Black Movie : Critique de Stateless Things de Kim Kyung-mook

Posté le 22 janvier 2013 par

Existences solitaires, réflexions sur l’identité, violence de l’amour, ambiguïtés sexuelles… Stateless Things réunit toutes les préoccupations précédemment filées dans les courts-métrages de Kim Kyung-mook tout en les incorporant, cette fois-ci, dans un récit (plus ou moins bien) construit et non plus seulement dans une série d’images fortes sans véritable tension dramatique. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Stateless Things reste un film contemplatif privilégiant largement l’atmosphère à l’action. Par Clément Pascaud.

Jun, un jeune clandestin chinois, travaille dans une station-service sous les ordres d’un patron violent. Un jour, décidant de protéger Sun-hee, sa collègue, des « avances » plus que douteuses de ce dernier, Jun est licencié. Une bagarre éclate entre les deux hommes lorsque Jun revient réclamer sa paye. Contraint de fuir, il emmène Sun-hee avec lui.

Hyeon, un jeune homosexuel, passe ses journées dans la solitude du grand appartement de Seonghoon, un quarantenaire marié. Tous les deux entretiennent dans le secret une relation amoureuse décousue qu’Hyeon finit par trouver asphyxiante.

Le film, coupé en deux parties, se concentre dans sa première heure sur le récit de Jun. Kyung-mook y illustre très sobrement le quotidien de ce jeune immigré clandestin nord-coréen travaillant comme pompiste dans une station-service. La mise en scène, réaliste, privilégie l’évocation par le détail aux grandes tirades explicatives, procède par petites touches et dresse ainsi le portrait crédible d’un jeune et pauvre clandestin qui n’a d’autre choix que de se soumettre à la volonté capricieuse de son patron. Lors de la fuite de Jun et Sun-hee, le film se met à glisser doucement vers une sorte de road-trip urbain et réaliste, poétique et désenchanté, où les trouvailles visuelles (certaines réussies, d’autres moins) alternent avec des images crues et volontairement salies.

Et subitement, alors que l’on se prenait au jeu et au rythme de leur vagabondage, arrive le récit d’ Hyeon. La tonalité du film change complètement : les séquences se font plus longues, les plans plus picturaux, les dialogues plus rares. On abandonne le drame social et le road-trip pour le drame amoureux en huis clos. Cette rupture brutale et déconcertante se justifie par la suite en se montrant comme un reflet du récit précédent. Hyeon est prisonnier du luxueux appartement de Seonghoon quand Jun l’est de sa peur d’être expulsé, Hyeon se prostitue avec amour, Jun avec dégoût, Hyeon surplombe Séoul, Jun en arpente les rues… Au fur et à mesure, leurs histoires se répondent, l’une ne prenant véritablement sens qu’en regard de l’autre. En construisant cette sorte de diptyque, Kyung-mook cherche à faire réfléchir sur les notions d’identité, de genre et de classe, brouille les pistes qui nous permettaient de cerner ses personnages, et aboutit (dans une scène finale à la fois tendre et funèbre) à une situation où les deux récits se mélangent et où l’on ne sait plus vraiment si l’on vient de voir l’histoire de deux individus ou l’alternative dramatique d’une même personne (Kyung-mook lui-même ?).

Si la réflexion ne manque pas d’intérêt et la démarche d’originalité, l’exécution est malheureusement imparfaite, du fait d’un collage définitivement abrupte de deux parties peut-être trop peu perméables l’une à l’autre et de personnages trop superficiels pour que leur confrontation symbolique puisse être véritablement l’enjeu d’un drame unique qui résoudrait les deux autres.

Clément Pascaud

Verdict : Stateless Things présente donc un intérêt certain, de belles (voire très belles) images, des acteurs tous excellents, mais souffre d’un scénario déséquilibré qui donne à l’ensemble l’allure de deux courts plutôt que d’un long métrage, et de plans certes magnifiques mais parfois inutilement longs.

 

Stateless Things de Kim Kyung-mook, est projeté dans le cadre du Festival Black Movie à Genève les 21, 23 et 24 janvier 2013.

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