VIDEO – The Swordsman de Choi Jae-hoon

Posté le 17 novembre 2021 par

Parmi les grands films d’action de 2020 malheureusement absent dans l’ hexagone, The Swordsman, premier essai du prometteur coréen Choi Jae-hoon, disponible en VoD, DVD et Blu-Ray chez Program Store dès aujourd’hui, est un hommage évident au chef(s)-d’œuvre Zatoichi. Bien aidé par la partition convaincante de Jang Hyuk qui incarne l’épéiste quasi aveugle Tae Yu, le film, encore une fois inspiré d’une histoire « vraie » (leitmotiv des chanbaras) transpire le soin et l’implication sans être exempt de reproches parfois très agaçants. N’est pas Kitano qui veut…

 

Corée, 1623. Afin de sauver sa fille Tae-ok, enlevée par des marchands d’esclaves à la solde des nouveaux maîtres chinois Qing, Tae-yul, ancien guerrier émérite de la dynastie Joseon pour la défense de laquelle il a perdu l’usage d’un œil, doit reprendre l’épée qu’il avait abandonnée après la chute du roi Gwanghaegun. Rattrapé par ses blessures et les démons de son passé, il devra combattre et vaincre rivaux et ennemis pour l’honneur des guerriers coréens et la vie de Tae-ok. 

 

C’est dans les vieux ttukbaegi qu’on fait les meilleurs chanbaras…

 

A ne pas confondre avec le non moins célébré Swordsmen (et le duel Donnie YenTakeshi Kaneshiro), The Swordsman est donc la première œuvre (sacrée entrée en matière) de Choi Jae-hoon, également scénariste. Porté par un casting plus ou moins bien dirigé comme Joe Taslim (The Raid) qui, bien que sous exploité, abuse des sourires narquois, ou Kim Hyeon-soo (The Five) à l’infantilisation insupportable, le métrage interpelle malgré tout dès ses premières secondes par le soin apporté à sa direction artistique et un Jang Huyk (Pandémie) qui semble avoir compris la notion de nuance. Campant un héros quasi mutique et à la cécité évolutive, il exécute sa partition avec beaucoup de pertinence. L’acteur survole d’ailleurs de très loin ses partenaires en matière de jeu. Mention spéciale à son économie de moyens lors des combats : ses déplacements sont toujours justes et efficaces. Utilisant une posture de 3/4, il optimise ainsi le champ périphérique de son œil valide. La préparation et l’engagement dans ces mois de travail chorégraphique sont à l’évidence les clés de ce succès flagrant. Lumières stroboscopiques, ambiance anthracite bleutée, costumes éblouissants ou générique en aquarelle mouvante proche de la passionnante série Les Grands Mythes sur Arte : la direction artistique est un autre atout majeur du film. L’on sait ainsi en quelques minutes que l’on vivra une œuvre réfléchie et soignée. Jumelant les tâches de sang à l’encre calligraphique traditionnel, le générique par exemple, sobre et efficace, rassure sur la picturalité de l’œuvre. On regrettera toutefois un travail plus conséquent sur l’étalonnage qui aurait in fine apporté un surplus d’ampleur au récit. Un choix surprenant.

Incroyablement complexe, l’exposition des faits tient en moins de 5 secondes avant les premières images… Nous y reviendrons mais disons clairement que le cœur thématique du récit et ses enjeux ne brillent pas par leur originalité. Inutile donc d’entrer dans des anaphores ad nauseam si vous avez lu les quelques lignes du synopsis car malgré quelques flashbacks quasi inutiles, les implications de l’histoire ne permettent jamais une empathie démesurée. Des méchants enlèvent la fille d’un ancien guerrier à l’honneur à nul autre pareil, l’obligeant alors à déterrer l’arme qu’il avait juré de ne plus brandir…. Pour sauver la seule trace de son humanité, combattant autant d’anciens adversaires que les démons de son passé, le héros entame sa traversée du Styx pour sauver sa fille, et son âme. Nous pourrions continuer encore longtemps. Classique (c’est le moins que l’on puisse dire) dans son propos, le film a heureusement d’autres éléments à défendre, notamment l’universalité dramatique de sa raison d’être

Amour paternel, honneur, chemin de croix pour tendre à la rédemption… Difficile de trouver des implications plus universelles tout comme on ne peut que regretter l’élément perturbateur en la figure du marchand d’esclaves. C’est convenu mais ça fonctionne car les bandits, voleurs ou sales brutes demeureront toujours de très bons méchants de cinéma.

Ceci étant, le film peine vraiment à démarrer (sa première moitié ne raconte quasiment rien) et en devient même parfois embarrassant : « Le rôle d’ un épéiste n’est pas de donner du riz aux mendiants »… Quelconque dans sa narration et son écriture de personnages, on pourrait acquiescer aux détracteurs du film de voir ici un énième ken geki inspiré d’une histoire vraie. L’on pourrait également pester sur la paresse de certains quant à l’exposition des enjeux, notamment ces quelques lignes sur deux  fonds noirs présentant le contexte historique en quelques secondes. C’est dommage car le récit mérite plus de lyrisme et d’empathie. Idem pour sa première partition : on a visiblement beaucoup aimé Game of Thrones du côté du compositeur. L’on saluera enfin, en matière de déception principale (exception faite de la trop rare présence de la sublime Angelina Danilova), le personnage de la fille de notre héros borgne, Tae-ok. Mention spéciale à sa naïveté et la réplique de l’année portée en étendard du septième art coréen : « c’est quoi un zizi ». Kurosawa ou Ozu n’auraient pas fait mieux.

On préférera saluer l’initiative d’un combat expédié en quelques battements de cils à la manière de Jin Sakai dans la récente révélation sur PS4 et PS5, Ghost of Tsushima. Puissant, expéditif et aussi élégant qu’un ballet de lames : voilà ce dont le film avait besoin ! On se demande d’ailleurs si le chef opérateur ne se serait pas inspiré des teasers et autres dessins préparatoires malgré leur quatre siècles d’écart tant certains moments de grâce semblent tout droit sorti du jeu : les plans aériens sur les toits, les maisons éclairées aux lanternes, les cages de bambous dans les camps ou les travellings sur les visages et lames ensanglantées… On connaît pire comme inspiration. Le film a donc de très bons moments, notamment quand il décide, dans sa dernière bobine, de magnifier ces combats tant attendus. Par des plans séquences courts ou un montage à l’économie inattendue, le grisant combat à l’épée, encerclé par des carabiniers avant l’arrivée, le souffle court, de nouvelles surprises est un pur shoot de cinéphile !

C’est une certitude de déclarer que l’on a hâte de découvrir en France son second film, The Hypnosis (une histoire d’orphelin ayant recours à l’hypnose et sorti en 2021 en Corée) avec Lee Da-wit (Terror Live). Loin d’être un pavé dans la mare, The Swordsman est donc un film de sabre classique mais très plaisant à suivre (notamment dans son dernier tiers passionnant) qui doit conduire son réalisateur à cette fois expérimenter, oser et s’inscrire dans une démarche plus cathartique que celle d’un simple exécutant du cahier des charges. Ce n’est pas du Zhang Yimou certes mais pour un premier film, il est incontestablement prometteur malgré son manichéisme et un manque flagrant de prise de risques et de grandiloquence. Un bon film, divertissant et beau à chacun de ses plans. On s’attendait à bien pire.

Jonathan Deladerrière

The Swordsman de Choi Jae-hoon. 2020. Corée. Disponible en VoD, DVD et Blu-Ray chez Program Store le 17/11/2021

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