Aujourd’hui, je n’ai pas mangé de pomme, mais j’ai rencontré Wong Kar-wai. Récit d’une journée sous le signe du Grandmaster par Victor Lopez.
Reçu la veille, ce SMS allait déterminer toute l’orientation de la journée : « Bonjour Victor, c’est le service presse du Public Système Cinéma. Je vous confirme que la table ronde avec Wong Kar-wai aura lieu demain à 16h25 au Normandy, salon Potinière. Cette rencontre durera 25-30 minutes, WKW parlera en anglais. » L’interdiction de filmer et une panne technique du pourtant si fidèle et solide recorder eastasien m’empêchera de garder le moindre souvenir physique de la rencontre, mais restera la joie de me trouver dans la même pièce et de poser des questions à un cinéaste qui a tant compté dans ma vie. Certes, quelque chose s’est sans doute perdu de la candeur des premiers films depuis In the Mood for Love, et même The Grandmaster, pourtant son plus beau depuis la fin des années 90, n’a pas la saveur de ses films plus simples, plus fous, sans doute plus libres d’antan. En même temps, quoi de plus logique que de regretter les films passés pour un fan du cinéaste qui a sans doute le mieux filmé la mélancolie insondable du monde contemporain. Et Chungking Express, Les Anges déchus et Les Cendres du temps figurent parmi les plus beaux films du monde.
Mais pour commencer la journée, un premier choix s’impose : replonger dans les délices cotonneux du wu xia de WKW ou privilégier la découverte en allant voir un des films de la sélection ? N’écoutant pas les conseils de WKW de regarder en arrière, je n’ose arrêter la fuite du temps et privilégie la nouveauté avec une Apparition qui n’aura pas lieu. Le premier film de la journée est donc un drame historico-théologique philippin de Vincent Sandoval, se déroulant dans un couvent, se croyant à l’abri des bouleversements qui ravagent le pays en 1971. Je regarde les nonnes d’un air distrait, et pense à Jackie Cheung, Tony Leung, Leslie Cheung et Maggie Cheung dans le désert…
Je délaisse ensuite les joyeux hurlements du jeune excentrique adepte de rasage de tête intempestif de I’m Sono Sion pour un bon repas et rate The Last Supper (pas super, me souffle-t-on) en attendant l’interview. L’homme est fidèle à sa réputation, donc en retard, mais visiblement très heureux d’être à Deauville et de présenter son film au public français. Il répond avec calme, sympathie, parfois avec une pointe d’ironie aux questions des 6 personnes présentes (un journaliste débarquant spécialement de Hong Kong, un autre américain, un critique à FilmDeCulte et les deux sympathiques compères Nicolas Gilli de Filmosphère et Cyrille Falisse du Passeur critique).
Après une halte à l’accueillant Mekong Hotel d’Apichatpong Weerasethakul, parfait pour un moment d’apaisement zen après les émotions procurées par la compagnie du plus grand cinéaste aux lunettes noires (ceux qui pensent à Abbas Kiarostami sont de mauvaise foi), direction le CID. La soirée permet de voir les propos du maître en pratique avec la présentation de l’avant-première de The Grandmaster, idéalement suivie de Dragon Gate, le dernier Tsui Hark. Étrange impression de voir la manière dont le vent à tourné en quelques années. Alors que WKW s’empêtrait dans le tournage des Cendres du temps et connaissant un cuisant échec, Tsui Hark dominait le cinéma de Hong Kong et inventait les formes les plus innovantes avec The Blade, acclamé partout où il passait.
Ce soir à Deauville, WKW fait salle comble, accueilli en héros sous une longue et admirative standing ovation, alors que seuls quelques spectateurs dispersés restent pour le dernier Tsui Hark, et ressortent déçu d’avoir vu un « aussi mauvais Jet Li ». Les deux films sont en effet aux antipodes l’un de l’autre. WKW offre un somptueux spectacle artistique, Tsui Hark une zéderie étrange et d’une indiscutable laideur. Et pourtant, le spectacle décomplexé de Tsui Hark osant tout, défiant le bon goût avec une effronterie de petit garnement offre comme une bouchée d’air frais après le grand film de WKW. Bien sûr, c’est The Grandmaster qui restera dans l’histoire du cinéma. De même, c’est aujourd’hui Wong Kar-wai qui a naturellement occupé toutes mes pensées, mais une grande partie du fun de la journée vient tout de même du délire du Tsui Hark.
Victor Lopez.
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