Avec The Land of Hope, Sono Sion livre un film à charge contre l’énergie nucléaire et l’attitude des autorités japonaises face à une catastrophe inspirée de celle de Fukushima. Un film « militant » qui échappe à une certaine lourdeur dogmatique en se focalisant sur un sujet cher à Sono Sion : la destruction/construction familiale. Par Marc L’Helgoualc’h.
Résumé : Quelques années après le tsunami et l’accident nucléaire de Fukushima, le Japon est à nouveau frappé. La centrale nucléaire de la ville de Nagashima est touchée par le raz-de-marée. Le gouvernement évacue toute la population dans un périmètre exact de 20 km autour de la centrale. Une famille de paysans se trouve à 20 km de la centrale. Elle n’est donc pas évacuée, au contraire de tous ses voisins. Commence alors un cauchemar et une paranoïa : cette famille est-elle en sécurité ? Est-elle soumise à la radioactivité ? Faut-il partir ou rester ? Et partir où ?
Sono Sion et l’histoire du Japon… Vaste programme. Il a déjà mis en scène la secte Aum avec l’excellent Love Exposure (la secte Zéro) et a abordé la véritable histoire d’un tueur en série avec Cold Fish. Pour The Land of Hope, il reprend du service, toujours en déguisant légèrement le sujet. Il n’est pas question ici de l’accident de Fukushima en lui-même mais d’un accident similaire qui a lieu quelques années après. Une distanciation qui permet au réalisateur de conduire le scénario qu’il veut. À part « drame », il est difficile de coller un genre cinématographique à The Land of Hope : ce n’est ni un film catastrophe (il n’y a aucune scène de tsunami et pas de cadavres… comme s’il ne s’était rien passé) ni un film d’anticipation (comment anticiper un événement qui a déjà eu lieu ?). Ce qui est sûr, c’est que c’est une fiction inspirée des faits réels et de l’expérience de Japonais touchés par la catastrophe de Fukushima. Sono Sion, qui considère son film plus proche du documentaire, explique : « Pour faire mon film, j’ai fait six mois de recherches à Fukushima, j’ai rencontré énormément d’habitants de la région. Les paysans japonais sont des gens timides, ils se sont ouverts à moi beaucoup plus qu’ils ne l’ont fait avec les journalistes ». Malgré tout, il ne faut pas croire Sono Sion et considérer The Land of Hope comme un documentaire. C’est une véritable fiction sur événement réel… avec un message politique.
Le film se passe dans la ville de Nagashima. De l’aveu même du réalisateur, ce nom est un mélange entre Nagasaki, Hiroshima et Fukushima. On comprend donc la dimension historique importante que Sono Sion donne à l’accident nucléaire de Fukushima. Après la Seconde Guerre mondiale, les cinéastes avaient attendu plusieurs années avant de tourner sur des films sur la bombe atomique (citons Les Enfants d’Hiroshima de Shindo Kaneto en 1952 et Hiroshima de Sekigawa Hideo en 1953). Sono Sion n’a attendu que quelques mois pour réaliser The Land of Hope. Pour son précédent film Himizu, tourné immédiatement après le 11 mars 2011, il avait déjà incorporé en arrière-plan un Japon « physiquement » détruit, notamment dans les plans d’ouverture et de clôture, filmant des villes fantômes ravagées (pour la destruction « morale » du Japon, Sono Sion n’a pas attendu 2011). The Land of Hope va plus loin puisque tout le film est basé sur les séquelles de Fukushima et les possibilités d’une nouvelle catastrophe nucléaire. Le film est à la fois un tract militant antinucléaire, une critique du gouvernement japonais et un cri d’espoir pour un renouveau nippon – pas un renouveau à l’échelle nationale mais renouveau à l’échelle individuelle.
En effet, la société japonaise décrite dans le film est passive et crédule face aux informations du gouvernement. Les radiations nucléaires ne franchissent pas un périmètre de 20 km ? D’accord. Pas besoin de porter de masque de protection deux semaines après la catastrophe ? Encore d’accord. Ceux qui doutent du gouvernement sont paranoïaques et bizarres ? Toujours d’accord. Sono Sion pointe du doigt une société abrutie par les informations télévisées et surtout incapable de protester et de se révolter. Pour un réalisateur qui estime que « l’idéal est d’être libre et de s’affranchir au sein même de l’institution », cela est inadmissible. On sent même de la colère dans plusieurs scènes où la « masse » critique l’attitude des personnes qui redoutent la radioactivité (notamment les scènes avec Kagurazaka Megumi, habillée beaucoup plus qu’à l’accoutumée). Sono Sion le montre avec ce film, ce n’est pas encore aujourd’hui que le « peuple » peut se libérer des tutelles institutionnelles. En revanche, les individualités le peuvent…
The Land of Hope sonne plus comme un énième coup de pied au cul du Japon par Sono Sion. Pour réveiller le pays. Mais au lieu de s’attaquer à la prostitution (Guilty of Romance), aux suicides collectifs d’adolescents (Suicide Club et Le Testament de Noriko), aux sectes religieuses (Love Exposure) et aux tueurs en série (Cold Fish), Sono Sion a décidé de traiter d’un sujet beaucoup plus fédérateur – et plus politique. Arrêter des meurtriers est du ressort de la police. Arrêter la production d’énergie nucléaire et, surtout, protéger et informer la population, est du ressort du gouvernement ici décrit comme menteur, incompétent et criminel. Sono Sion évite cependant la moralisation à outrance et le discours politique pompeux (et vite bien rance) en focalisant son film sur un autre problème qui découle de la catastrophe de Fukushima : la famille. C’est, à vrai dire, le thème majeur des films de Sono Sion.
Presque tous ses derniers films traitent directement ou indirectement de la destruction de la cellule familiale : Strange Circus, Le Testament de Noriko, Love Exposure, Be Sure to Share, Cold Fish, Guilty of Romance, Himizu et, donc, The Land of Hope. Si le ton est souvent désabusé dans ses précédents films (se terminant dans la folie, la solitude et des bains de sang), The Land of Hope est beaucoup plus optimiste. Même si une famille au sens large (grands-parents, parents, enfants) est toujours exclue, Sono Sion admet que le couple mari/femme est possible, voire essentiel pour (se) grandir. Cela change de l’individualisme forcené professé jusqu’alors. Les amateurs de Sainte-Beuve diront que le récent mariage du réalisateur avec l’actrice Kagurazaka Megumi n’est pas étranger à cette évolution. Il y a sans doute de cela, bien sûr.
Sono Sion met donc en scène trois couples symbolisant la vieillesse, l’âge mûr et la jeunesse. Chacun de ces couples se retrouvera considérablement rapproché à cause de l’accident nucléaire… tout en se séparant du reste de leur famille. Le couple « vieillesse » est constitué de deux retraités dont la femme est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Le couple « âge mûr » est constitué du fils du précédent couple (Murakami Jun) et de sa femme (Kagurazaka Megumi), tout juste enceinte. Le dernier couple est constitué de deux jeunes adultes dont la fille a perdu sa famille dans le tsunami. Pour eux, tout est à (re)construire. Le film va suivre le parcours de ces trois couples aux destins différents. Trois couples qui décident de croire en l’avenir, « seuls contre tous ». Mais n’en disons pas plus pour laisser le spectateur découvrir tout cela.
Faire porter un film par trois couples de générations différentes, voilà encore une preuve de la volonté de Sono Sion de fédérer le public et de toucher le plus grand nombre. Ça change des scènes de suicide collectif de 54 lycéennes. Avec The Land of Hope, on découvre un Sono Sion plus consensuel mais qui évite un moralisme politique exagéré. La mise est également classique (champs/contre-champs) avec, comme c’est l’usage depuis plusieurs films, une bande sonore omniprésente dans les moments émotionnels. Sono Sion frappe particulièrement fort en balançant de la musique classique spectaculaire juste au générique final. Ce n’est pas vraiment très fin mais ce n’est pas sans charme. Dans la forme, le film s’essouffle par moment (2h13) ; plusieurs scènes s’étirent trop longuement. Malgré tout, les bonnes scènes ne manquent pas, notamment celle où la vieille femme atteinte d’Alzheimer erre sur une route déserte, entourée d’animaux sauvages, célébrant la fête des morts. Ou les deux séquences finales, avec les deux plus jeunes couples. Des scènes qui confortent le talent indéniable de Sono Sion.
Marc L’Helgoualc’h
Verdict : The Land of Hope est le film de Sono Sion le plus consensuel à ce jour, ce qui n’est pas forcément un reproche. Le film poursuit les thématiques du réalisateur. Malgré un contexte éminemment politique, le réalisateur ne s’embourbe pas dans le tract militant putassier en se concentrant sur les vies croisées de trois couples. À ne pas manquer.
The Land of Hope sortira le 24 avril 2013 en France. Il sera projeté en février au cinéma L’Écran de Saint-Denis, lors du festival Fins de Mondes.