Critique de Madame Freedom de Han Hyeong-mo : Festival du Film Coréen à Paris

Posté le 10 novembre 2012 par

Le Festival du Film Coréen à Paris propose en son sein une section « Classiques » avec cinq films. Parmi ceux-ci figure Madame Freedom (Ja-yu bu-in) de Han Hyeong-mo (1917–1999) qui est l’adaptation d’un roman éponyme de Jeong Bi-seok, énorme succès en 1954 en Corée du Sud. Un long-métrage très controversé à grande valeur historique marquant l’illusion de l’émancipation de la femme sud-coréenne et de ses conséquences dans une société en pleine expansion. Par Julien Thialon.

 Madame Freedom est considéré désormais comme un film d’exception des années 50 dans la cinématographie coréenne. Ce succès retentissant (100 000 spectateurs à Séoul à l’époque) est dû à la fois aux scènes explicites d’amour et de baisers (sobres dans notre ère contemporaine) doublé d’un sujet soumis à de nombreuses controverses : le double adultère d’une femme mariée dont l’un avec un jeune homme. En filigrane, le réalisateur présente l’ouverture de la société bourgeoise sud-coréenne au monde extérieur.

Les premières minutes présentent le professeur Jang Tae-yun (Park Am) et sa femme Oh Seon-yeong (Kim Jeong-rim) avec leur fils Gyenog-su. L’épouse essaie d’obtenir habilement, avec l’aide de son voisin, l’accord de son mari pour un éventuel emploi dans un magasin de cosmétique géré par la femme d’un haut dignitaire. Son époux, gêné par la musique du voisin, remet à demain sa décision. Par manque d’autorité, il laissera la décision à sa femme, marquant le début de son émancipation, au début dans le milieu professionnel, puis en découlera l’adultère avec ce besoin d’être aimé et touché par le sexe opposé. La tradition coréenne présente dans les premiers instants avec cette définition stricte des statuts femme au foyer/époux subvenant au besoin financier (la réussite sociale du mari étant matérialisée par son diplôme dans son bureau) de sa famille disparaît rapidement pour laisser place à l’anarchie sociale du couple vacillant et dont la principale victime n’est autre que leur fils laissé de plus en plus à l’abandon.

Dans sa première partie, Han Hyeong-mo (The Pure LoveA female boss) est porteur d’un message féministe à travers une société qu’il montre consommatrice et de plus en plus tournée vers l’Occident et l’Amérique. La femme peut être douée en affaires, Seon-yeong témoignant de grandes capacités professionnelles dans les cosmétiques, vendant principalement à la gente masculine des produits qu’elle souhaite les plus onéreux, de la meilleure qualité et non locaux. Son amie Choi Yun-ju (No Kyung-hee), avec laquelle elle ira souvent au salon de thé ou au restaurant chinois – encore une fois, la nourriture locale est volontairement mis à l’écart – , en est également un exemple toutefois moins glorieux avec son entrée dans le marché des affaires sur une collecte de fonds qui ne lui appartient pas vraiment.

Han Hyeong-mo offre au spectateur non sans élégance et entrain cette nouvelle société de consommation, pris dans un tourbillon de tentations internationales après une guerre de Corée dévastatrice et la fin des règles japonaises. Plus de 50 ans plus tard, le procédé devient réciproque et tend même à s’inverser dans certains domaines (vague K-pop déferlant sur le monde, l’une des meilleures technologies multimédia, etc.). Dans Madame Freedom, la femme est le symbole consumériste de la modernité sociale et amoureuse, d’où le titre évocateur.

En effet, cette nouvelle liberté va provoquer pour Seon-yeong des rencontres. Celles entre personnes du même sexe lui donneront peu à peu des envies de profiter de la vie en découvrant les plaisirs de la danse occidentale avec son jeune voisin aux multiples conquêtes. Peu à peu, elle en tombera amoureuse, provoquant un tollé général dans la société de l’époque. C’est également avec le mari de la gérante qu’elle connaîtra les joies de la séduction et le partage de la chair à travers de langoureux baisers en fin de métrage. En parallèle, le mari n’est pas en reste, vivant également une relation platonique avec la dactylo Miss Park (Yang Mi-hee), lui donnant à elle et ses amis des cours gratuits de grammaire mais refusant un engagement plus profond pour préserver le bonheur de sa famille, au contraire de Seon-yeong.

Le scénario, bien ficelé, démontre dans la suite du métrage que l’homme s’adapte à l’admission de la femme dans cette société en proie au changement. Tantôt charmeur, tantôt manipulateur, il a l’habitude et excelle en la matière. Quoi qu’il arrive, il restera au sommet de la société. Quant à la femme, cruelle est sa destinée : tel est pris qui croyait prendre.

Han Hyeong-mo feinte la révolution de la femme dans les relations amoureuses, lui mettant en réalité des bâtons dans les roues en prônant la pression sociale comme régisseur du couple et qu’il n’est tout simplement pas possible de faire ce que l’on veut sans en subir les conséquences et en éprouver de la culpabilité (l’aveu final est désarmant). Cette pression sociale est d’ailleurs toujours d’actualité et particulièrement forte sur les femmes qui ont du mal à faire reconnaître leur statut professionnel et social auprès de la société et du sexe opposé, toujours un brin conservateur et dominateur. La spectatrice d’aujourd’hui ressentira avec ce long métrage que cette problématique est profonde et ancrée dans l’histoire : bien long est encore le chemin à parcourir.

Julien Thialon

Verdict :

Julien Thialon.

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