Entretien avec Honda Ryuichi, réalisateur de A Honeymoon in Hell, projeté lors de la 7ème édition du Festival Kinotayo. Par Marc L’Helgoualc’h.
Méconnu en dehors du Japon, Honda Ryuichi a déjà réalisé onze longs métrages et deux séries pour la télévision. Il était présent lors du Festival Kinotayo pour présenter A Honeymoon in Hell: Mr and Mrs Oki’s Fabulous Trip, un film mi-comique mi-sérieux sur le voyage touristique d’un couple en enfer. Honda est un habitué des comédies. Il a débuté sa carrière par des comédies déjantées (rendant hommage au regretté Russ Meyer) et des films érotiques de commande (le diptyque plutôt correct Watermelon/My Wife’s Shell). On ne peut que recommander GS Wonderland, une comédie sur le mouvement de musique pop Group Sounds qui a déferlé sur l’archipel nippon entre 1969 et 1972. Ambiance sixties garantie.
Dans cet entretien, Honda Ryuichi revient sur sa carrière.
Vous avez commencé votre carrière en 2001 en réalisant un film de fin d’étude, Shameless Paradise. Pouvez-vous nous en parler ?
À l’issue de mon master en études audiovisuelles à l’université du Japon, j’ai réalisé Shameless Paradise, un long métrage de 80 minutes en 16 mm. J’aime beaucoup la culture des années 60 – qu’il s’agisse du cinéma, de la musique ou de la mode – et je voulais me servir de cette culture. Ce film oppose un groupe de musiciens qui jouent des morceaux des années 60 à des tueurs à gages. C’est une série B d’action.
Votre deuxième film, Pussycat Great Mission!, est-il un hommage à Russ Meyer ?
Le distributeur d’un coffret DVD de Russ Meyer m’a proposé de réaliser un moyen métrage qui servirait de bonus. Il avait vu mon premier film et savait que j’aimais bien les années 60. Il voulait que je rende hommage à Russ Meyer. J’ai réalisé une version de vingt minutes pour le coffret DVD, puis une autre de cinquante minutes qui est sortie en salles, couplée à un autre de mes courts-métrages.
Vous avez ensuite réalisé le film érotique Watermelon. À la fin des années 70 et au début des années 80, tourner ce type de film permettait à des jeunes réalisateurs de faire leurs premières armes avant de tourner des films plus grand public. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?
C’est vrai que dans les années 70-80, on pouvait passer du cinéma érotique vers le cinéma grand public. Maintenant, c’est devenu plus difficile. Il y a bien sûr des films érotiques mais c’est un milieu plus fermé. À l’époque, on tournait les films érotiques avec de la pellicule tandis qu’aujourd’hui on tourne beaucoup en vidéo. Ces films sont destinés au marché vidéo et non à celui des salles de cinéma. En plus de cela, la demande des films pornos est plus importante que celle des films érotiques. Dans les années 70-80, il y a avait les romans pornos de la Nikkatsu, ce qui n’existe quasiment plus. C’est un marché plus réduit. Watermelon était destiné au marché de la vidéo mais il est brièvement sorti en salles. Ce fut la même chose pour mon film suivant, My Wife’s Shell, qui a été projeté en salles pendant deux semaines.
Watermelon et My Wife’s Shell sont-ils des films de commande ?
Oui, il s’agit de films de commande. Le producteur a écrit le scénario des deux films et m’a proposé de les réaliser. Ces deux films appartiennent à une série qui tentait de reproduire la série « roman porno » de la Nikkatsu. Il suffit juste de respecter certains codes du genre mais le cadre est assez libre.
Dans ces premiers films, on voit des actrices issues de l’univers érotique ou pornographique comme Mizutani Kei, Muraishi Chiharu et Akatsuki Runa. Que sont-elles devenues ?
On ne les voit plus. Mizutani Kei continue sa carrière d’actrice mais on voit très peu les films dans lesquels elle joue.
Votre film Ikusa est-il un film comique ou film plus sérieux ?
Ikusa est une comédie yakuza. Ça parle d’un sachet de sauce curry à réchauffer en bain marie. Tout le monde veut presser jusqu’à la dernière goutte de cette sauce et un jour, une personne invente un objet qui permet effectivement de récupérer jusqu’à la dernière goutte de la sauce curry. Des yakuzas veulent récupérer le brevet de cette invention et poursuivent son inventeur à travers le pays. Le boss de ces yakuzas est un garçon âgé de sept ans qui, lui, veut réaliser un film d’animation avec la mascotte qu’on voit sur les sachets de la sauce curry. Il demande donc aux membres de son clan de réaliser ce film d’animation. C’est un film assez loufoque.
Le boss de sept ans me fait penser à la boss adolescente de Sailor Suit and Machine Gun de Somai Shinji. Était-ce une inspiration pour votre film ?
Il n’y a pas d’influence de ce film de Somai Shinji. Le producteur d’Ikusa est le même que celui de Watermelon et My Life’s Shell. On a vendu le film comme un film de yakuza mais c’est avant tout un film comique.
Vous avez dit tout à l’heure que vous étiez fan des années 60. Cela se voit dans votre film GS Wonderland, consacré à un groupe de pop au Japon entre 1969 et 1972. Dans ce film, on voit une industrie musicale tenue par de vieilles personnes qui décident tous les six mois de changer de mode. Était-ce vraiment le cas à l’époque ?
Le film est assez fidèle à la réalité. À l’époque, je n’étais pas né mais il y a eu un véritable phénomène musical, le Group Sounds. Le groupe que l’on voit dans le film – The Tights – est fictif mais il s’inspire d’un véritable groupe, The Ox. À l’époque, il existait à la fois des chanteurs de folk avec un message politique et social et des groupes complètement créés de toute pièce par l’industrie. Mais ceux-ci n’écrivaient pas leurs chansons. Elles étaient écrites par des musiciens professionnels. Donc, malgré l’aspect purement commercial, les chansons étaient de bonne qualité. Bien sûr, il existe toujours des phénomènes où des groupes apparaissent et disparaissent très vite mais entre 1969 et 1972, cela était particulier. En trois ans, il y a eu plus de cent groupes qui ont tous disparu.
Ce film m’a fait penser à That Thing You Do!, un film de Tom Hanks, qui parle d’un groupe fictif des années 60. Était-ce une inspiration ?
Je n’ai pas vu ce film mais un exploitant de salles de cinéma m’en a parlé et m’a posé la même question.
Vous avez ensuite réalisé Police Citizen 69.
C’est un film de science-fiction qui se passe à Tokyo dans un futur proche, où il y a de moins en moins de sécurité. Une loi autorise des citoyens élus à remplacer temporairement les policiers. On leur donne des armes pour endormir les gens. Un jour, un salaryman à qui l’on donne cette arme devient méchant et commence à avoir des idées négatives.
Pour A Honeymoon in Hell, on s’attend à un film très drôle mais le film reste sérieux. C’est un mélange étonnant.
Le film est adapté d’un roman qui n’était pas une comédie pure. Il racontait l’histoire du couple Oki. Avec le producteur, on s’est dit qu’on allait réaliser un film qui n’appartiendrait à un aucun genre en particulier. C’est un mélange de comédie et de film plus dramatique. C’était notre intention.
Comment le film a été reçu au Japon ?
Le film a divisé le public. D’un côté, ceux qui ont adoré le film et de l’autre ceux qui ont été déçus parce qu’il s’attendait à rire. Le film a été vendu comme une comédie mais ce n’était pas vraiment le cas donc ils étaient un peu déçus.
En 2012,vous avez réalisé cette année une série pour la télévision : Detective Kurokawa Suzuki.
C’est une comédie policière. À la fin de chaque épisode, l’affaire est résolue. Mais il s’agit d’un policier étrange.
Cela vous a plu de travailler pour la télévision ?
J’ai beaucoup aimé travailler pour la télévision. J’ai débuté par des films indépendants mais j’ai toujours voulu devenir un réalisateur commercial. On ne peut pas toujours apporter sa touche personnelle, ce ne sont pas des films d’auteur mais je ne ressens pas de frustration. Au contraire, j’aime bien recevoir des scénarios et j’essaie de les rendre meilleurs, d’y apporter un peu d’originalité. L’idéal serait d’alterner le cinéma et la télévision. Faire des films prend beaucoup de temps donc cela ne me dérange pas de travailler pour la télévision.
L’interview en vidéo :
Entretien réalisé lors du festival Kinotayo 2012. Remerciements à Megumi Kobayashi pour la traduction et à Nolwenn le Minez.