre dehors en signe de protestation devant les bâtiments officiels en attendant la fin du gouvernement.
Helmi Kunang: Je tenais à remercier Martine et Jean-Marc. Je suis Indonésienne et je vis à Paris. J’ai vu beaucoup de films indonésiens ici à Vesoul. Je suis allée à Cannes en 1988 pour le film indonésien Tjoet Nja’ Dhien de Eros Djarot. J’ai remarqué l’ignorance du public étranger par rapport au cinéma indonésien. Quand je vois les films indonésiens, je me demande comment ils font pour trouver l’argent et j’en ai entendu des histoires sur la censure indonésienne. Je suis très contente qu’ils soient arrivés à faire leur film et je suis en admiration. Mais il y a un autre problème, la question du financement pour garder l’héritage des anciens films indonésiens où l’on voit les bobines se périmer. J’espére que les Indonésiens sont conscients de l’importance de restaurer cet héritage, de regarder l’avenir du cinéma indonésien.
Producteur du film la Rizière et producteur de films francais, impliqué dans un syndicat de producteur indépendant: Merci à tous ceux présents à cette table ronde qui m’ont permis de comprendre le cinéma indonésien, sa vivacité. En voyant le film de Bastian, j’ai vu une dynamique, ce qu’on appelle en France l’exception culturelle. C’est un peu théorique mas il faut savoir que l’exportation du cinéma américain dans le monde a été inscrit sur le plan Marshall où il a été expliqué que pour la culture américaine, on allait passer par le cinéma. En France, il y a eu une réaction il y a plusieurs décennies avec la création d’outils de soutiens, d’aides, de tempérance pour exister sans rejeter les autres cinéma en générant le système d’aujourd’hui, qui demande à être un peu dépoussiéré mais que beaucoup l’apprécient.
Ce que j’ai vu dans le documentaire de Bastian, c’est qu’il y a une vraie volonté de régulation en professionnalisant. On peut très vite arriver à faire du cinéma indépendant du cinéma amateur. J’admire beaucoup les amateurs mais je pense que pour pérenniser le cinéma culturel, il est important de professionnaliser sur tous les points, qu’ils soient commerciaux, économiques, financiers et qui soient dans la démarche d’accéder à un public. J’ai découvert quelque chose d’étonnant, c’est qu’il y a environ 250 millions d’Indonésiens pour 600 salles de cinéma. Le public va avoir du mal à accéder au cinéma. Il y a une entité intéressante, c’est l’intrusion de la télévision dans les foyers qui a donné la sensation de voir des films mais à la maison sans forcément se poser la question du grand ou pas grand écran. Le cinéma est un mode de communication mais dans un certain contexte. Effectivement, cette volonté de vouloir rappeler le public à l’écran est l’une des raisons qui vous permettra de relancer l’affection du public à un style de divertissement. Le cinéma de divertissement est nécessaire, les frères Lumières projetaient leurs films sur des draps pendant les fêtes foraines. C’est par ce biais là qu’on a pu communiquer, divertir.
J’ai vu qu’il y avait une intrusion Suharto très forte avec cette volonté politique d’alimenter le cinéma qui est devenu un outil de propagande. Ils ont scindé les films de propagande et les films commerciaux. Peut-être qu’ils manquaient une vraie dynamique du cinéma indépendant. J’espère, comme le dit l’un des derniers intervenants du documentaire, que le nouvel âge d’or va venir dans les trois prochaines années même si je pense que ce ne sera pas vraiment pour les mêmes raisons. La volonté est bonne mais il est très importante de pouvoir la réguler pour éviter que cela ne soit plus maîtrisable. Je me suis rendu compte à quel point il était important d’avoir une certaine pérennité Si on s’engage en tant que producteur dans une notion de pérennité pour transmettre, cela servira pour plus tard comme modèle de faisabilité. Ce qui m’a beaucoup plus dans cette dynamique, c’est le fait de beaucoup parler du public et je pense que c’est grâce à cela que vous allez gagné ce pari en émergeant une identité cinématographique indonésienne. Cela donnera envie à d’autres pays d’ériger une culture cinématographique.
Kamila Andini : Si on parle toujours d’un nouvel âge d’or pour la jeune génération, nous sommes conscients d’une existence. On se pose souvent la question de la consistance de ce qu’on pourrait donner. S’il y a 100 films qui ont été produits l’année dernière, on veut toujours plus de films chaque année. Par rapport à la créativité, nous avons eu la chance d’avoir grandi après la réforme. Nous pouvons presque tout abordé et surtout nous avons accès à l’information nécessaire. En revanche, il y a face à nous des films hollywoodiens au cinéma. Cela va être extrêmement difficile de s’imposer, je pense que l’on va se heurter au problème de la distribution dans les années à venir. Et même si nous sommes à l’époque du numérique où il est beaucoup plus facile de faire des films, on se heurte au problème d’Internet. Dès qu’un film sort, la première question pour les jeunes est de savoir quand est-ce que le film sera disponible sur Internet. Je pense que s’il y a eu une période de transition entre les années 80 et 2000, on se situe dans une nouvelle période de transition.
Bastian : Il y a toujours l’espoir d’aller de l’avant, de continuer la lutte et j’espère pouvoir faire un second snapshot quand cette transition sera terminée.
Propos recueillis par Julien Thialon à Vesoul le 12/02 lors de la 19ème édition du Festival Internation des Cinémas d’Asie.