Venu au Black Movie de Genève accompagnée de sa productrice Park Joo-young pour présenter Juvenile Offender, le réalisateur coréen Kang Yi-kwan a accepté de nous rencontrer pour nous parler de son film. Propos recueillis par Victor Lopez.
Malgré son histoire et ses thématiques dramatiques, une humeur légère se dégage de Juvenile Offender, autant grâce à la tonalité lumineuse choisie par Kang Yi-kwan pour illustrer son histoire, que par le jeu rafraîchissant de ses jeunes acteurs, dont la chanteuse Lee Jeong-hyeon (parfois considérée comme « la Björk coréenne »). Le film se concentre sur le parcours d’un jeune homme, qui, suite à une infraction dans une maison, va se retrouver en centre de détention pour mineur. À sa sortie, sa mère, qu’il n’a jamais vu, l’attend et a décidé de s’occuper de lui. Mais cette dernière se révèle être dans une situation encore plus précaire que celle de son fils. Et pour couronner le tout, le garçon apprend que sa petite amie a accouché lorsqu’il purgeait sa peine.
Pouvez-vous vous présenter tous les deux à nos lecteurs ainsi que votre parcours ?
Kang Yi-kwan : Bonjour, je suis Kang Yi-kwan et réalisateur coréen. À l’université, j’ai étudié la sociologie et j’ai poursuivi mes études en m’inscrivant à l’académie de cinéma en Corée du Sud pour une formation de deux ans. J’ai commencé à réaliser des longs métrages comme Sakwa (avec Moon So-ri) en 2005. Mon dernier film, Juvenile Offender, est un film de commande demandé par l’association Human Rights en Corée du Sud.
Park Joo-young : J’ai étudié à l’université la littérature coréenne puis j’ai travaillé pour une société de production pendant des années pour devenir ensuite productrice. C’est mon deuxième film avec Kang Yi-kwan.
Est-ce qu’il y avait des contraintes particulières de la part de l’association Human Rights ?
Kang Yi-kwan : S’il y avait des contraintes, je n’aurais pas réalisé ce film.
Comment est née l’idée du film ?
Kang Yi-kwan : J’ai demandé à l’association quel sujet était le moins traité depuis la création de l’association. Les résultats furent les adolescents détenus en centre de détention et les personnes âgées. J’étais également toujours intéressé par la thématique des mineurs, j’ai donc mélangé cette thématique avec les détenus en centre de détention.
Est-ce que vous avez fait des recherches avec les vrais délinquants mineurs pour réaliser ce film ?
Kang Yi-kwan : Oui, bien sûr. Pendant 5 mois, j’ai visité les centres de détention et rencontré des détenus y compris ceux qui étaient déjà sortis des centres. Nous avons aussi visité les écoles et rencontré la police et la justice. On a vraiment suivi le parcours des adolescents détenus.
Apparemment, les centres de détention figurant dans les scènes existent vraiment. Etait-ce important de montrer un endroit réel pour le spectateur ?
Kang Yi-kwan : Ce n’était pas très difficile d’avoir les autorisations pour filmer dans les centres. C’était très important pour moi car jusqu’à maintenant, personne n’avait eu l’occasion de les voir même dans un documentaire. Si je fabriquais artificiellement les lieux, cela aurait été faux. Je ne voulais pas prendre le risque de ne pas montrer la réalité, ce qui aurait pu provoquer des préjugés. Sur le site du film, il y a des commentaires des personnes qui ont déjà vécu dans les centres qui écrivent par exemple « je vois que les toilettes se sont améliorés » (rires). C’était très important d’avoir ces retours.
L’un des personnages du film dit que l’état est assez laxiste avec les adolescents, mais il nous semble que la Corée du Sud a déjà un système répressif envers les mineurs. Comment vous et le film se positionnez-vous par rapport à cela ?
En Corée du Sud, tant que l’on est performant à l’école, on accepte le fait de faire des bêtises. Le personnage de la coiffeuse est la représentation d’une société conservatrice tandis que la mère est naïve et irresponsable. C’est cette confusion que je voulais montrer. Dans ladite scène, la mère suit le conseil de son ami car elle vit chez elle. Ce n’est pas une représentation globale du pays. Il ne faut pas généraliser dessus.
On a l’impression que le personnage du fils est le plus mature du film. Il s’occupe du grand-père puis tient le rôle d’adulte avec sa mère. Est-ce que c’était volontaire de montrer ce renversement ?
Oui, c’était mon intention d’établir dès le scénario une opposition de personnalité entre l’enfant mature et la mère d’une trentaine d’années qui semble adulte mais qui reste mentalement immature comme un enfant en mentant facilement, volant, etc.
On a l’impression que le film est construit comme une tragédie et les personnages sont enfermés dans un cercle vicieux dans lequel ils ne peuvent pas s’échapper. Néanmoins, la fin peut-être considérée comme ouverte, est-ce que vous pensez qu’il peut y avoir un espoir pour les protagonistes ?
Une fois que j’ai choisi les acteurs principaux, j’ai beaucoup hésité à les faire rencontrer au début du film quand Ji-gu sort du centre de détention. À ce moment-là, j’ai eu la possibilité de suivre une autre voie. La mère a des difficultés à vivre seule, mais avec son fils, elle doit gagner encore plus d’argent, donc objectivement ce n’est pas forcément une bonne chose. Mais j’ai réfléchi et j’ai pensé que le fait de retrouver sa mère qu’il croyait morte, c’était mieux pour le fils, de savoir que sa mère existait, même s’ils ne vivaient pas ensemble. Je voulais montrer que même dans une situation tragique très dure, on peut avoir toujours l’espoir.
Malgré les thématiques tragiques qui sont abordées, la musique est à contre-courant, très légère et dédramatise l’action. Pourquoi avoir choisi ce type de musique dans Juvenile Offender ?
Je pense que c’est mon univers, car malgré que la vie soit dure et difficile, le fait que l’enfant et sa mère se soient rencontrés apporte aussi du bonheur. Ils sont heureux par l’image et la musique.
Lee Jeong-hyeon est plutôt une chanteuse, pourquoi l’avoir choisi elle et comment l’avez-vous dirigé dans ce rôle ?
Pour la personnage de la mère, je cherchais une femme qui avait la trentaine mais qui visuellement a une apparence plus jeune. On ne pense pas qu’elle ait accouché d’un enfant. LeeJeong-hyeon correspondait exactement au profil que je recherchais. Ensuite, c’est la mère elle-même qui raconte son passé. Pour cela, j’ai besoin d’une actrice qui maîtrise bien le jeu d’acteur. Pendant 10 ans, elle a été chanteuse mais à l’âge de 15 ans, elle a fait un film extraordinaire (ndr : Ggotip de Jang Sun-woo). Elle jouait le rôle d’une folle. Puis dix ans plus tard, elle a joué dans un court-métrage de Park Chan-wook, Night Fishing, où elle était toujours autant talentueuse. Je l’ai contacté dans la foulée.
Jamais la question de l’avortement n’est évoquée dans le film, est-ce lié à la société coréenne ?
Nous avons seulement une petite formation de prévention officielle à l’école à nos 12 ans où l’on nous explique les différentes méthodes de contraception. Cela reste toujours théorique. En pratique, les filles n’osent pas dire non et les garçons ne sont pas conscients qu’ils doivent utiliser ces outils mis à leur disposition pour se protéger. On fait la formation pour être à la hauteur d’un pays assez développé mais ce n’est pas vraiment mis en application. Pour moi, la société coréenne ne reconnaît pas l’amour entre deux adolescents, c’est le mariage qui fait office de statut officiel de vrai amour. La majorité sexuelle coréenne est fixée à 20 ans. Une fois que les adolescentes tombent enceintes, elles ne peuvent plus continuer à aller à l’école.
Et concernant l’avortement, c’est un sujet tabou en Corée ?
En effet, la loi l’interdit mais c’est toléré. Les filles n’osent pas dire qu’elles sont enceintes et ratent la période pour avorter.
Combien le film a coûté et si les recherches de financement ont été difficiles pour ce type de films ?
Park Joo-young : Au début, la commission nationale Human Rights nous ont accordé un certain budget mais pour réaliser le film, on a eu besoin du double. On a dû personnellement apporter notre argent. On a continué à chercher les fonds en parallèle. Nous sommes passés par le Kofic, un organisme d’aide au financement des films, qui a participé également. Enfin, nous avons négocié avec une société de distribution.
Il semble en effet qu’il est de plus en plus difficile de produire ce genre de films en Corée du Sud. Soit il y a les grosses productions à bases de films historiques, de comédies romantiques et des films très populaires ou bien du cinéma indépendant à très petits budgets qu’on voit dans les festivals. Juvenile Offender se trouve entre les deux et cela semble très difficile à monter comme projet.
Kang Yi-kwan : Votre constat est tout à fait vrai. Maintenant, les 4 plus gros producteurs monopolisent le marché. Pour les autres films, c’est difficile d’avoir un cinéma pour les diffuser. C’est un problème économique à l’échelle nationale avec une grande inégalité financière entre les riches et les pauvres. En 2012, nous avons eu un record de spectateurs mais la plupart des films étaient pour les 4 gros producteurs. La situation pour les films indépendants empirent de plus en plus. En Corée du Sud, le cinéma est plutôt un marché économique que culturel.
Dans le cinéma coréen, on s’aperçoit par ailleurs qu’il y a plus en plus de co-productions avec d’autres pays. Est-ce que vous pensez que c’est un bon moyen de financement et de promotion ?
En effet, la co-production est un très bon moyen. Néanmoins, cela risque de faire perdre notre identité. Pour avoir une valeur dans le cinéma coréen, il faut viser le public coréen. Et ensuite, si on a du succès, on peut aller diffuser nos films ailleurs avec le soutien de notre public.
Quelle a été la réception du film par le public coréen, les institutions liées au centre de détention et leurs détenus ?
Le résumé du film n’attire pas spécialement le public mais une fois vu, ils ont aimé. On a projeté le film aux adolescents qui sont détenus dans les centres et ils ont été très contents de voir leur histoire et le fait que celle-ci soit enfin partagée avec le public. Maintenant, la commission essaie de diffuser dans plusieurs institutions le film pour éventuellement faire des débats et des séminaires afin de répandre le sujet le plus possible.
Est-ce qu’il y a des cinéastes coréens dont vous vous sentez proches ?
Il y a Kim Tae-yong (Family Ties). On est proches personnellement.
Quels sont vos prochains projets ?
Nous avons deux projets mais nous n’avons pas encore décidé par lequel commencé. L’un est un projet très important pour nous mais difficile à réaliser pour des raisons financières. L’autre est plus dans une optique commerciale donc plus facile à réaliser.
Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui les a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.
Dans Le Parrain 2 de Coppola, le petit garçon arrive à New York et regarde la Statue de la Liberté par la fenêtre après son arrivée à Ellis Island, où on lui diagnostique la varicelle. Je pleure presque à ce moment-là.
Traduction : Park Eunhee.
Propos recueillis à Genève lors du Black Movie le 24/01/2013 par Victor Lopez (interview) et Julien Thialon (photos et retranscription).
Juvenile Offender de Kang Yik-wan est projeté dans le cadre du Festival Black Movie à Genève du 17 au 28 Janvier 2013.
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Un gargantuesque merci à toute l’équipe du Black Movie, et particulièrement à Melissa Girardet et Antoine Bal, sans qui rien de tout cela ne serait possible !