À l’occasion de son cycle “classiques”, le Festival du Film Coréen à Paris a projeté The Aema Woman, le premier film érotique officiel de Corée du Sud. Véritable carton en 1982 avec plus de 310 000 entrées à Séoul, ce film inspiré par la série Emmanuelle est-il vraiment si érotique ? Par Marc L’Helgoualc’h.
Résumé : Après huit ans de mariage, Aema (l’actrice Ahn So-young) ne supporte plus le comportement de son mari, Hyun-wu, qui découche régulièrement, la trompe ouvertement et la néglige sexuellement. Sa décision est prise : elle aussi va commencer à sortir et coucher avec d’autres hommes. Sous l’effet de la colère, Hyun-wu va se soûler dans un bar où il est pris à partie par un client pour une vague histoire de cigarettes (l’embrouille typique, de Paris à Séoul, donc). Avec un regard « bien zehef », Hyun-wu claque le beignet du tabagique… qui meurt sur le coup ! Le meurtrier involontaire écope d’une peine de plus de trois ans de prison. Seule, Aema tente de vivre une nouvelle vie amoureuse et d’éveiller enfin ses sens, éteints par un mariage qu’on devine quasi blanc… Mais peut-elle se séparer de son mari qu’elle aime malgré tout ?
Un bref contexte historique s’impose pour expliquer l’existence (tardive) de ce « premier film érotique coréen » en 1982. À l’époque, le général Chun Doo-whan est au pouvoir depuis deux ans. Il établit un nouveau régime militaire en rompant l’espoir du peuple sur la démocratie (l’histoire politique de la Corée du Sud est aussi chaotique que celle de la Grèce jusqu’au début des années 1990). Pour calmer les revendications du peuple et organiser leur dépolitisation progressive, il met en place la politique des 3S : Sport, Sex and Screen. Le cinéma érotique est donc encouragé. Plus de cuisses, moins de réflexions politiques ? Allez dire ça aux réalisateurs nippons Adachi Masao ou Wakamatsu Koji ! Bref, le gouvernement coréen est dans la ligne idéologique de la televisione spazzatura de Silvio Berlusconi et du tittytainment de Zbigniew Brzeziński. Un abrutissement des masses par le jeu et la frivolité.
Un film tel que The Aema Woman peut-il détourner un militant politique de sa cause ? Aujourd’hui, on peine à le croire tant le film est d’une mièvrerie exacerbée qui frise la pathologie. À faire passer les romans de la collection Harlequin pour des œuvres de la bibliothèque des Enfers. Inspirée de la série française des Emmanuelle, cette version coréenne n’a pas grand-chose d’érotique. Deux ou trois étreintes brièvement filmées de très loin, un sein aperçu en transparence d’une robe trempée par un orage, des visages de femmes lascives filmés en gros plan et quelques pincements de lèvres… c’est tout. Cela en dit long sur la société coréenne et la représentation de la sexualité. Quand on pense qu’à la même époque, on pouvait voir au Japon des films comme Angel Guts : Red Porno d’Ikeda Toshiharu, Zoom Up: Rape Site d’Ohara Koyu et tant d’autres pinku… mais il est vrai que le Japon est hors-concours dans ce domaine.
Trente ans après sa sortie, The Aema Woman a acquis un ton plutôt comique. L’héroïne est tellement prude que l’érotisme du film se limite aux nombreux feulements d’Aema, seule chez elle, en imaginant un frôlement de main ou une vague étreinte. Mais dès qu’elle se retrouve en présence d’autres hommes, elle se révèle incapable de parler ou de s’émouvoir… Une véritable enfant de trente ans. Un rien l’émoustille : une séance d’acupuncture, un rêve banal ou une balade à cheval. Aema a cependant deux amourettes : elle hésite entre un potier et son ancien amant. Le potier a un niveau de discussion digne de celui d’André-Pierre Gignac à la mi-temps d’une rencontre amicale entre l’Olympique de Marseille et le Football Club de Geugnon. L’ancien amant n’est pas plus bavard mais passe rapidement à l’action, connaissant Aema au moins deux fois, notamment lors d’une scène nanarlandesque où il fabrique une échelle en corde pour descendre au balcon inférieur d’un appartement où dort la douce Aema… une escalade qu’il n’hésite pas à pratiquer en pyjama et robe de chambre ! La classe coréenne.
C’est le mari d’Aema qui a sûrement le fin mot de l’histoire et comprend la pathologie sexuelle de sa femme, lors d’une scène d’anthologie où, en prison, la jeune femme caresse la vitre de plastique qui le sépare de son mari embastillé, en soupirant avec force (comme les doubleurs de films pornographiques), formant ainsi de la buée qu’elle essuie de ses doigts lascifs. Verdict pince-sans-rire du mari : « chérie, je crois que tu as un gros problème ». Quinze ans plus tard, James Cameron plagiera ce passage dans Titanic en tournant la mythique scène de la voiture avec Jack et Rose.
Marc L’Helgoualc’h.
Verdict : The Aema Woman n’est pas ce qu’on appelle un film érotique. S’il risque d’ennuyer des spectateurs, il est aujourd’hui un film d’une forte puissance comique. C’est enfin un témoignage sur ce que le gouvernement coréen permettait à l’industrie cinématographique au début des années 80.