À l’occasion de la projection de Dragon Gate : La Légende des sabres volants à Deauville Asia 2013, retour sur la dense filmographie de Tsui Hark, avec une sélection de 10 films incontournables du maître du cinéma de Hong Kong ! Par East Asia.
1. Butterfly Murders (1979)
Par Tony F.
Toute carrière a un début, et Tsui Hark, âgé alors de presque trente ans et lancé par Ng See Yuen et sa Seasonal Film Corporation, commence la sienne ici (cinématographiquement parlant du moins, puisque ses débuts se firent comme pour beaucoup à la télévision avec The Gold Dagger Romance). Butterfly Murders est un film mêlant épouvante, narration polaresque et fantastico-historico-wu xia pian, le tout porté par des influences très occidentales et des effets que l’on pourrait presque qualifier d’expérimentaux, malgré un rendu final finalement bien imparfait : Tsui signe là une première œuvre tirant vers le B movie nanardesque plus qu’autre chose, mais réussit néanmoins à poser les bases de la filmographie fantastique qui suivra, en mêlant les genres avec une ambition déjà palpable et un style qui lui est propre.
On pourra lui accorder un second degré évident dans sa mise en scène : les “super-héros” dépeints ici nous montrent toutes leurs “ficelles”. Les explosions se font par dynamite, les personnages ne volent pas, mais usent de longues cordes pour traverser des décors et un espace exploités au maximum de leur potentiel. Chaque scène se montre maîtrisée, chose apparemment innée chez Tsui. Pour autant, les défauts ne manquent pas, et l’on pourra reprocher au métrage son aspect peut être “trop” peu abouti, voir carrément brouillon (ce dernier point étant une caractéristique de nombreux films de Tsui, devenant même au fil du temps une réelle force pour certains de ses métrages).
Tsui Hark se fait une place parmi les grands de la nouvelle vague hongkongaise, et entame donc sa longue et prolifique carrière de réalisateur, nous montrant avec Butterfly Murders un potentiel latent incroyable, chose qui se confirmera très vite dans les œuvres suivantes, et même dans les trois décennies passées depuis.
2. Zu : les guerriers de la montagne magique (1983)
Par Anel Dragic.
Zu est une date, et dans le cinéma de Tsui Hark, et dans le cinéma de Hong Kong. Annoncé comme le Star Wars made in HK, le film jouit d’un budget conséquent (merci la Golden Harvest !) et ambitionne à lancer la machine blockbuster dans la colonie anglaise de l’époque. Tirant ses racines dans la littérature chinoise traditionnelle, le monde de Zu développe un univers fantaisiste où se côtoient des humains en guerre et des personnages surhumains vivant dans les hauteurs des montagnes de Zu. Un voyage que sera mené à accomplir un jeune humain campé par Yuen Biao.
Le point de départ peut rappeler l’antérieur Histoires de fantômes chinois, sublimation sur le thème des mythes et de leur remise en forme esthétique, réalisé par Ching Siu-Tung et produit/scénarisé/tourné en partie par Tsui Hark. Mélange des genres : aventure, fantastique, teinté de comédie, le film est un véritable point de départ dans l’œuvre de Tsui tant cette formule sera réutilisée par la suite. Si les effets spéciaux ont moins bien vieilli que les tentatives suivantes réalisées par Tsui, le spectacle reste tout de même éblouissant et fait preuve d’une émulsion créative foisonnante. Dirigées par Yuen Kwai, Yuen Biao, Fung Hak On et Meng Hoi, les séquences d’action développent déjà le style “à la Ching Siu Tung”, en moins gracieux certes, mais présentant tout de même des chorégraphies ultra-câblées, des envolées voilées et des mouvements décomposés. Une esthétique qui fera les beaux jours des productions de la Film Workshop, et dont Zu, Warriors From the Magic Mountain représente la genèse.
3. Il était une fois en Chine (1991)
Par Victor Lopez.
Un sentiment d’ivresse et d’extase saisit aujourd’hui le spectateur du premier volet de ces aventures modernes de Wong Fei Hung. À la fois chaotique et virevoltant mais complétement maitrisé et parfaitement millimétré, Il était une fois en Chine doit sa réussite à la synergie de trois hommes, tous au sommet de leur art en cette belle année 1991. Jet Li est d’une grâce extatique et Yuen Woo Ping transforme chacun de ses mouvements en ballets sublimes. Le maître chinois conçoit en effet des chorégraphies d’une folie visuelle hallucinante (la scène des échelles reste inoubliable). Mais surtout, Tsui Hark donne une belle vitalité à cet ensemble. Dans cette reconstitution historique (le film se passe en 1875), tout vit, tout bouge, tout est en mouvement. Une impression d’animation transperce le cadre, et nous projette directement dans l’action décrite. Sans aucun répit, le spectateur est pris dans un tourbillon animé et suit le rythme joyeux du drame qui lui est conté. Sans changement de rythme, l’histoire se fait cependant de plus en plus sombre, et le pessimisme de Tsui ne résiste pas longtemps au ton bon enfant du métrage. La fin est ainsi d’une cruauté apocalyptique, dans laquelle on retrouve le réalisateur de L’Enfer des armes aux commandes d’un blockbuster qui se voudrait tout public, mais qui n’y arrive pas vraiment (soit exactement l’inverse de Detective Dee). C’est ce caractère schizophrène qui rend ce film passionnant, et en fait l’un des plus représentatifs et purs du système de Tsui Hark.
4. Il était une fois en Chine 2 : la secte du lotus blanc (1992)
Par Anel Dragic.
Suite du kung-fu pian revival de Tsui Hark, Il était une fois en Chine 2: la secte du lotus blanc parvient à accomplir l’impossible : faire une suite meilleure qu’un premier opus, déjà considéré comme un chef-d’œuvre absolu. Plus sombre, plus violent, plus engagé que l’original, le film s’inscrit d’autant plus dans le contexte torturé de l’époque (Tian Anmen en 1989, la rétrocession pour 1997). Le récit poursuit la fresque chinoise entamée par l’épisode précédent en plongeant dans l’histoire du pays et ses répercussions faisant écho au présent. Il est dès lors intéressant de voir Wong Fei Hung côtoyer des personnages tels que Sun Yat Sen. Cette suite parvient à englober en une seule œuvre une grande partie des obsessions du réalisateur. L’opposition entre l’Occident et l’Orient tout d’abord, confrontant dès qu’il le peut son Wong Fei-Hung, figure de la tradition s’il en est, aux technologies et avancées scientifiques occidentales. Un discours tout ce qu’il y a de plus cohérent puisqu’il est au centre même du processus créatif de Tsui Hark, à savoir : plonger dans la culture traditionnelle pour lui donner un nouveau sens esthétique. D’autant plus que Tsui est lui aussi un cinéaste mondial (né au Vietnam, d’origine chinoise, puis vivant à Hong Kong, avant de faire ses études aux États-Unis). Les séquences d’action suivent cette dynamique de remodernisation. Dans la continuité du premier volet, les combats se montrent une fois de plus aériens, câblés, et dirigés par Yuen Woo Ping. La scène finale où Jet Li affronte Donnie Yen reste encore à ce jour l’un des morceaux de bravoures de la filmographie de Tsui. Véritable chef-d’œuvre, Il était une fois en Chine 2 : la secte du lotus blanc reste un sommet de sa filmographie, un film de contexte, qu’il semble peu probable de voir se réitérer un jour.
5. Green Snake (1993)
Par Anel Dragic.
Film romantique, érotique, présentant autant de grâce que de vitalité, Green Snake est une œuvre somme dans la filmographie du réalisateur barbichu. Reprenant la légende du serpent blanc (déjà adaptée par la Shaw Brothers en 1962 par Yueh Feng), le film de Tsui Hark délaisse le film d’opéra pour en faire une expérience sensorielle. On suit l’histoire de deux soeurs caractérisées par leur condition de femmes-serpents, White Snake et Green Snake, entretenant une relation ambigüe et saphique, dont l’une tombe amoureuse d’un moine bouddhiste incarné par Chiu Man Cheuk. Porté par deux muses aux sommets de leur art (Maggie Cheung et Joey Wang, belles à se damner), le film compose habilement malgré le mélange des genres (on retrouve quelques scènes comiques, mais aussi de l’action et bien sûr du drame), comme avait pu le faire Histoires de fantômes chinois en son temps, mais de manière beaucoup plus rigoureuse.
Tsui Hark en profite pour apporter une réflexion sur les traditions chinoises et dissimuler un discours d’actualité. Remettant en question les modes de vies bouddhistes et taoïstes, le film réfléchit sur la nature inhérente aux gens, maléfiques ou bons, et sur l’idée d’un destin scellé en raison de leurs origines. Le film accuse aussi les préjugés et le manque de remise en question des religions. Voyez-y les métaphores que vous voulez, mais la rétrocession parle d’une manière ou d’une autre. Véritable peinture d’esthète, le film est là aussi d’une beauté à toute épreuve. Des décors à la lumière, en passant par la photographie, chaque plan est une estampe traversée par un souffle lyrique. Un chef-d’œuvre, un de plus. Quoique non, pas un de plus, peut-être LE chef-d’œuvre du réalisateur, tout simplement.
6. The Lovers (1994)
Par Anel Dragic.
Dans sa relecture des classiques, Tsui Hark aura ravivé presque tous les genres les plus spécifiques au cinéma de Hong Kong. Véritable amoureux de la culture chinoise et de son cinéma, l’œuvre de Tsui peut être lue comme un ensemble didactique visant à léguer un héritage culturel aux nouvelles générations, en réactualisant le patrimoine et les genres cinématographiques. Ici, le réalisateur reprend le récit populaire des amants papillons (sorte de Roméo et Juliette chinois aux accents gender prononcés) déjà popularisé de différentes manières, dont au cinéma au travers du classique de Li Han Hsian : The Love Eterne (1963), huangmei diao (film d’opéra) parmi les plus célèbres produits par la Shaw Brothers. L’histoire raconte l’amour impossible de Liang Shanbo (Nicky Wu) et de Zhu Yingtai (Charlie Young), deux étudiants, une fille déguisée en garçon pour pouvoir étudier et un vrai garçon cette fois, qui tombent progressivement amoureux. Hélas, Zhu Yingtai est d’ores et déjà promise à quelqu’un, poussant ainsi Liang Shanbo vers la maladie, puis la mort. Zhu Yingtai, le jour de son mariage se jette dans la tombe de son amant et les deux se voient réunis sous forme de papillons. Véritable tragédie, Tsui Hark signe avec The Lovers un chef-d’œuvre lyrique et romantique, dont la musique obsédante de James Wong parvient tour à tour à envoûter le spectateur, puis à le faire fondre en larme. Encore à ce jour considéré comme l’un des meilleurs films de Tsui Hark, The Lovers reste la fable mélodramatique à la beauté impérissable qu’elle était il y a dix-sept ans.
7. Le Festin chinois (1995)
Par Jérémy Coifman.
La même année que The Blade, Tsui Hark sort Le Festin chinois, comédie culinaire complètement folle. Dominée par le talent du regretté Leslie Cheung, la comédie atteint des sommets de burlesque. Mais ce qui impressionne le plus, ce sont les scènes de préparation de plats, qui sont absolument fantastiques. Tsui Hark filme les concours culinaires comme des combats de kung fu. Le réalisateur fait encore une fois preuve d’une virtuosité incroyable et parvient à sublimer la nourriture d’une façon prodigieuse. En plus de donner faim, ce film éblouit, passionne et est carrément attachant. Le charisme des protagonistes et leur virtuosité donne vraiment envie de mettre la main à la pâte !
8. The Blade (1995)
Par Jérémy Coifman.
Dans une époque indéfinie, un lieu indéfini, un homme mutilé assouvira sa vengeance. C’est beau, non ? Et bien c’est The Blade, qui montre encore une fois que Tsui Hark est un des réalisateurs les plus virtuoses de Hong-Kong (qui a dit du monde ?). En pleine période trouble pour Hong Kong, le réalisateur livre un film survolté et calme à la fois, plein de rage, mais aussi de poésie. Un film unique. Reprenant le mythe du sabreur manchot à son compte, il livre le baroud d’honneur d’un genre, le Wu Xia Pian. Les chorégraphies de Yuen Bun et Hung Yan-Yan, très « terrestres » (en totale marge de la production de l’époque dominée par le câblage), amplifient cette impression de déchaînement total, mais aussi de retour aux sources. Tsui Hark livre un chef-d’œuvre ténébreux. Son arme du titre, c’est sa caméra. Comme le sabreur et son sabre mutilé, la caméra est l’extension du bras du réalisateur. Il assène coups sur coups et nous assomme. Un grand film.
9. Time & Tide (2000)
par Tony F.
Nous sommes en 2000, la rétrocession est passée, et les grands du cinéma hongkongais ont pour la plupart choisi l’exil vers les USA, de Jet Li à John Woo en passant par… Tsui Hark. Après une incartade américaine et deux films avec Jean Claude Van Damme en tête d’affiche, le réalisateur fait son come-back dans l’ancienne colonie avec la volonté forte et déterminée de frapper un grand coup. Ainsi, et pour plusieurs raisons, Time and Tide est un peu le « Who’s the Boss? » scandé par un Tsui que l’on sait mégalo et en pleine forme à la face du cinéma HK agonisant des années 2000. Pourtant, le film ne connut pas un succès retentissant, et ce malgré la prouesse technique indéniable.
En effet, le mot d’ordre est ici « mise en scène ». Celle-ci relègue l’histoire au statut de simple anecdote. La caméra bouge sans arrêt, suit ses personnages dans les moments les plus extrêmes (un gunfight en rappel, où la caméra plonge en chute libre avec ses protagonistes) et se montre visuellement ébouriffante, étirant le dénouement sur trois lieux différents et pas moins d’une demi heure de fusillade quasi non-stop. Rivalisant de fluidité à chaque seconde, le film s’enchaîne à une vitesse hallucinante propre au maître qui risquerait là encore de perdre les moins attentifs. On passera aisément outre certains effets hérités de son escale hollywoodienne, le but étant ici clair : renvoyer paître Johnnie To, ses The Mission et Running Out of Time étant sortis (avec succès, eux, To ayant privilégié le secteur local à l’international) durant la période d’exil de Tsui. Il lancera également une pique (voir une grosse lance) à son vieux « pote » John Woo, en plaçant à plusieurs endroits du métrage des oiseaux et une scène d’action sur fond de chrétienté, rappelant les grandes gloires passées de Woo, lui qui, en 2000, tournait M:I:2…
Enfin, le dernier doigt levé de Tsui Hark est adressé directement à la rétrocession, passée depuis quelques années déjà. Time & Tide, finit en effet sur un message d’espoir, d’optimisme assumé, par un double accouchement. Renaissance du cinéma hongkongais, renaissance de Tsui Hark ? Une chose est sûre, malgré le succès commercial très relatif de l’œuvre, cette dernière marque de façon indéniable le retour du roi.
10. The Flying Swords of Dragon Gate (2012)
À vérifier si le dernier film du maître s’inscrit dans la lignée de ses chefs-d’œuvre lors de sa projection à Deauville Asia 2013.
Dragon Gate : La Légende des sabres volants de Tsui Hark sera projeté dans le cadre du festival Deauville Asia 2013 du 6 au 11 mars.
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